« Rendez-vous à Europe N°1 jeudi à 13 heures »

4 octobre 1986. De gauche à droite : Cécile Givaudin, Sylvain Raimbault, Catherine Lescure, Claude Wachtel, Louis et Guy Longueville, Philippe Coué, Albert Ducrocq, Jean-Pierre Nouaille, Christian Lardier, Isabelle Bichet, Pascal Lee, Frédéric Bichet et Hélène Givaudin.

Mon premier souvenir d’Albert Ducrocq date du vol de Gagarine en 1961, lorsque j’avais 9 ans et que je l’écoutais sur la radio Europe n°1 ; son enthousiasme faisait à lui seul comprendre que ce qui était en train de se passer était un bond dans l’histoire de l’humanité et donc dans notre propre histoire de jeunes collégiens. En 1965 et 1966 je me suis inscrit à plusieurs reprises pour assister au journal de 13 heures d’Europe 1, lors de vols dans l’espace soviétiques et américains. Nous étions assis autour de la grande table du rédacteur en chef lorsque la lampe rouge du direct s’allumait. Albert Ducrocq était bien sûr là et nous faisait vivre cette aventure comme si nous étions au centre de direction des vols. En direct je me rappelle lui avoir demandé de nous parler des satellites russes de la série « Kosmos ». Il a vite repéré le « collégien spécialiste » car, à l’époque, les Soviétiques annonçaient en quelques lignes leur lancement sans jamais préciser leur mission, et il m’a proposé un premier déjeuner : « Rendez-vous à Europe jeudi à 13 heures ». Ce jour là il m’a parlé en tête-à-tête du Cosmos club de France que j’ai rejoint sans hésitation.

Ce qui m’a séduit, c’était la confiance d’Albert Ducrocq dans notre jeunesse, dans nos capacités d’inscrire notre passion naissante dans la promotion de l’astronautique et souvent dans une carrière aérospatiale, ce qui a été mon cas à l’Université dès 1972 puis à l’observatoire de Meudon et au CERGA de Grasse à partir de 1974 et enfin dans mes toutes premières années au Secrétariat général de la défense nationale. Puis, si j’ai volontairement changé de voie tout en restant passionné par l’astronautique, c’était avec la volonté de m’appuyer sur les valeurs de passion et de « marche en avant » que je devais à Albert Ducrocq.

Je garde le souvenir de la description de sa visite en 1957 dans un institut de recherche soviétique dirigé par l’académicien S.A. Lebedev qui, après la guerre, fabriquait les premiers ordinateurs d’une Union Soviétique qui cherchait à combler son retard informatique sur les Etats-Unis. Il racontait que l’ordinateur occupait une très grande salle dont les murs étaient garnis jusqu’au plafond de blocs d’instruments à lampes électroniques, ces lampes qui faisaient fonctionner les « antiques » radios jusque dans les années 60. Des sonneries n’arrêtaient pas de retentir, indiquant les lampes « grillées » parmi les milliers qui faisaient fonctionner la machine. Des techniciens en blouses grises marchaient en tous sens d’un pas rapide apportant des lampes neuves pour les remplacer.

Albert Ducrocq était un homme d’une culture scientifique encyclopédique et un vulgarisateur exceptionnel, doué pour faire comprendre à tout un chacun les notions les plus complexes. Sa plus grande qualité, très rare et qui est peut-être sa plus grande contribution à l’astronautique, aura été d’être un révélateur de vocations chez les jeunes qu’il côtoyait. Au-delà même de son action auprès de la jeunesse, il aura eu un rôle de « propagandiste de l’Astronautique » en grande partie comparable aux rôles de Tsiolkovsky en Russie, d’Ananoff ou de Esnault-Pelterie en France.

Claude Wachtel