Hommage à Albert Ducrocq
J’ai rencontré Albert Ducrocq lors d’un concours qu’il avait organisé en 1969 avec Europe N°1 : Opération Espace. Devenu l’un des lauréats, à 13 ans, j’ai bénéficié par la suite de son soutien, comme il avait remarqué que j’aimais écrire : il m’a mis à contribution dans la petite revue que l’on écrivait pour Cosmos Jeunes, ainsi que pour sa collection Cosmos Encyclopédie. Avec sa générosité et son appui légendaires auprès des jeunes, il m’invitait régulièrement à déjeuner pour échaffauder des projets, et à des dîners avec les cosmonautes de passage à Paris : souvenirs fantastiques d’avoir rencontré grâce à lui Pavel Popovich, Alexei Leonov… J’ai eu la chance de pouvoir lui renvoyer l’ascenseur plus tard, en l’aidant à organiser le congrès Espace & Civilisation en juin 1978 à Lyon, où, étudiant à l’époque aux USA, j’ai convaincu de nombreux astronautes américains de participer à l’événement : Alan Shepard, David Scott, Buzz Aldrin, et bien d’autres…
D’Albert Ducrocq me reste en premier lieu le souvenir d’un homme profondément intéressé par les autres et à leur écoute, toujours prêt à les soutenir dans leurs projets. Sa connaissance encyclopédique des sciences, de l’ingénierie, et aussi des lettres me font penser à un Elon Musk avant l’heure – ambition d’entrepreneur en moins, car ce qui l’intéressait le plus, c’était l’information et sa transmission, et les hypothèses scientifiques, surtout lorsqu’elles secouaient le cocotier. Ainsi, dès que je lui présentai en 1993, lors d’un déjeuner, la théorie d’un impact d’astéroïde comme explication de l’extinction du monde vivant à la frontière Crétacé/Tertiaire, boudée par les mandarins français, il la relata avec enthousiasme dans le numéro suivant d’Air & Cosmos.
Les ouvrages les plus marquants que je retiens de lui sont La Chaîne bleue, où il renouvela son style pour présenter les recherches en cours sur la probabilité d’autres formes d’intelligence dans la Galaxie ; et aussi Les Éléments au pouvoir, magnifique « dictionnaire amoureux » de la chimie où il présente en chapitres brefs et percutants, tout plein d’anecdotes historiques et d’information scientifique, la centaine d’éléments de l’univers. Voici un passage, par exemple, de son chapitre consacré à l’élément N°5 : le bore.
« [Cette substance] se présente sous forme de cristaux incolores que l’on trouvait notamment en Inde et en Californie, dans la célèbre vallée de la Mort. Les Arabes l’appellent boraq ou tinkal. Le borax était un antiseptique. Il facilitait en outre le soudage des métaux : quand on le chauffe, le borax fond, dissolvant la couche d’oxyde qui recouvre les pièces et les protège de l’action atmosphérique […]
Le bore lui-même est un élément curieux, indéfinissable pour qui prétendrait – à l’instar de la petite fille qui veut absolument classer tous les rois de France en deux catégories, les bons et les mauvais – répartir les éléments simples en classes aux caractéristiques tranchées […] »
Je dois à Albert Ducrocq ma carrière, tant celle de géologue-planétologue que d’auteur scientifique, et il représente pour moi une référence incontournable en France de l’essor des sciences et de la conquête spatiale au vingtième siècle.
Charles Frankel