Albert Ducrocq : une voix, un homme, une légende

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été attiré par les merveilles de la Nature et les Sciences. Impossible donc, dans ces conditions, d’échapper à Albert Ducrocq. Comme beaucoup, ce fut pour moi d’abord une voix sur Europe n°1. Dès la fin de l’école, je courais à toutes jambes pour rentrer à la maison et tenter d’entendre ce débit incroyable nous raconter l’actualité spatiale. Quelle énergie, quelle flamboyance, quel talent ! C’était pour moi LE Monsieur qui connaissait tous les engins, toutes les fusées, tous les astronautes et cosmonautes qui se livraient corps et âmes pour dépasser les limites, pour aller toujours plus vite, toujours plus loin, toujours plus haut… C’était aussi dans Pif Gadget et Sciences & Avenir ; je passais alors d’une voix radiophonique à des textes remarquablement documentés. Ses chroniques étaient ciselées, précises, ajustées : manifestement Albert Ducrocq était toujours bien informé.

Dix ans plus tard, j’ai rencontré Audouin Dollfus en deuxième année universitaire, et intégré son laboratoire à l’Observatoire de Meudon. Il me présente notamment Albert Ducrocq : une rencontre inoubliable ! Les deux hommes, déjà âgés, étaient amis, voisins à Chaville et complices depuis de nombreuses décennies. Les deux familles se fréquentaient et les enfants étaient allés à la même école. Je buvais leurs paroles, et je me pinçais de ne pas rêver.

Puis, dans le cadre des activités de la Société astronomique de France et du Parc aux Étoiles à l’Observatoire de Triel, nous avons commencé à travailler ensemble. Avec Bruno Daversin, nous organisons le 4 juillet 1997 le premier direct de l’histoire de l’exploration spatiale retransmis au grand public via Internet : c’est l’arrivée fracassante dans Ares Vallis de la sonde Mars Pathfinder. C’était inédit ! Sous une pluie torrentielle et un immense chapiteau en cette soirée d’été, je vivais un rêve éveillé : participer à un événement avec Audouin Dollfus, Albert Ducrocq, Philippe de la Cotardière et Jean-Paul Trachier ! Les trois fondateurs d’Espace & Civilisations étaient réunis et je présentais la géomorphologie d’Ares Vallis à leurs côtés ! Inoubliable. 1 400 personnes étaient venues à l’Hautil pour vivre cet incroyable exploit de la Nasa, pour nous entendre décrypter cette aventure plus de vingt ans après les missions Viking ! Olivier de Goursac était notre envoyé spécial au JPL à Pasadena. C’était le début de l’Internet pour tous : 500 millions de personnes s’étaient connectées ce jour-là au site internet de la mission pour découvrir le paysage de cette paléovallée martienne. Mars Pathfinder, alias Rocky, faisait ses premiers tours de roues sur Mars : magique ! Historique !

Nous nous sommes revus, et alors que l’Association Planète Mars venait tout juste d’être fondée en France en représentant la Mars Society de Robert Zubrin, je lui ai proposé de venir se joindre à nous pour vivre un nouvel événement spatial majeur : l’arrivée sur Mars de la sonde Mars Polar Lander. Albert a immédiatement accepté. Le 3 décembre 1999, au Palais de la Découverte, avec cette fois Audouin Dollfus, Alain Souchier, Philippe de la Cotardière et Richard Heidmann, Albert et moi tenions 1 200 personnes en haleine, venus pour vivre une nouvelle étape exceptionnelle : l’exploration des régions polaires australes de Mars. Malheureusement, la sonde et ses deux pénétrateurs furent perdus à l’arrivée. J’entends encore en moi raisonner la voix d’Albert s’écriant devant le public médusé du Palais : « Ça y est, on est sur Mars ! », à l’instant théorique précis où la sonde devait toucher la surface…

Gilles Dawidowicz

Vice-président de la Société astronomique de France

Crédit photo : © Thomas Raffoux