Compte rendu de la conférence mensuelle de la SAF du 8 février 2019
PRINCIPES ET APPLICATIONS DE LA SPECTROSCOPIE DE FOURIER EN ASTRONOMIE : DE SES ORIGINES À NOS JOURS
Conférence donnée par Jean-Pierre MAILLARD
Astrophysicien IAP
Image infrarouge de la région active de formation stellaire dans la nébuleuse d’Orion, avec la source jeune massive BN et la Nébuleuse KL. Crédit : ESO/M. McCaughrean et al. (AIP)
Les principes de la spectroscopie dite « par transformation de Fourier » ont été établis en France au début des années 60 (thèse de Jeanine Connes). Ils s’inscrivent en prolongement direct des travaux d’Albert Michelson à la fin du 19e siècle et l’interféromètre qui porte son nom. Mais cette méthode de spectroscopie non conventionnelle car non dispersive, n’a été redécouverte et pris son essor que trois-quarts de siècle plus tard, grâce aux développements concomitants des détecteurs photo-électriques, des moyens d’enregistrement des données, des ordinateurs et au rôle de quelques pionniers. Ce nouveau type de spectromètre, développé avant tout dans le domaine infrarouge, a pu être considéré dans les années 70 comme le spectromètre idéal.
Les applications en astronomie, avec plusieurs résultats marquants, de la composition de l’atmosphère des planètes au rayonnement du fond cosmologique, ont largement contribué à sa généralisation. Mais aujourd’hui, avec le développement des mosaïques de détecteurs de grand format dans tous les domaines spectraux, particulièrement en astronomie, les spectromètres à réseau ont pris l’avantage. La méthode de Fourier conserve toutefois quelques niches spécifiques, comme dans le domaine de l’infrarouge lointain spatial ou pour la spectroscopie intégrale de grands champs.
La spectroscopie de Fourier est une technique permettant de produire une décomposition spectrale de la lumière en utilisant la technique mathématique de la transformée de Fourier. Deux raies peuvent être séparées si l’écart entre les deux raies est supérieur à la largeur d’une raie. Le pouvoir de résolution va donc dépendre de la largeur d’une raie et plus la raie sera fine, meilleure sera la résolution.
Le premier spectroscope a été mis au point en 1814 par Fraunhofer (1787 – 1826) en utilisant un prisme et en limitant l’entrée de la lumière du soleil à un seul endroit sur le prisme en utilisant une fente (le flux lumineux diminue mais la dispersion est plus fine et donne l’image de la raie déviée par le prisme en fonction des longueurs d’onde).
En 1851, Fizeau développe un interféromètre pour mettre en évidence une différence de vitesse de la lumière traversant un courant d’eau se déplaçant dans le sens de la propagation et dans le sens opposé. Il constate un déplacement des franges s’expliquant par ce que l’on nomme un entraînement partiel de l’éther par le milieu. La même expérience faite avec un courant d’air d’entraîne aucun déplacement des raies. Cette expérience ne sera correctement expliquée qu’avec l’avènement de la théorie de la relativité restreinte proposée par Albert Einstein en 1905, qui donne la loi correcte de composition des vitesses relativistes.
Dans le dernier quart du XIXème siècle, le réseau par réflexion composé de rayures réfléchissantes remplace le prisme car il possède un pouvoir de résolution bien supérieur. Les progrès de la photographie permettent de faire également les premières photos de spectres.
À la même époque vers 1880, Michelson reprend l’idée de Fizeau avec un interférentiel à deux bras perpendiculaires pour mettre à jour le mouvement de la Terre par rapport à l’éther luminifère dans lequel la lumière devrait se propager à la vitesse c. Le centre devient sombre quand l’un des miroirs est déplacé d’une demi-longueur d’onde (environ 0.25 microns dans le jaune). Cette expérience permet ainsi de mesurer une longueur d’onde d’une source monochromatique en comptant les franges tout en mesurant le déplacement d’un des bras.
En 1881, Michelson utilise son interféromètre réglé sans décalage des bras en faisant tourner l’appareil de 90 degrés pour mesurer la variation de la vitesse de la lumière entre les deux bras qui vont dans des directions opposées par rapport à l’hypothèse. Mais, ils ne mesurent aucun décalage des franges d’interférences. Cette expérience va avoir une influence sur l’élaboration de la relativité restreinte.
Par la suite, cet appareil va permettre de mesurer les longueurs d’ondes d’une source de lumière en associant l’interféromètre à un monochromateur (dans le cas présent un prisme permettant de sélectionner une gamme étroite de longueurs d’onde). L’appareil permet de :
- Mesurer la longueur d’onde en comptant le nombre de franges pour un déplacement connu du miroir mobile.
- Mesurer la séparation des composantes d’une raie double en mesurant le double battement de la figure lors du déplacement du miroir mobile.
Lorsque la distance de déplacement augmente, le contraste des franges diminue pour finalement s’annuler à la distance maximale de visibilité.
En 1892, Rayleigh détermine la relation de transformation de Fourier qui existe entre le profil d’une raie et sa courbe de visibilité et invente ainsi le spectromètre par transformée de Fourier. La courbe de visibilité décroit plus vite quand le profil de la raie est plus élargi.
Un spectromètre par transformée de Fourier ne décrit pas directement les raies d’un spectre, mais les fréquences spatiales (en différence de marche en cm) qui transcrivent les raies dans un interférogramme. Il réalise physiquement une opération équivalente à une transformation de Fourier. L’interférogramme donne ensuite la mesure du spectre (en nombre d’onde en cm^-1) par une transformation de Fourier inverse, calculée.
L’application du spectromètre par transformée de Fourier ne s’est développée que dans les années 50.
Avec une seule cellule infrarouge (PbS : 1 – 3,5 μm) et le spectromètre basé sur l’interféromètre de Michelson, on peut fournir un spectre complet alors que le spectromètre dispersif (monochromateur) n’observe qu’une seule longueur d’onde à la fois (avantage multiplex de l’interféromètre sur le monochromateur).
En 1954, l’ajout de cavités Fabry-Pérot permet d’augmenter la luminosité de l’interféromètre. En 1959, Jeanine Connes établit la théorie complète et effectue le premier résultat expérimental en observant le ciel dans l’infrarouge à 1.6 microns avec une résolution de 900. Après l’exploration des domaines optiques et infrarouges proches, les observations se font dans les domaines infrarouges lointains (125-300 microns) et sous-millimétriques (300 microns à 1 mm).
Deux techniques se sont développées, motivées par l’élimination de l’excès de bruit dans les spectres astronomiques dû à la scintillation atmosphérique, l’une aux États-Unis (balayage rapide), l’autre en France (modulation interne), qui ont déterminé les deux modes d’acquisition des données.
La première conférence Internationale sur la spectroscopie par transformée de Fourier à Aspen (Colorado) le 16 – 20 mars 1970 montre que cette méthode est idéale de l’UV à IR lointain
La conférence d’Aspen a été un vrai point de lancement de cette méthode. Les principaux FTS aux USA :
· FTS au sol : à Kitt Peak
1er FTS astro de P. Connes cédé au LPL (Steward) H. Larson 1972
McMath solar FTS (« Babar ») J. Brault 1975
4-m Mayall Telescope FTS D. Hall, S. Ridgway 1979
· FTS espace : IRIS sur les sondes Voyager I et II R. Hanel 1979
· FTS avion : sur le Kuiper Airborne Observatory H. Larson, U. Fink 1980
Un FTS est installé au foyer IR du Télescope CFH en 1980 (résolution 500 000 à 2 microns) de 0.9 à 5.4 microns pour observer les molécules H2, CO, OH, H2O, CH4, NH3, C2H2… C’est le début de l’étude de la composition chimique des régions de formation stellaire. La sonde Voyager a son FTS infra rouge et fait des spectres en infrarouge de Jupiter. De plus, on détecte de la vapeur d’eau dans la queue de la comète de Halley en 1986 à l’aide d’un FTS monté dans le Kuiper Airborne Observatory. En 1989, le satellite COBE mesure le spectre du fond diffus cosmologique avec l’instrument FIRAS basé sur un FTS. En 1990, c’est la première détection hors laboratoire de l’ion dans les zones aurorales de Jupiter. En 1996, Observation du Soleil depuis l’espace avec un FTS à bord de la navette spatiale.
L’avantage multiplex du FTS dans le domaine infrarouge venait de ce que l’on était dans des conditions : bruit détecteur >> bruit de photons de la source. L’amélioration des détecteurs possédant moins de bruit détecteur fait perdre au FTS multiplex son avantage. En 1990, les mosaïques de détecteurs IR sont aussi couplées aux spectromètres à réseau.
Le FTS se combine à l’imagerie pour devenir le FTS imageur pour faire de la spectroscopie intégrale de champ. La première mise en œuvre a lieu au CFHT en 1993.
Les niches qui demeurent en astronomie:
- Le FTS imageur pour la spectroscopie intégrale sur un grand champ dans tous les domaines spectraux, comme :
- L’instrument SITELLE dans le visible au CFHT
- Le FTS pour l’IR lointain là où les réseaux ne peuvent pas fonctionner comme :
- SPIRE sur le télescope spatial Herschel
- SCUBA sur le télescope JCMT à Hawaï
- PRISTINE projet pour télescope spatial pour le CMB, refusé pour le moment par l’ESA.
Un grand merci à Olivier Laurent qui a rédigé ce compte rendu.
Le compte rendu détaillé est disponible sur le site de Jean-Pierre Martin ICI.