Anny-Chantal Levasseur-Regourd
Crédit : ESA
Une femme exceptionnelle nous a quittés
Il y a des nouvelles que nous n’aimerions jamais recevoir. Et même que nous pensions ne jamais recevoir.
Le Professeur Anny-Chantal Levasseur-Regourd a cessé de penser le 1er août 2022 dans sa 78e année. Nous perdons une amie. La France perd une chercheuse d’exception. Le monde perd un esprit éclairé.
Ce soir, alors que l’on s’apprête à célébrer une nouvelle Nuit des étoiles, je suis profondément navré et triste d’apprendre le décès de celle qui depuis des décennies incarnait un immense savoir et une incroyable passion pour les choses du ciel, et en particulier pour les comètes et les petits corps planétaires.
Anny-Chantal Levasseur-Regourd ne laissait personne indifférent. Elle était flamboyante, brillante, talentueuse.
Seule femme sélectionnée comme potentielle astronaute aux côtés de 52 hommes européens en 1977, Anny-Chantal Levasseur-Regourd aurait pu s’envoler pour l’espace avant Jean-Loup Chrétien et Patrick Baudry. Les circonstances politiques en auront décidé autrement. Anny-Chantal en restera affectée…
Diplômée de l’école Normale, agrégée de mathématiques, elle devient physicienne et choisit la recherche en astronomie. Elle participe à des missions spatiales majeures comme celles qui permettent d’étudier au plus près la comète de Halley (Giotto) et la comète Chyryumov-Gerasimenko (Rosetta et Philae), et devient l’une des spécialistes les plus réputées au monde de la physique cométaire et de l’étude des petits corps planétaires, ainsi que des poussières interplanétaires qui les composent.
Présidente de la commission des Comètes de la Société astronomique de France durant de nombreuses années, Prix des Dames en 1986, Anny-Chantal Levasseur-Regourd va beaucoup nous manquer et nous penserons à elle souvent, à son dynamisme, à sa belle personnalité, à tout ce qu’elle a apporté pour faire de ce monde un monde meilleur, avec intelligence, sensibilité, caractère et détermination.
Sa passion pour le partage et la transmission au plus grand nombre des dernières connaissances scientifiques en matière astronomique et spatiale, restera pour nous, un exemple à suivre.
Notre association s’associe de tout cœur à la peine de ses enfants et petits-enfants, de ses proches et de ses collègues.
Gilles Dawidowicz
Vice-président de la Société astronomique de France
Des échanges toujours passionnants
C’est à l’occasion de la préparation d’un numéro hors-série de l’Astronomie de la Société Astronomique de France, préparé en 2002 pour célébrer le vingtième anniversaire du premier vol d’un Français dans l’espace, que je me suis retrouvé pour la première fois en contact avec Anny-Chantal Levasseur-Regourd, par personne interposée… et dans une position un peu embarrassante : l’article que nous lui avions demandé de rédiger sur l’expérience d’astronomie Piramig, menée à bord de la station Saliout 7, s’était retrouvé à côté de souvenirs des cosmonautes ayant manipulé le dispositif sur orbite, et la scientifique avait eu le désagréable sentiment que leurs témoignages ainsi présentés minimisaient les résultats obtenus… Mais elle ne m’en avait pas tenu rigueur bien longtemps, puisqu’elle a toujours répondu positivement à mes diverses sollicitations par la suite, notamment pour relire un certain nombre de mes textes. Avec, à chaque fois, de longs appels téléphoniques ou des emails fleuves, toujours passionnants et enrichissants.
En juillet 2019, dans le numéro spécial d’Air & Cosmos remémorant les premiers pas sur la Lune, elle avait rappelé que la Lune reste encore un monde inconnu. Plus récemment, en juillet 2021, elle avait bien voulu rendre hommage au journaliste Albert Ducrocq, dont nous fêtions le centenaire de la naissance, et qui lui avait proposé d’écrire son premier ouvrage, « L’Atmosphère et ses phénomènes », paru en 1980 aux éditions du Vecchi. Enfin, elle a contribué à trois chapitres de notre ouvrage collectif, « Soixante ans d’histoires en France » (Ginkgo éditeur), consacrés à la sélection d’astronautes français (dans laquelle elle fut retenue en 1977), à l’expérience cométaire franco-soviétique Comet de 1985, et à l’atterrisseur européen Philae (déposé en 2014 sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko). Elle fut l’un de nos témoins les plus enthousiastes, et ses derniers messages ne tarissent pas d’éloges au sujet de notre recueil, dont elle ne put assister à la présentation officielle, le 18 juin dernier, à son grand regret – et au notre, évidemment.
« ACLR » paraissait infatigable et éternelle. Toute l’équipe de « Soixante histoires d’espace en France » est très triste aujourd’hui, tout comme l’ensemble des membres de la commission Astronautique et Techniques Spatiales de la SAF.
Pierre-François Mouriaux
Président de la Commission Astronautique et Techniques Spatiales
Un profond respect pour une femme inspirante
Mon premier souvenir d’Anny-Chantal Levasseur-Regourd doit remonter à une soirée d’automne 1985 où le club Vega de Plaisr/Villepreux avait organisé une grande soirée observation / conférence (qu’elle animait) consacrée à la comète de Halley. Il y avait eu foule et cette fin 1985 était ma première occasion de contact (visuel et scientifique) avec les comètes, en tant que jeune amateur.
Mais j’ai surtout côtoyé Anny-Chantal à partir de 1996, lorsque je faisais partie du groupe des étudiants qu’elle avait recruté pour aider à l’organisation du colloque international “Asteroids Comets Meteors” qui s’était tenu à Versailles. Trois ans avant, j’avais choisi l’autre DEA d’astrophysique, ayant “échappé” à ses cours et peut-être pris par la suite la voie de l’étude des chevelures des comètes via la phase gazeuse et radioastronomie alors que sa spécialité était plutôt les poussières cométaires et la polarisation de leur signal dans le visible. Quelques années plus tard, pour ce qui est de mes activités plus amateur, je prendrai la présidence de la Commission des comètes, bien après elle.
En fin de compte nos chemins ont toujours été complémentaires et j’ai toujours ressenti un grand respect de sa part, tout en en ayant plus pour elle dont le parcours cométaire faisait rêver plus d’un… Evidemment, les années Rosetta (2001-2018), ont été des occasions multiples de rencontres et d’avoir beaucoup de discussion privées avec Anny-Chantal sur la communication vers le public à l’occasion de cette formidable aventure. Nous étions sans doute sur la même longueur d’onde (cette fois !) pour pousser l’ESA dans sa communication et participer activement chacun avec nos moyens à faire aimer les comètes par le public. Elle aura certainement réussi à attirer bien des amateurs ou des futurs chercheurs vers l’étude des comètes.
La comète de Rosetta, 67P/Churyumov-Gerasimenko est revenue nous voir au plus près l’automne dernier mais l’a emportée loin de nous cet été…
Nicolas Biver
Président de la Commission des comètes
A la mémoire d’Anny-Chantal Levasseur-Regourd
C’est en 1983 que Anny-Chantal Levasseur-Regourd remplace à la Présidence de la Commission des Comètes, Charles Bertaud décédé en Octobre 1982. Professeur à l’Université Paris VI et chercheuse au laboratoire d’Aéronomie du CNRS, elle connait bien les relations du milieu interplanétaire avec les planètes et les comètes. Elle est donc très à l’aise pour reprendre la tête de la Commission qui souffrait d’un suivi depuis le décès de Charles Bertaud. Le retour de la comète de Halley était très attendu et de nombreux observateurs au sein de la SAF étaient demandeurs d’éphémérides, de techniques d’observation visuelle ou photographiques. Ce dynamisme lui permit de relancer la commission de façon exceptionnelle grâce à ses talents d’organisatrice et sa facilité à insuffler sa passion des comètes à ses auditeurs. Elle coordonne les activités cométaires de la SAF pendant de nombreuses années.
Elle écrit parallèlement en 1985 un livre « Halley, le roman des comètes ». Elle animera le camp d’observation de Chamaloc pour nous entraîner à roder les techniques d’observations cométaires sur la comète Crommelin. Grâce à Anny-Chantal et au soutien d’Audouin Dolfus, un petit groupe d’amateurs de la commission se voit attribuer la Grande Lunette de Meudon pour l’observation de P/Halley pendant les mois de Septembre, Octobre, Novembre et Décembre 1985 (médaille SAF en commun). Ces nuits studieuses nous permettront d’obtenir des dessins inédits de la comète. Je me souviens d’une observation où l’image comportait tellement de jets que je ne savais plus quoi dessiner.
L’année 1985 voit aussi l’inscription des membres de la Commission dans l’International Halley Watch (IHW), réseau international d’observations et Anny-Chantal obtient le prêt d’un télescope de Schmidt de 200mm par la NASA dans ce cadre. Il sera utilisé à la Réunion. Cette année voit aussi la préparation sous sa houlette du projet de mission d’observation de Halley dans l’hémisphère Sud à l’île de la Réunion en Mars et Avril 1986, qui nous permettra là encore d’acquérir de nombreuses données visuelles et photographiques grâce aux nombreux participants.
La Commission des Comètes a connu une activité inégalée sous la Présidence d’Anny-Chantal et fût pour tous les membres une source de souvenirs inoubliables. Tout cela par la dynamique de sa Présidente que nous ne sommes pas prêts d’oublier. Nous la remercions pour son dévouement et son soutien sans faille.
Serge Thébault
Ancien Président de la Commission des comètes
Anny-Chantal Levasseur-Regourd
Anny-Chantal Levasseur-Regourd nous a quittés beaucoup trop tôt. Sa disparition me touche particulièrement en raison des liens d’amitié que nous avions noués depuis une quarantaine d’années.
Ancien Président de la Société astronomique de France
Anny-Chantal
Une fois le plan de l’ouvrage accepté, chaque ligne, chaque paragraphe, chaque chapitre ont fait l’objet d’allers retours jusqu’à ce que le livre soit finalement sorti à notre goût. En 2019, l’aventure de Rosetta, dans le livre anniversaire des 80 ans du CNRS, rappelle ces quelques moments d’échange ; il y est question en conclusion des « résultats futurs de mission d’exploration de petits corps primordiaux de notre Système solaire », qui seront la suite des aventures spatiales d’Anny-Chantal, en particulier autour de la mission Comet Interceptor dont elle aimait me parler et sur laquelle elle travaillait.
Nous sommes restées en contact, se voyant peu, mais partageant de bons moments. J’étais ébahie devant sa volonté de continuer à participer à de nouvelles missions cométaires, elle partageait mes aventures de rédactrice à l’Astronomie. Un matin du mois d’août 2022, j’ai appris que nous ne pourrions plus repartir dans un travail rédactionnel, comme nous le souhaitions tant.
Le 7 décembre 2020, au détour d’un mail, elle m’écrit « Qu’est-ce que nos descendants (s’il y en a), dans environ 2000 ans, sauront et penseront des débuts de l’exploration spatiale ? »
Janet Borg
Ancienne Rédactrice en chef du magazine L’Astronomie