Compte rendu

L’INSOUTENABLE GRAVITÉ DE L’UNIVERS

Conférence donnée par Gabriel Chardin, à l’occasion de la réunion de la commission de cosmologie le samedi 9 février 2019

L'insoutenable gravité de l'Univers

Crédit : SKA Organisation, Swinburne Astronomy Productions

Le livre “L’insoutenable gravité de l’Univers”, écrit par Gabriel Chardin, fait débat car il propose une idée plutôt iconoclaste : l’antimatière résoudrait le problème de la matière noire et de l’énergie noire. On sait que 95% de notre Univers nous est inconnu, matière noire et énergie noire qui semblent nécessaires pour structurer notre Univers sont des entités très énigmatiques. Mais depuis leur introduction, on n’a rien trouvé. Or, d’après Gabriel Chardin, ces problèmes pourraient être résolus si on imaginait qu’il reste de l’antimatière dans notre Univers et que celle-ci possède une masse négative. Évidemment, c’est audacieux et à contrecourant des pensées actuelles, mais on devrait bientôt pouvoir tester cette hypothèse.

Gabriel Chardin commence par rappeler les quatre affirmations qui sont considérées maintenant comme inexactes et qui ont freiné les travaux liés à l’introduction de masses négatives :

  • Les masses négatives sont impossibles, elles conduiraient à une instabilité majeur, d’après : E. Witten, R. Schoen et Shing-Tung Yau, S. Hawking
  • La gravité répulsive est impossible, elle violerait les conditions d’énergie
  • Toute violation du principe d’équivalence, au cœur de la relativité générale doit être très faible ou nulle.
  • Il n’y a aucune indication d’une différence entre la matière et l’antimatière en relativité générale

La gravitation a subi des évolutions majeures entre la théorie de Newton et celle d’Einstein avec la relativité générale. On est passé d’une théorie basée sur la notion de force dans un espace euclidien avec un temps absolu selon Newton à une théorie basée des trajectoires suivant des géodésiques (donc des lignes droites dans un espace-temps courbe maximisant le temps propre de l’objet en mouvement) selon Einstein. La théorie de la relativité est actuellement la meilleure théorie que l’on ait pour expliquer un large ensemble de phénomènes gravitationnels observables (déflexion des rayons lumineux, ondes gravitationnelles, trous noirs, …).

Dans les années 1966-68, Brandon Carter a remarqué que dans les trous noirs en rotation, les trous de ver permettaient de connecter deux univers où la gravitation est attractive dans celui contenant le trou noir et répulsive dans celui contenant le trou blanc. La charge et la masse des particules dans le premier univers changent de signes dans le second univers. Une particule dans notre univers classique de masse positive deviendrait donc après la traversée du trou de ver son antiparticule mais avec une masse négative.

Kip Thorn a montré qu’il était nécessaire d’employer de la matière exotique de masse négative pour maintenir le trou de ver ouvert pour autoriser un passage entre les deux univers. Le voyage entre deux régions d’un même univers s’apparente par rapport à l’univers extérieur au trou noir et au trou blanc à un voyage effectué une vitesse supérieure à celle de la lumière ce qui autorise un possible voyage dans le passé (paradoxe du grand-père). Hors,  ce paradoxe du grand-père peut être contourné et permet même d’approcher le comportement bizarre de la physique quantique.

Dès les années 30 avec Fritz Zwicky et ensuite dans les années 70 avec Vera Rubin, on a pu mettre en évidence de la matière manquante dans les disques de galaxies. En 1998, l’étude des supernovae ont permis de mettre en évidence ce que l’on nomme l’accélération de l’expansion de l’univers se traduisant comme un effet de répulsion gravitationnelle à grande échelle correspondant à 70% du contenu énergétique de notre univers. Tout ceci menant à une composition très étrange de l’Univers, où 95% de sa composition est inconnue. La découverte de cette énergie « sombre » a conforté l’idée d’une composante négative au niveau gravitationnel et sa véritable nature reste à découvrir.

Le modèle du Big Bang a été amendé pour le rendre cohérent aux observations (une phase ultra-courte de décélération après le Big Bang avant l’inflation, puis inflation, puis une phase de décélération plus longue jusqu’à la nouvelle phase d’accélération de l’expansion actuelle). La cause de ces phénomènes reste encore aujourd’hui peu comprise et ils n’ont pas reçu encore de confirmations expérimentales directes.

Mais où est donc passée l’antimatière découverte théoriquement par Dirac ? L’asymétrie matière et antimatière reste un mystère. Comme le signale Gabriel Chardin, le modèle cosmologique actuel de l’Univers est assez invraisemblable :

  • D’abord une phase ultra-courte de décélération extrêmement violente (environ 10-35 seconde)
  • Suivie d’une phase également extrêmement courte d’inflation, première phase d’accélération de l’expansion
  • Et on retrouve une phase, très longue celle-là, de décélération, d’une violence qui diminue avec le temps, alors que baisse la température
  • Et c’est seulement au bout de quelques milliards d’années que débute une nouvelle phase d’accélération de l’expansion, due à une mystérieuse énergie noire
  • Difficile de croire à un scénario aussi tarabiscoté…

En 1957, Hermann Bondi propose l’existence de masses négatives. La masse inertielle et masse gravitationnelle passive restent positives alors que la masse gravitationnelle active est négative. La masse négative tombe ainsi comme la masse positive dans un champ de gravité produit par une masse positive mais cette masse négative produit une gravité répulsive pour une masse négative et aussi positive. On produit ainsi le phénomène de runaway.

En 1993, R.M. Price utilise le concept de masse négative pour la masse inertielle et gravitationnelle passive (respectant ainsi le principe d’équivalence). La force est dirigée vers le haut ce qui donne une accélération vers le bas pour une masse négative de Price. Si on accroche la masse négative pour éviter qu’elle ne tombe, il faut l’accrocher avec une force vers le bas. On obtient ainsi un système flottant en équilibre si les deux masses se compensent (m-m=0), mais si le lien entre les deux masses se casse, alors elles tombent toutes les deux de façon identique selon le principe d’équivalence. Les régions moins denses dans l’univers agissent de façon similaire à des masses négatives.

Le modèle d’Univers utilisant la notion de masse négative correspond à celui de Dirac-Milne dans lequel la gravitation permet de séparer facilement la matière de masse gravitationnelle positive et l’antimatière de masse gravitationnelle négative. Dans cet Univers il y aurait autant de matière que d’antimatière ; celle-ci serait présente dans les vides intergalactiques qui repousseraient ainsi les grandes structures. La relation distance-luminosité des supernovae de type Ia entre le modèle standard Lambda-CDM et le modèle de Dirac-Milne sont très proches. Les mesures ne permettent pas de départager les modèles.

Comment prouver cette nouvelle théorie ? Trois expériences sont en cours au CERN (Gbar, AEgIS, ALPHA-g) pour analyser les trajectoires d’antiparticules dans le champ gravitationnel terrestre. Elles n’ont pour l’instant par réussi à faire des mesures fiables. Il faut attendre 2021 pour la reprise des expériences.

L’expérience ALPHA en cours au CERN veut montrer qu’un atome d’antihydrogène, tombe vers le haut soumis à un champ de gravité. C’est le rôle de ELENA, (Extra Low ENergy Antiproton) un décélérateur d’antiprotons de produire ces particules de basse énergie pour les envoyer vers les expériences voulues. En 2011 ELENA a produit de grandes quantités d’antihydrogène pendant une quinzaine de minutes afin d’étudier leurs propriétés. L’expérience Gbar est aussi sur la piste de l’antigravité.

AEGIS (Antihydrogen Experiment: Gravity, Interferometry, Spectroscopy) utilise un faisceau d’antihydrogène pour mesurer l’effet de la gravitation terrestre sur l’antimatière. L’expérience AEGIS devrait apporter la première mesure directe d’un effet gravitationnel sur un système d’antimatière. Afin de montrer que l’antihydrogène monte au lieu de tomber (qu’elle antigravite comme on dit), il faut s’assurer qu’il soit presque au repos, donc loin de toute agitation thermique, c’est-à-dire à très basse température. Les scientifiques de l’expérience vont devoir le refroidir à quelques microkelvins, c’est là une des difficultés de cette expérience, dont on devrait avoir les résultats dans les mois qui viennent.

Conclusion

  • La gravitation est un domaine de recherche très actif.
  • Sa quantification reste un défi, quelle est la bonne solution ? Cordes ? Gravité à boucles etc.
  • On ne comprend pas l’énergie noire actuellement.
  • L’antimatière pourrait jouer un rôle de masse négative dans l’Univers.
  • Cette hypothèse pourrait expliquer beaucoup de choses incomprises actuellement.
  • Les 3 expériences du CERN devraient nous en apprendre plus dans quelques années.

Merci à Olivier Laurent qui a assuré la rédaction de ce compte rendu.

La présentation est disponible sur le site de Jean-Pierre Martin (président de la commission de cosmologie), ICI.

Le livre de Gabriel Chardin est disponible à la bibliothèque de la SAF (cote 8515).