Compte rendu de la conférence mensuelle du 9 septembre 2020

Les stations spatiales passées, présentes et futures

Conférence donnée par Jean-Pierre Martin, physicien, président de la Commission de cosmologie de la SAF

Crédit : Jean-Pierre Martin

Quand on parle Station Spatiale, on pense tout de suite à l’ISS (Station spatiale internationale) qui tourne au-dessus de nos têtes. Mais l’ISS n’a pas été construite à partir de rien, elle est l’aboutissement d’une lignée de prédécesseurs plus ou moins chanceux.

Dans les années d’après-guerre, les grandes nations spatiales, USA et URSS en tête, se posaient la question de savoir si l’Homme pourrait vivre dans l’espace ; l’idée de stations spatiales germait dans les cerveaux de Korolev et von Braun. C’était pour eux le premier pas vers les autres planètes. Leur avènement était alors inéluctable.

Nous allons les passer en revue dans l’ordre chronologique et étudier les particularités de chacune ainsi que les dangers et problèmes auxquelles elles ont été confrontées. Les glorieux ancêtres : Saliut, MIR et Skylab. Actuellement l’ISS et la station chinoise sont en orbite. On envisage pour une nouvelle (re)conquête de la Lune (et plus loin), une mini station spatiale (Gateway) autour de la Lune, servant d’avant-poste aux futures missions lunaires et lointaines.

Les stations Saliut

Illustration de la station spatiale Saliut 4. Crédit : NASA

Ce sont nos amis Soviétiques qui dégainèrent les premiers avec la première station habitable Saliut 1 lancée en 1971. N’oublions pas que les Soviétiques viennent de perdre la course à la Lune, ils avaient besoin de ce succès : être les premiers à avoir une station orbitale.

Elle est lancée par une puissante fusée Proton, et permet d’accueillir trois cosmonautes qui s’y rendent grâce à un module Soyuz. Plus tard une version plus évoluée de Saliut possédera deux ports d’amarrage, permettant ainsi d’accepter deux Soyuz ou un Soyuz et un Progress vaisseau de ravitaillement (vaisseaux toujours utilisés).

Les premiers problèmes arrivent : Soyuz 10 est prévu pour s’amarrer, mais l’écoutille ne s’ouvre pas, donc retour sur Terre, c’est Soyuz 11 qui prend la suite. Amarrage parfait, séjour à bord d’une vingtaine de jours, puis retour sur Terre. Les cosmonautes ne sont pas équipés de scaphandres étanches, un problème survient lors de la rentrée, une explosion trop forte de tous les boulons explosifs fait que la capsule perd son atmosphère alors que l’on est encore en altitude. L’équipage est perdu ! Encore un drame national pour les Russes qui viennent de perdre Gagarine. Soyuz sera modifié, il deviendra le Soyuz-T.

La nouvelle génération ce sera Saliut 6 et 7 avec deux ports d’amarrage. Saliut 6 est lancée en 1977 et Saliut 7 en 1982. Saliut 6 est désorbitée en 1982 et Saliut 7 en 1991.

Saliut est formée d’une seule structure de 18 t qui rentre sous la coiffe d’une Proton et donne à l’équipage un volume de 100 m3 à disposition. Pour un équipage de trois (deux plus tard) ce n’est pas trop mal, on fera mieux avec les MIR et ISS. Saliut comprend un laboratoire orbital et une partie habitation.

Le concept est né dans les années 1960 quand l’URSS menait la course spatiale en tête. De là naîtront les premières versions. À l’origine, on étudie même une version militaire (Almaz), nous sommes en pleine guerre froide. Puis le projet devient civil sous la dénomination que l’on connaît. Il est à noter que c’est cette station qui emporte le premier astronaute français, Jean Loup Chrétien, le 24 juin 1982. Il y restera jusqu’au 2 juillet. C’est le premier vol habité français. Il retournera plus tard dans l’espace à bord de Mir. Ce sont ces stations Saliut qui permirent aux Russes de se familiariser avec la vie dans l’espace longue durée, ce qui va déboucher sur la station Mir.

La station Skylab

La station Skylab 2. Crédit : NASA

Lorsque l’Amérique gagne la course à la Lune, le public se désintéresse peu à peu de l’espace, et les missions suivant Apollo 17 sont annulées (A18 à 20) par la NASA et le Congrès. Il restait alors des capsules (l’une deviendra Apollo 18, pour un rendez-vous avec Soyuz) et des lanceurs Saturn V. En bricolant astucieusement le troisième étage d’une de ces fusées (le S-IVb) celui-ci deviendra la structure de Skylab. On va l’équiper de larges panneaux solaires pour fournir l’électricité à bord. Il sera surmonté d’un système d’adaptation pour recevoir une capsule Apollo et le télescope. Elle deviendra la première station spatiale américaine de 1973 à 1979.

La station elle-même est envoyée en orbite terrestre basse par une fusée Saturn V en mai 1973, l’équipage devant suivre quelques jours après à bord d’une capsule Apollo (CSM : Command and Service Module) au sommet d’une Saturn IB. Trois missions étaient prévues.

La vie de Skylab n’a pas été non plus un long fleuve tranquille. Quelque chose s’est mal passé au lancement du laboratoire orbital, les contrôleurs au sol notent que la température intérieure augmente énormément, de même, le niveau de production d’électricité n’est pas conforme, les panneaux solaires ne semblent pas fonctionner. On change l’orientation de la station pour réduire la température, mais cela ne suffira pas. La mission est-elle perdue ?

En désespoir de cause, on retarde le lancement de l’équipage. Il faut trouver une solution. Je trouve nos amis Américains formidables, quand il faut sauver une mission, ils savent réagir promptement. On se rend compte rapidement que l’écran de protection a disparu, on va le remplacer par un bricolage d’un « parapluie » en Mylar qu’un astronaute déploiera le moment venu.

Un des panneaux solaires a aussi disparu lors du lancement et le deuxième ne s’est pas ouvert, là aussi un bricolage avec cisaille devrait permettre le déploiement. Si tout cela fonctionne la station sera opérationnelle et le télescope et l’observatoire solaire seront une première dans l’espace. Maintenant il suffit d’exécuter !

Le 25 mai 1973, l’équipage (Charles C. Conrad Jr., Commandant, Paul J. Weitz, pilote, Joseph Kerwin, scientifique) décolle de Cape Kennedy. Le laboratoire est depuis 11 jours dans l’espace sans refroidissement ni électricité. La mission Skylab I est prête. Premier survol pour visualiser l’étendue des dégâts. Le bouclier thermique a disparu, le panneau solaire ne s’est pas ouvert, le deuxième a été arraché !

Le parasol est déployé, le panneau solaire débloqué, les astronautes pénètrent à l’intérieur où la température prend une allure normale maintenant (26°C dans quelques jours), la puissance électrique est faible mais suffisante ; la station est sauvée. L’équipage peut travailler, ils vont rester près d’un mois à bord. Les premières études du Soleil hors de l’atmosphère terrestre ont lieu et l’équipage a la chance d’assister en direct à une éruption solaire qu’ils vont suivre de bout en bout.

Une autre mission va suivre, la deuxième, Skylab II avec Bean, Lousma et Garriot, ils resteront 60 jours dans l’espace. Ils continueront les expériences scientifiques sur le Soleil et l’étude de la Terre ainsi que diverses fonctions médicales. Ils procéderont à de nombreuses EVA (sorties extravéhiculaires). Ils vont être le premier équipage à mettre en évidence l’influence de la microgravité sur l’organisme. De plus c’est une vraie station, il y a plein de place, beaucoup plus grande que Saliut.  C’est une répétition de ce qui se passera avec l’ISS. On essaie même à l’intérieur qui est tellement vaste, quelque chose qui ressemble au MMU – Manned Maneuvering Unit, un système de propulsion développé par la NASA pour permettre aux astronautes de se déplacer de manière autonome dans le vide au cours de leurs sorties extravéhiculaires – qui sera utilisé bien plus tard

Et c’est l’ultime mission Skylab III, lancement de l’équipage (Carr, Pogue et Gibson) le 16 novembre 1973 ; ce sera la mission la plus longue, puisqu’ils ne rentreront sur Terre que le 8 février 1974. Nombreuses observations scientifiques.

Leur planning à bord était de plus en plus compliqué et chargé, ce qui donna lieu à de nombreux problèmes avec les équipes au sol, certains ont même parlé de mutinerie ! Néanmoins tout se termine bien.

En conclusion concernant Skylab, personne ne parle de cette mission qui a été précurseur de l’ISS et qui a apporté une multitude d’informations à ceux qui vont développer cette ISS. On a étudié le Soleil, on a pu étudier la Terre sous tous les angles et dans toutes les longueurs d’onde, on a battu des records de durée en orbite. On aurait dû continuer à lancer des équipages mais le développement de la navette a consommé tous les crédits. Skylab est rentré dans l’atmosphère en juillet 1979.

La station Mir

La station spatiale Mir. Crédit : NASA

Les Russes sautent un cran dans la difficulté, Mir est la première station orbitale construite en plusieurs modules. L’occupation humaine devient permanente à partir de Mir ! Le mot Mir en russe a deux significations : paix ou monde.

C’est en fait une continuation de la station Saliut comprenant plusieurs modules. Le premier module, le module central, est lancé en février 1986 par une fusée Proton. Elle comporte en tout cinq autres modules qui seront lancés successivement. On remarquera que le module central possède en son extrémité une pièce d’adaptation comportant cinq ports d’amarrage pour les modules supplémentaires.

Le module Kvant-1 est amarré à la pièce centrale en mars 1987. Il contient des instruments scientifiques et astronomiques.  Kvant signifie quantum ou quanta. Les modules suivants ont ensuite été ajoutés : Kvant-2 (1989) ; Kristall  (1990); Spektr et Priroda (en 1996). Spektr est particulièrement dédié à l’étude de la Terre. On le reconnait facilement grâce à ses 4 panneaux solaires.

Notons que le module Kristall dédié plutôt à la biologie possède un sas d’amarrage pour la navette spatiale américaine, il avait d’ailleurs été apporté par celle-ci (Atlantis) lors d’un voyage vers Mir. Le dernier module est Priroda (nature en français), lui aussi dédié à l’observation de la Terre, il emporte aussi un radar à synthèse d’ouverture.

Mir a accueilli de très nombreux équipages, au début des Russes ou des citoyens de pays « frères », puis l’admission d’autres nationalités a été autorisée. Notamment, des cosmonautes français ont participé à de nombreux séjours sur Mir comme par exemple :

  • En 1988, le retour de Jean-Loup Chrétien dans l’espace, avec la mission Aragatz, il est resté un peu moins d’un mois à bord de Mir et il a effectué une EVA de 6 heures.
  • En 1992, Michel Tognini pour la mission Antarès qui durera 15 jours.
  • En 1993, c’est au tour de Jean-Pierre Haigneré de monter à bord pour la mission Altaïr pour 3 semaines.
  • En 1996, Claudie André-Deshays (qui deviendra Claudie Haigneré) est la première Française astronaute, elle participe à la mission Cassiopée et restera quinze jours à bord. Elle est médecin, rhumatologue, docteur en neurosciences, et aura la chance d’aller plus tard dans l’ISS aussi.
  • En 1998, notre « basque bondissant » Léopold Heyarts est envoyé à bord de Mir pour la mission Pégase, elle durera 3 semaines et lui aussi aura la chance de pouvoir ensuite voler vers l’ISS.

Mais la grande nouveauté avec Mir, c’est l’effondrement de l’URSS qui vient de se produire, il va favoriser le rapprochement russo-américain. Les navettes vont avoir le droit de s’amarrer à Mir et de participer à des séjours avec les cosmonautes russes. C’est le programme Shuttle-Mir de 1994 à 1998. Plus d’une dizaine de navettes vont se connecter à Mir pendant cette période.

Des astronautes américains séjourneront aussi à bord, mais la qualité de la station commence à laisser à désirer. On a dit aussi beaucoup de chose sur l’odeur à bord de Mir, et bien c’est vrai, Mir sentait dans le meilleur des cas…les pieds (sales bien sûr). D’autre part on a détecté à bord des moisissures de tous ordres. Cela a aidé à ne pas faire les mêmes erreurs pour concevoir l’ISS.

En fait, les Russes n’ont plus beaucoup d’argent pour l’entretenir correctement (fuites, scaphandres douteux..) et ce qui devait arriver, arriva : on a frôlé une catastrophe majeure, le feu s’est déclenché à bord ! On est le 23 février 1997, il y a six astronautes à bord dont un Américain, Jerry Linenger. Lors d’une intervention normale sur un générateur à oxygène, une cartouche s’enflamme, le feu se propage. Une fumée très importante envahie toute la station, les cosmonautes sont obligés de porter des masques, on hésite à évacuer.

Mais on arrive à maitriser la station. Tout le monde a eu chaud, c’est l’accident le plus grave avec la collision d’un Progress quelques mois plus tard qui occasionna une fissure (Michael Foale s’en souvient). On a frôlé la catastrophe !

Bref, il est temps de mettre Mir à la retraite. Mir sera désorbitée début 2001 après 15 ans en opération. Une anecdote plus amusante maintenant, les Soviétiques voulant habituer leurs cosmonautes à des vols longue durée (simulation Mars), Serguei Krikalev devait rester au moins 10 mois à bord, mais c’était entre 1991 et 1992, or à cette époque, c’est le chaos au sol, l’URSS n’existe plus, la Russie renait. Krikalev parti citoyen soviétique est rentré …Russe, son pays avait disparu en partie. Pour le récompenser, il participera à l’aventure ISS. Il ira 6 fois dans l’espace !

La Station spatiale internationale, l’ISS

La Station spatiale internationale (ISS). Crédit : NASA

C’est en 1982 que les USA, sous mandat de Reagan, en pleine guerre froide, ont commencé à réfléchir à une telle station spatiale, elle devait s’appeler Freedom au début et se voulait un contrepoint aux stations Saliut et Mir soviétiques. Mais probablement le coût apparaissant énorme, on se tourne plus tard vers une coopération internationale.

C’est l’Europe (ESA) qui se décide en premier, puis le Canada (CSA) qui va fournir un bras robotisé comme sur la navette et le Japon (JAXA). La station est rebaptisée Alpha. Puis se produit en 1986 le terrible choc de l’accident de Challenger qui retarde et modifie complètement ce projet. Le projet initial chiffré à moins de 10 milliards $ est révisé à la hausse à 25 G$, ce qui sera loin d’être son coût final (évalué à plus de 100 milliards $).

Le régime communiste s’étant écroulé, l’administration Clinton invite en 1993 la Russie (Roscosmos) à participer au projet, grâce à son expérience avec la station Mir ; la Russie avait d’ailleurs dans ses cartons une station Mir-2 en étude, cela servira de base au premier module russe. C’est à ce moment que la station reçoit son nom d’ISS.

La conception de cette station est modulaire. Elle doit être placée en orbite terrestre basse (LEO : Low Earth Orbit) à 400 km d’altitude et occupée en permanence par un équipage international d’astronautes. Occupée au début par 3 personnes puis par 6 à partir de 2009 en permanence. Sa construction démarrera en 1998. Une fois finie, l’ISS aura une longueur de 110 m, 75 m de largeur et 30 m de hauteur. Sa masse est de l’ordre de 400 tonnes. Les panneaux solaires une fois tous installés, devraient fournir plus de 100 kW d’électricité et couvrir 2500 m2.

Une douzaine de modules sont pressurisés procurant un espace de 900 m3 approximativement dont 400 m3 réellement habitables. La construction durera plus de 10 ans et nécessitera 150 EVA. Le principe : un axe pour les modules pressurisés et un axe pour la poutre supportant instruments et panneaux solaires.

L’ISS n’est pas positionnée n’importe comment dans l’espace. On a vu que l’ISS est construite en croix, un axe avec les modules pressurisés et un axe avec la poutre supportant les équipements externes (panneaux solaires, refroidisseurs etc..). L’ISS avance sur son orbite dans le sens de la partie pressurisée et l’avant est vers le nœud Harmony et les laboratoires Columbus et Kibo. L’arrière est vers le module Zvezda. Dans ces conditions on définit le haut vers le Zénith et le bas vers le Nadir. De même on définit la droite (starboard) et la gauche (port) comme sur un navire.

Même à 400 km d’altitude, l’atmosphère existe, elle est très ténue, mais présente et produit une trainée sur l’ISS qui immanquablement la fait redescendre sur Terre. De plus cette trainée n’est pas constante, elle dépend aussi de l’activité solaire. L’ordre de grandeur de perte d’altitude est approx. 100 m/jour ou quelques km par mois. C’est bien sûr inacceptable, il faut de façon permanente rehausser l’orbite de la station.

Plusieurs possibilités existent : les cargos Progress, les ATV européens, les cargos japonais HTV, et les modules Zvezda et Zarya en secours. Ces différentes vaisseaux/modules sont équipés de moteurs permettant l’augmentation de vitesse de la station, remontant ainsi son orbite de quelques km. De plus ces moteurs peuvent aussi être actionnés en cas d’alerte collision avec des débris spatiaux.

Le premier élément est lancé en 1998 par les Russes (fusée Proton), c’est le module Zarya (aube), il est construit par les Russes mais payé par les Américains. Cela va être le point de départ du raccordement d’autres modules. Zarya est relativement spacieux.

À la fin de l’année 1998, la navette STS-88 accroche le module de jonction américain (on appelle cela des nœuds) numéro 1 qui va prendre le doux nom de Unity. En 2000 on rajoute le module de service Zvezda (étoile), ce sera le premier élément de la structure de vie pour les astronautes. Il pourra accueillir deux astronautes. C’était en fait le cœur de la station Mir et devait servir à élaborer la mort-née Mir-2. À partir de ce moment l’ISS est habitable.

En octobre 2000, une mission navette amène le premier élément de poutre (poutre Z1 Z pour Zénith) auquel tous les futurs éléments de poutre seront attachés ainsi qu’un port d’amarrage. Toutes les missions vers l’ISS vont s’appeler « Expedition N » en démarrant avec N=1. Actuellement septembre 2020) on en est à l’Expedition 63.

Et la première mission habitée (Expedition 1) est un équipage mixte russo-américain qui comprend notre célèbre ami Krikalev. Départ de Baïkonour le 31 octobre 2000 avec Soyuz TM-31 pour un long séjour de 140 jours. Le rôle de ce premier équipage : mettre en route la station et préparer l’arrivée de la deuxième mission.

Durant ce séjour, plusieurs missions navette sont venues leur rendre visite, amenant à chaque fois de nouveaux équipements et notamment une paire de panneaux solaires augmentant ainsi la production d’électricité à bord.

Ce fut la mission de STS-97 qui permit l’installation de la première paire de panneaux solaires ainsi que le port d’attache pour le module suivant Destiny. Ce laboratoire américain, Destiny, va justement être apporté par la navette Atlantis en février 2001, il sera monté à la suite du port qui vient d’être installé à l’avant de l’ISS.

Discovery servira de transporteur de retour pour cette première expédition, les astronautes seront restés plus de 4 mois à bord. Ils sont remplacés par l’Expedition 2 qui venait juste d’arriver avec la même Discovery. Ils resteront près de 6 mois à bord.

C’est pendant cette deuxième expédition que l’on va installer le bras articulé canadien, Canadarm2 et le sas Quest permettant des sorties sûres dans l’espace pour les astronautes américains ; cela étant effectué grâce à de nombreuses EVA.

Comment travaille-t-on dans l’espace ? Difficilement ! L’apesanteur n’aide pas, car selon la 3ème loi de Newton, si vous faites une action, il y a immédiatement une réaction de sens opposé. Donc si vous vissez une vis avec une visseuse, c’est vous qui tournez !

Il faut donc s’accrocher quelque part. D’autre part les outils doivent être dimensionnés pour des gants d’astronautes. Une solution pour en limiter le nombre à bord : imprimante 3D pour faire des outils.

De plus il faut d’abord s’entrainer sur Terre pour répéter les mouvements que l’on va faire dans l’espace. À cet effet, on effectue tous ces mouvements en piscine sensée s’approcher de l’apesanteur spatiale. Une réplique de l’ISS est immergée dans le Neutral Buoyancy Laboratory à Houston.

Que respire donc nos astronautes à bord de l’ISS et dans pendant leurs EVA ? À bord de la station : on respire exactement le même air que sur Terre au niveau du sol et à la pression de 1 bar (exactement 1013 mb ou 14,7 PSI).

Le CO2 est éliminé par un filtre chimique appelé zéolite. Les autres gaz produits par le corps humain sont enlevés à l’aide de filtre au charbon actif, tout ceci grâce à un équipement situé dans le module Tranquility.

L’air est fabriqué à partir d’électrolyse de l’eau (séparation de H et O de H2O par courant électrique crée par les panneaux solaires), l’hydrogène est évacué vers l’extérieur et l’oxygène est envoyé dans la station. Ce module est situé dans Destiny. Il existe aussi un système analogue (Elektron) dans la partie russe de l’ISS (Zvezda), mais il semble qu’il n’ait pas donné entièrement satisfaction.

De plus, en cas de problème il y a toujours des systèmes de secours avec de nombreuses bonbonnes d’oxygène apportées par les ravitailleurs et il existe à bord des « chandelles à oxygène », les SFOG (solid fuel oxygen generator). Le même système est employé à bord des avions, quand on tire sur le masque, cela déclenche la réaction chimique. Chaque chandelle peut fournir de l’oxygène pendant un jour pour un astronaute.

Maintenant à propos d’EVA (Extra Vehicular Activity) et des scaphandres de sortie dans l’espace. Eh bien ce n’est pas une opération simple, cela prend plusieurs heures de préparation. Pourquoi ? L’air dans la combinaison n’est pas du tout le même que celui de l’ISS. En effet, l’astronaute va respirer de l’oxygène pur sous faible pression. Si on voulait utiliser l’air à 1 bar, le scaphandre serait trop rigide et difficilement manipulable.

On va donc utiliser une pression plus faible (en gros 1/3) mais à cette pression il n’y a pas assez d’oxygène pour le cerveau, donc on utilise de l’oxygène pur. C’est la raison pour laquelle comme pour les plongeurs, on demande aux astronautes, pendant trois heures de se ventiler à l’oxygène pur afin de se libérer de l’azote du sang, avant de sortir.

C’est le rôle du sas Quest. Si cette ventilation forcée n’était pas faite, un accident identique aux accidents de décompression se produirait à l’extérieur, des bulles d’azote se formeraient dans le sang. On ne peut donc pas sortir sur un coup de tête ! De plus il faut adapter la pression de l’ISS avant la sortie, donc c’est une opération qui doit être parfaitement planifiée. Les réserves pour une EVA peuvent atteindre une dizaine d’heures.

Les différents types de scaphandres : Il y a deux types de scaphandre, l’américain et le russe. L’américain s’appelle EMU : Extra Vehicular Mobility Unit et le russe Orlan (veut dire aigle en russe). L’EMU est principalement composé de deux parties : le vêtement lui-même (SSA : Space Suit Assembly) et le « sac à dos » PLSS (Portable Life Support System). Il possède 14 couches différentes pour se protéger contre les micrométéorites et la température. L’Orlan est d’une seule pièce, la partie arrière comportant les réserves d’eau et d’oxygène et toute l’électronique s’ouvre comme une porte de réfrigérateur et le cosmonaute se glisse dedans tout seul. Tous deux sont équipés d’un mini propulseur en cas d’éloignement non prévu de la Station. Les Russes utilisent leur propre sas, le module Pirs.

Comment vit-t-on à bord de l’ISS ? Si les tout premiers astronautes devaient se retenir (ou pas, voir le vol d’Alan Shepard), ce n’est plus pensable pour des vols longues durées. Les astronautes d’Apollo avaient des sachets pour recueillir les mixions, cela suffisait, les missions étaient relativement courtes. Mais avec les stations spatiales et la navette, la donne a changé, il fallait s’intéresser au problème.

Les Russes ont été en avance avec la station Mir et leur système installé dans la partie russe de l’ISS (dans le module Zvezda), c’est pour cette raison que la NASA a signé un contrat avec Energia (Russie) pour un nouveau système de toilettes avec un peu plus d’espace privé que le système actuel. L’urine devrait être récupérée par un système américain qui la recyclera en eau potable. Les Américains ont préféré acheter ce système aux Russes plutôt qu’en développer un eux-mêmes. Ce nouveau système sera installé du côté américain de la station, l’ancien système restant côté russe. Cette extension est nécessaire car l’équipage permanent de la station à 6 membres est une réalité depuis 2009.

La grande différence avec les systèmes terrestres, c’est bien évidement l’absence de gravité ; elle est remplacée par une aspiration par de l’air, de même il faut s’attacher différentes parties du corps (pieds, cuisses) avec du Velcro afin de rester dans la bonne position sinon on se mettrait à flotter. Les matières solides sont compactées et stockées avant d’être éliminées, et l’urine est recyclée. Les restes solides sont récupérés dans des sacs plastiques qui seront ensuite stockés dans un Progress et bruleront avec lui dans l’atmosphère.

On récupère tout à bord de l’ISS, donc les eaux usées comme : l’urine, l’eau nécessaire pour l’hygiène, ainsi que l’humidité de l’air conditionné. Tout est recyclé par le WRS (Water Recovery System). Cela évite des transports coûteux de conteneurs d’eau en provenance de la Terre. L’urine est filtrée en osmose inverse, l’eau est séparée de l’urée, l’eau à ce stade est récupérable.

Au début, la nourriture à bord de l’ISS était fournie et emballée moitié moitié par les USA et la Russie. (Je sais qu’à l’époque où il y avait des français à bord de la navette ou de l’ISS, il y avait une exception et nos astronautes avaient pu embarquer une nourriture plus « typique »). Depuis cette époque, de nombreuses nationalités étant venues à bord, elles ont pu amener leurs spécialités. Il en résulte une variété de conteneurs, boîtes   et types d’aliments qui reflète la variété des différentes cultures. La partie cuisine est située dans la partie russe de l’ISS (Zvezda) et une table supplémentaire dans Destiny et les aliments US doivent s’adapter aux ustensiles russes notamment pour la réhydratation et le réchauffement des plats.

Les Russes utilisent plutôt des boîtes de conserves et des tubes, alors que les américains des sachets de nourriture lyophilisés et à réhydrater. Le packaging russe n’a pas beaucoup changé depuis les années 1970.

La nourriture spatiale doit être conditionnée spécialement afin qu’elle ne soit pas contaminée par des microbes, ce qui là-haut poserait d’énormes problèmes. La feuille plastique qui enrobe la nourriture US est bien entendu un multicouche plastique à base de nylon et avec des couches « barrière » à l’oxygène. Le produit est livré scellé sur 3 côtés et la  NASA rajoute l’aliment puis le purge à l’azote avant de faire le vide et de sceller le quatrième côté. Ils sont ensuite enveloppés dans une feuille d’alu. Pour le réhydrater on introduit une paille spéciale dans l’ouverture et hop c’est bon comme à l’origine (il paraît). Il peut apparaître sous la forme de sachet sous vide, surgelé ou dans un bol avec couvercle adhésif. Il y a un ensemble réfrigérateur (RFR) dans l’ISS pour stocker ces plats.

Le pain pose problème, à cause des miettes, car elles peuvent s’infiltrer partout en apesanteur (filtres, nez, yeux..) et sont donc dangereuses. Le pain n’est donc pas présent à bord, il y a seulement une sorte de tortilla. De même le sel et le poivre n’existent pas sous forme de poudre comme pour les Terriens, ils sont sous forme liquide.

Et le goût ? La langue perçoit les saveurs différemment dans l’espace, les plats sont fortement épicés pour qu’ils puissent avoir du goût. Beaucoup de grands chefs conçoivent des plats pour les astronautes qui les apprécient. Il y a aussi des repas spéciaux pour Thanksgiving, Noël etc..

L’ISS est un laboratoire orbital qui permet d’effectuer des expériences impossibles à faire sur Terre à cause de la gravité. Il y a plusieurs labos : Destiny (américain), Colombus (européen), Kibo (japonais) etc.. Les expériences sont de différentes natures :

  • Influence de la micropesanteur sur l ’organisme.
  • Étude des radiations et de la biocontamination.
  • Physique des fluides, combustion …
  • Physique fondamentale.

Une journée typique : étant donné qu’il y a 16 levers et couchers de Soleil, par jour, il fallait se mettre d’accord sur l’heure à bord : ce sera GMT (UTC).

  • Réveil des troupes : 6 h 00.
  • Petit déjeuner.
  • Contact avec le centre de mission pour connaître la charge de travail de la journée.
  • Début du travail de la journée : 8 h 00 : exercice obligatoire (tapis, rameur etc.. un le matin, un l’après-midi).
  • Fin de la journée de travail vers 19 h 30.
  • Dîner et discussion commune.
  • Période libre, détente et repos : on dort dans des sacs accrochés aux parois, ils contiennent des objets personnels et un PC.

On ne travaille pas le samedi après-midi et le dimanche. On se lave avec des lingettes humides, un shampoing sans rinçage et la pâte dentifrice est à avaler.

Jusqu’aux années 2007, ce sont principalement les éléments de poutre (panneaux solaires, instruments..) qui sont transportés par les divers équipages. Si bien que l’ISS commence à avoir à peu près son allure définitive. C’est à partir de fin 2007 que de nouveaux importants modules vont être apportés. Le module Harmony ou Node 2, construit par les Européens (Thales Alenia) est transporté par la navette STS-120 en octobre 2007 et assemblé à la station. Il doit servir de liaison entre Destiny, le module américain et les futurs laboratoires européens Columbus et japonais Kibo qui viendront avec les missions suivantes.

Le 8 février 2010, la navette Endeavour (mission STS 130) se dirige vers l’ISS avec deux nouveaux modules européens : l’élément de jonction Node-3 baptisé Tranquility, et la coupole (Cupola). Ces deux éléments mettent un point final à la construction de l’ISS.

De plus, Node-3 se charge de l’élimination du CO2 à bord de la station, de la production d’oxygène et du recyclage de l’eau. Non négligeable aussi, cet élément comporte des toilettes supplémentaires, nécessaires quand 6 astronautes sont à bord en permanence.

À ce noeud-3 sera attachée la fenêtre panoramique d’observation (la coupole ou Cupola) qui en plus d’observer la Terre devrait aussi permettre de surveiller et commander les manœuvres des bras télémanipulateurs.

Plusieurs vaisseaux sont venus s’amarrer à l’ISS pour amener soit du ravitaillement soit des astronautes, soit les deux.

  • La navette spatiale, elle a participé à la construction de l’ISS.
  • Les vaisseaux Soyuz, véritables 2CV de l’espace pour amener les astronautes.
  • Les cargos Progress, une version Soyuz pour amener ravitaillement et consommables.
  • Les cargos ATV de l’ESA.
  • Les cargos HTV des Japonais.
  • Les vaisseaux Cygnus de Orbital Sciences.
  • Les vaisseaux Dragon de SpaceX.
  • Les nouveaux : Orion, Crew Dragon, Starliner…

Tous ces vaisseaux vont s’amarrer à différents ports de l’ISS, ceux-ci ne sont pas tous identiques, on réfléchit à un système commun.

Les dangers du vol spatial :

  • L’effet de la microgravité pour les longs séjours. Sang vers le haut, perte de Ca, allongement. Étude sur les Kelly (jumeaux) un à bord de l’ISS l’autre à Terre ! L’ADN a été modifié. Déformation des globes oculaires.
  • La protection contre les objets en orbite. Les modules américains sont constitués de feuilles d’aluminium de quelques mm, montées extérieurement et à 10cm de distance de la coque de l’ISS. L’inter espace rempli avec des matériaux absorbants multicouches comme du Kevlar pour augmenter l’efficacité. Certaines parties, les plus importantes, les modules habités, sont équipées extérieurement de plaques d’alu plus épaisses.
  • Mais un danger plus sournois les guette, les radiations. Plus de 6 mois exposés à cette dose de radiations, ils ont dépassé leur capital radiation pour la vie entière

Le futur de l’ISS

La construction de l’ISS a pris près de 13 ans, a nécessité plus de 100 lancements de fusées et 160 EVA. Le coût actuel estimé est de 100 milliards de $. L’ISS a été occupée depuis l’an 2000 de façon permanente, maintenant par 6 astronautes. Son existence est toujours remise en question dû au coût astronomique ; néanmoins, la NASA et Roscosmos ont décidé de prolonger la durée de vie de la station (cela veut dire le financement) jusqu’en 2024, maintenant 2030, et ceci bien que les Russes désirent construire leur propre station. Ce serait dommage de laisser brûler dans l’atmosphère un si bel outil expérimental. Possibilités : privatisation, hôtel de l’espace etc..

Tiangong, la station Chinoise

Tiangong-1. Crédit : CMSE/China Manned Space Engineering Office

On sait très peu de chose sur le programme spatial chinois, on sait seulement qu’il est très ambitieux : station spatiale permanente ; la Lune, Mars etc.. Ils travaillent depuis longtemps sur l’ébauche d’une station spatiale, qui s’inspire de celle des soviétiques, comme Saliut, leurs vaisseaux Shenzhou étant d’ailleurs des versions améliorées des Soyuz. Rappelons que la Chine avait été exclue par les USA du programme de l’ISS de peur d’espionnage comme on peut le supposer et de fuites vers une application plus militaire de l’espace.

Finalement la Chine lance le premier élément de sa station orbitale Tiangong-1 (Palais Céleste) en 2011, il pèse près de 8500 kg, pour comparaison, le module de base de l’ISS, Zaya a une masse double. Un vaisseau Shenzhou 8 inhabité, est lancé quelques jours après et effectue un rendez-vous automatique avec le module Tiangong.

Ce n’est qu’en juin 2012 que la Chine à l’aide d’une fusée « Longue Marche 2F » lance un nouveau vaisseau Shenzhou-9 avec pour la première fois une femme astronaute de 33 ans à bord : elle s’appelle Liu Yang, native de la province du Henan, elle est aussi pilote d’avion.

Mi-septembre 2016, la Chine procède au lancement de sa deuxième station spatiale Tiangong 2 toujours par une fusée Long March 2F depuis la base spatiale de Jiuquan dans le désert de Gobi.

La station Tiangong 2 : 10m de long, 3,3m de diamètre, 8,6 tonnes en orbite à 390km d’altitude. Cette station est une étape d’un projet plus ambitieux, la Chine s’intéresse en effet à Mars. Il est composé de deux modules, un module de vie et d’expériences et un module de stockage et de propulsion.

À partir de 2020/2021, la Chine devrait construire une station spatiale plus ambitieuse, Tiangong-3. Elle comporterait 3 modules s’inspirant des versions précédentes et procurerait près de 100 m3 de volume habitable. Il faut remarquer que si on maintient l’abandon de l’ISS vers 2022-2024, la Chine aura la seule station spatiale en service à cette époque !

La station lunaire Gateway

Le projet Lunar Gateway. Crédit : NASA

Un possible retour sur la Lune par de nombreuses nations, notamment les USA, amène au développement d’une base spatiale internationale autour de la Lune servant de point de départ pour des expéditions lunaires (Gateway).

En s’inspirant de l’ISS, elle pourrait servir d’avant-poste pour aller sur la Lune ou plus loin. Cet avant-poste devrait contenir plusieurs modules, dont certains en cours de définition.

  • Power and Propulsion Module (PPE) fourni par le JPL et Maxar, propulsion électrique et chimique et centre de communication. Lancement par société privée.
  • US Habitation Module construit par Northrop Grumman, basé sur les cargos Cygnus envoyés par Orbital ATK.
  • ESPRIT (European System Providing Refuelling, Infrastructure and Telecommunications) fourni par l’ESA.
  • International Habitation Module.
  • Gateway Logistics Module avec bras robotisé Canadarm 3 fourni par les Canadiens.
  • Airlock Module pour les EVA.

Les 3 premiers modules devraient être installés en 2023.

Compte rendu fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur le site web de Jean-Pierre.