Commission de cosmologie : compte rendu de la réunion du 13 octobre 2018
LES MYSTÉRIEUX TROUS NOIRS : LES TROUS NOIRS QUANTIQUES
Conférence donnée par Pierre VANHOVE
Physicien Ingénieur au CEA Saclay
Image : Simulation d’un trou noir. Crédit : Bronzwaer/Davelaar/Moscibrodzka/Falcke/Université Radboud.
Pierre Vanhove est chercheur à l’institut de physique théorique (IPhT) du CEA à Saclay, membre du Churchill College à Cambridge et membre associé au laboratoire « symétrie miroir et représentations automorphes » à Moscou. Grâce aux symétries de dualité, il détermine les corrections quantiques de théorie des cordes à la gravitation d’Einstein.
Par ailleurs, il a développé des méthodes mathématiques nouvelles pour calculer les amplitudes de diffusion en théorie des champs et a calculé la première correction de gravité quantique à l’angle de déviation de la lumière par le Soleil, calculé par Einstein en 1915.
Les trous noirs classiques
C’est le Révérend Britannique John Michell et le Français Pierre-Simon de Laplace qui, à la fin du XVIIIème siècle, émettent l’idée de corps dont la vitesse de libération serait telle qu’elle égalerait celle de la lumière, ils venaient d’inventer le
concept de trou noir. Voici quelques vitesses de libération pour les corps suivants :
- Terre : 11,2 km/s
- Lune : 2,4 km/s
- Soleil : 620 km/s
- Trou noir : 300 000 km/s
Tout objet dont on réduit les dimensions de façon extrême en conservant sa masse, peut devenir un trou noir. Par exemple, si le Soleil était réduit à un astre de 3km, ce serait un trou noir, de même pour la Terre : quelques cm !
La vitesse de libération v d’un corps peut se définir comme suit : Un corps (Terre, Lune etc..) de masse m tourne autour d’un autre corps de rayon R de masse M (Soleil, Terre, etc) à la distance d sur une trajectoire supposée circulaire en équilibre sous l’action de deux forces :
F1 : Force de gravitation universelle (attraction) et F2 : Force centrifuge (répulsion)
On définit alors le rayon qui va s’appeler le rayon de Schwarzschild, rayon à partir duquel on ne peut pas résister à l’attirance du trou noir :
Au sein du trou noir se trouve une singularité cachée par cet horizon des évènements. Au XXème siècle, après l’annonce de la Relativité Générale par Einstein, Karl Schwarzschild, un physicien Allemand, élabore la théorie du trou noir : un trou noir a un rayon proportionnel à sa masse uniquement (G et c sont des constantes). Ce rayon sera baptisé Rayon de Schwarzschild (ou aussi horizon) en son honneur. Tout ceci suppose bien sûr l’égalité pour tous les corps de leur masse grave et de leur masse inerte (ou inertielle).
En fait deux paramètres sont nécessaires pour définir un trou noir :
- Sa masse déterminée par observation
- Sa rotation
Sa charge électrique est nulle dans la plupart des cas (les charges s’équilibrent à long terme).
Einstein qui vient d’introduire sa théorie de la Relativité Générale doute de la réalité des trous noirs. Ce sera plus tard, dans les années 1950, Oppenheimer et Wheeler qui montreront que ce sont bien des objets astrophysiques. Si la théorie d’Einstein est très bien confirmée en champ (de gravité) faible, il y a peu de tests en champ fort, comme près d’un trou noir.
- On estime à 100 millions de trous noirs d’une masse solaire dans notre galaxie
- La région de l’Univers visible de la Terre contient environ 100 milliards de galaxies
- On estime à quelques 100 milliards le nombre de trous noirs supermassifs (millions ou de milliard de masses solaires) dans l’univers
- Le trou noir connu le plus proche est à 6 100 al (Cygnus X1). On a longtemps cru que c’était V4641 Sagittarii à 1 600 années-lumière de la Terre, mais on a récemment ré-évalué sa distance à 24 000al.
Même Camille Flammarion s’est intéressé aux trous noirs, voici ce qu’il en disait dans l’Astronomie Populaire : Aucune étoile ne se présente comme offrant la prépondérance suffisante pour servir de soleil central, et, d’autre part, si ce soleil central était obscur (ce qu’il serait difficile d’admettre) les mouvements des étoiles autour de lui devraient se traduire pour nous par une certaine régularité dans les mouvements propres.
Comment voir les trous noirs ?
Si on ne peut pas voir les trous noirs, on devrait voir les manifestations sur leur environnement. En effet, c’est ce qui se passe avec notre trou noir central, Sag A* au centre de notre Galaxie. Sa masse : 4 millions de masses solaires. En ce qui concerne notre propre Galaxie, le trou noir central a été mis en évidence par l’étude du mouvement des étoiles proches de ce centre sur une période de 15 années. Elles tournent autour de quelque chose de très massif : un trou noir super massif.
L’aire d’un trou noir
En 1971, Stephen Hawking prouve que l’aire d’un trou noir ne peut pas décroître et que sa valeur est donnée par la formule :
L’aire d’un trou noir croît avec sa masse. Comme l’entropie, elle ne peut que croître au cours du temps. On a « entendu » des trous noirs lors de la découverte des ondes gravitationnelles : Deux trous noirs (29 et 36 masses solaires) sont entrés en collision et ont émis à cette occasion des ondes gravitationnelles dans l’espace, qui ont été détectées par LIGO. Le résultat est un monstre de 29+36 = 62 masses solaires, la différence de masse est passée dans l’énergie des ondes gravitationnelles.
Les trous noirs quantiques
On remarque une similitude étonnante entre deux trous noirs tournant l’un autour de l’autre et l’électron tournant autour du noyau d’un atome. Cela établirait-il un lien entre gravité et mécanique quantique ?
Les particules élémentaires sont trop légères en comparaison avec la masse de Planck (2×10-8 kg), alors que les gros objets sont beaucoup plus lourds que cette masse de référence. Pourquoi ?
La force liée à la gravitation est 1 040 fois plus faible que la force électrique. Ce qui a donné l’idée à certains de se poser les questions suivantes :
Pour résoudre l’incompatibilité entre la Relativité Générale et la Mécanique Quantique :
- Faut-il modifier la gravitation, c’est la théorie des cordes ou
- Faut-il modifier la mécanique quantique, c’est l’approche de la gravité quantique à boucles
Il y a aussi la géométrie non commutative d’Alain Connes. Pour le moment il semble que la théorie des cordes tienne…la corde !
La production de trous noirs quantiques
La théorie des cordes crée des micro trous noirs à très haute énergie. Il est possible qu’une paire particule/antiparticule se forme de part et d’autre de l’horizon d’un trou noir ; il est donc possible qu’une des particules puisse échapper au champ gravitationnel tandis que l’autre reste prisonnière absorbée par le trou noir. C’est ce que l’on appelle l’évaporation des trous noirs (ou rayonnement de Hawking). Que remarque-t-on ?
- Plus le trou noir est petit et plus il s’évapore vite et
- Plus la température est élevée.
Les micro trous noirs pourraient s’évaporer dans une durée inférieure à l’âge de l’Univers, mais pour les trous noirs de fortes masses, la durée d’évaporation est des milliards de fois supérieure à cet âge. Ces micro trous noirs auraient été créés immédiatement après le Big Bang, pendant le temps de Planck (10-43 sec). Ce pourrait être des candidats pour la matière noire. Le télescope Fermi recherche des preuves observationnelles de l’évaporation de ces trous noirs primordiaux en observant les sursauts gamma (GRB) associés à leur fin de vie.
L’entropie des trous noirs
L’irréversibilité des trous noirs : Jacob Bekenstein suggère une entropie proportionnelle à l’aire du trou noir. Il réconcilie le conflit entre l’irréversibilité classique et quantique des TN.
Le paradoxe du trou noir : Un trou noir absorbe tout et n’émet rien. Que devient l’information lorsque le trou noir s’évapore ? :
- Si elle disparaît avec le trou noir : cela viole les règles de la mécanique quantique
- Si elle est émise comme radiation de Hawking, cela viole aussi les règles de la mécanique quantique
Le paradoxe repose sur l’hypothèse que la région autour de l’horizon du trou noir est le vide quantique.
Stephen Hawking a publié dans son dernier article du 3 octobre 2018, l’idée que les trous noirs auraient des cheveux quantiques (soft hair) constitués de photons ou de gravitons pouvant stocker des informations sur le pourtour de l’horizon des évènements.
En 1997, Juan Maldacena propose une théorie conforme des champs (en anglais conform field theory ou CFT) à partir d’une théorie de jauge. Elle va s’appeler la correspondance AdS/CFT pour Anti de Sitter/CFT. Elle donnerait une résolution formelle du paradoxe sans violer les lois de la Mécanique Quantique.
Résolution du paradoxe : En 2005, Stephen Hawking admet que l’information n’est pas perdue, elle est redistribuée, et qu’il faut modifier la Relativité Générale mais pas la Mécanique Quantique. Mais on se heurterait à un mur de feu (firewall). C’est un phénomène qui se produirait à l’horizon des évènements, ce serait une zone de forte densité énergétique générée par le rayonnement de Hawking. Un observateur qui traverserait cet horizon serait grillé. Si cette théorie est vraie, il faudrait modifier fondamentalement la géométrie des trous noirs. Quel dommage que Stephen ne soit plus là.
Cet article est basé sur le compte rendu détaillé de Jean-Pierre Martin, disponible ICI.