Ah, Albert… Quand je suis entré à Europe 1, peu avant le décollage d’Apollo 14, j’avais asphyxié le patron de la rédaction Jean Gorini avec mes supplications sur le thème « Envoyez moi à Houston »…
Fatigué sans doute, Gorini m’avait mis dans l’avion avec un Nagra, le magnétophone légendaire, et je m’étais retrouvé au Manned Spacecraft Center de Clear Lake, en plein bonheur. Albert, lui, était resté à Paris, et j’avais couvert le vol en essayant surtout de ne rien dire qui heurte ou fâche notre doyen. Mais étrangement, ça s’était bien passé, et une sorte de complicité s’était construite à travers les liaisons téléphoniques d’alors, pour le moins artisanales. Alors que je n’avais rencontré le maître qu’une seule fois avant mon départ, le retour fut très différent. En bas d’Europe, il y avait l’abreuvoir de la rédaction, l’Athénien, et nous y avons bu (moi un café, lui une eau minérale) en faisant vraiment connaissance. J’ai alors découvert qu’Albert était un franc-tireur théoricien, un puits de science, mais qu’il était mal à l’aise dans l’univers écrous-boulons de la réalité des choses. Pour lui, l’important était l’idée qui se transforme en théorie et qui, par la grâce de la réflexion et de la pensée, prend corps. Ensuite, les innombrables aventures techniques qui permettent la matérialisation de l’idée ne le concernaient pas vraiment. Mais ainsi, j’avais un référentiel scientifique d’une qualité unique, et je me sentais comme protégé.
Cette intimité culmina quelques années plus tard, après l’épopée Apollo, lorsqu’Ariane entra dans sa vie adulte. Au fil de plusieurs discussions, nous étions arrivés à une sorte de fantasme : pourquoi ne pas faire inventer par nos auditeurs un drapeau de la Terre ? Et pourquoi ne pas proposer à nos amis d’Arianespace et du Cnes d’apposer ce drapeau sur une Ariane qui serait lancée en présence des lauréats de notre petit concours ?
Et on l’avait fait, avec un Albert rayonnant de son sourire de gamin, étrange dans le visage d’un personnage aussi abouti que lui… Petit à petit, nous étions devenus amis, mais d’une manière extrêmement réservée car Albert était, j’ose le dire, infiniment et délicatement timide. Alors qu’un chaudron comme la rédaction d’Europe 1 de cette époque ruisselait littéralement d’égos rapides à s’exprimer. Mais tous ces égos lui manifestaient un respect et une amitié uniques…
On parlait parfois des plages de Royan, où il allait souvent, et de leur sérénité. Et un jour s’est produit un évènement impensable et impardonnable : un nouveau patron était arrivé au sommet de la rédaction de la station, préfigurant ce qu’allait devenir ce business des médias nouveaux. Albert était à la rédaction, ce jour-là, mettant de l’ordre dans son casier. Le nouveau patron, poussant devant lui les nuages de fumée de son cigare, s’était annoncé. Et sans doute pour bien nous faire comprendre, à nous les soutiers de la maison, comment allait fonctionner le nouveau chef, il s’était planté devant Albert Ducrocq et lui avait lâché « Bonjour, Albert, au fait : vous ne faites plus partie de la maison… ».
Albert n’avait pas compris, sur le moment. Nous non plus.
Ce type aurait dû trouver un moyen plus humain de dire ce genre de choses (inévitables dans ces métiers). Il aurait dû faire une belle fête, au cours de laquelle on aurait baptisé un studio de la station du nom d’Albert. Car si Europe 1 a existé, si des millions d’auditeurs ont vécu avec le son de cette radio accompagnant leur vie quotidienne, c’est grâce à des personnages comme Albert Ducrocq, et quelques autres, qui année après année lui ont construit son âme, papier après papier…
Merci, merci, Monsieur Ducrocq,

Bernard Chabbert
Parrain de la commission Astronautique et Techniques Spatiales de la SAF

En 1991, Christian Grosjean participe à un concours organisé par le magazine Air & Cosmos. Présenté en 1991 au Salon du Bourget, il sera apposé sur le lanceur V44 de la fusée Ariane, embarqué à bord de la station Mir par l’astronaute Michel Tognini et jusque sur la banquise par Claude Wachtel. Les quatre couleurs, entourant un cercle bleu symbole de la Terre, représentent chacune une couleur de peau différente.

Crédit : Coll. Cosmos Club de France