Compte rendu de la conférence de la SAF du 22 septembre 2017
À LA RECHERCHE DE L’UNIVERS INVISIBLE
© NASA, ESA, Harald Ebeling (Université de Hawaii à Manoa) & Jean-Paul Kneib (LAM)
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Conférence donnée par David Elbaz / Présentation de son dernier livre
CEA-Saclay/DSM/DAPNIA/Service d’Astrophysique
L’histoire des sciences n’est que l’évolution de questions de point de vue, en particulier pour l’astronomie. Notamment en ce qui concerne notre monde observable.
On est en effet passé du géocentrisme de Ptolémée à l’héliocentrisme de Copernic, où la Terre n’était plus le centre du monde.Ensuite on est passé d’un monde centré sur la Terre et les planètes aux autres étoiles grâce à la méthode de la parallaxe permettant de mesurer la distance des étoiles lointaines (Bessel en 1838). Coïncidence et changement de paradigme.
Première étrange coïncidence: les planètes tournent de façon synchrone. Nouveau point de vue: c’est nous qui nous déplaçons. Implication: Soleil = centre de masse amenant à la découverte de la gravitation universelle.
Deuxième étrange coïncidence: analogie parfaite entre la gravité et l’accélération. Nouveau point de vue: la gravité dépend du mouvement. Implication: gravité = propriété de l’espace-temps à découverte de la relativité générale.
Une troisième étrange coïncidence: les étoiles et les galaxies se déplacent trop vite. Nouveau point de vue: la gravité change ? Implication: découverte d’une nouvelle théorie de la gravité ?
Cette troisième coïncidence est liée à la personnalité « complexe » d’un astrophysicien hors pair, Fritz Zwicky. Dans les années 1930, une discussion s’engage au Caltech (Pasadena Californie) entre le prix Nobel Robert Millikan et son étudiant arrivé de Suisse Fritz Zwicky. Il n’hésite pas à lui dire : j’ai lu toutes les conférences et articles de votre part et je n’y trouve aucune idée originale. Millikan répond, très bien et vous-même ? Nommez le sujet et je vous apporte une idée nouvelle la concernant. Alors, dit-il, consacrez-vous à l’astrophysique ! Et c’est ainsi qu’un des cerveaux les plus brillants du XXème siècle se tourna vers cette discipline, en commençant par les mystérieux rayons cosmiques. Et au cours de cette recherche Zwicky allait mettre le doigt sur la mystérieuse matière qui allait être baptisée noire.
En cherchant les sources d’énergie de ces fameux rayons cosmiques, il se met en quête des sources les plus puissantes, et il pense tout de suite aux novae, ces fins explosives d’étoiles massives. Il en découvre d’ailleurs de très lumineuses, qu’il baptise du nom qui est resté : supernovae. Sa luminosité est beaucoup plus importante que toutes les étoiles de la galaxie hôte. Mais ce phénomène étant très rare, il lui fallait augmenter son champ de vision afin d’englober énormément de galaxies pour augmenter la probabilité d’apparition d’une SN. C’est ainsi qu’il se retrouve au Mont Wilson à observer l’amas de Coma, situé à 320al de nous et contenant plus de 1000 galaxies. Il constata que quelque chose n’allait pas, les galaxies extérieures au lieu d’avoir tendance à s’échapper (leurs vitesses étant de 1000km/s), restaient maintenues à l’intérieur comme si une masse invisible exerçait sa gravité. En se basant sur le théorème du viriel, il put estimer la masse nécessaire pour empêcher les galaxies externes de s’échapper et maintenir une certaine cohésion. C’était très important et invisible (6 fois plus que de visible après correction). Cela prendra le nom plus tard de matière noire. La communauté scientifique ne prêta aucune attention à cette découverte.
Il faudra attendre Vera Rubin (décédée à Noël 2016). C’est dans les années 1970 qu’elle s’intéresse aux dires de Zwicky et découvre la présence de cette étrange matière autour des galaxies. Elle va publier le résultat de ses recherches, et attendra toute sa vie un Prix Nobel qui ne viendra pas ! La matière serait composée à 85% de matière invisible et de 15% de matière lumineuse. Bien entendu, on ne connaît pas la composition de cette mystérieuse matière noire.
Et c’est dans les années 1990 que des astronomes (Perlmutter, Riess et Schmidt) s’intéressant au destin de l’Univers, découvrent en étudiant les supernovae lointaines, qu’elles ne sont pas à la bonne place. Elles sont plus loin que prévu ! L’espace semble s’être dilaté plus vite que prévu ; en fait ils viennent de découvrir que l’expansion de l’Univers est accélérée. Nous serions maintenant au cœur d’une nouvelle inflation. Quelle est la cause de cette accélération ? Quand les physiciens ne savent pas, ils utilisent l’adjectif « noir ». Ce serait une mystérieuse énergie noire ! Aujourd’hui, on est capable de déterminer la composition de l’Univers à :
- 5% de matière visible
- 27% de matière noire
- 68% d’énergie noire
À l’époque du CMB (cosmic microwave background), 380.000 ans après le Bing Bang, l’Univers s’étendait jusqu’à 42 millions d’al. À notre époque, ce volume a augmenté dû à l’expansion, si nous sommes âgés de 13,8 milliards d’al (Gal), la taille de l’Univers a cru jusqu’à 45 Milliards d’al (Gal). C’est l’horizon cosmologique.
La matière noire est indispensable, sans matière noire, on ne peut pas former les galaxies ; mais trop de matière noire donnerait une plus grande efficacité à la formation des galaxies, il y en aurait trop, et ce n’est pas ce que l’on constate. Il semble bien qu’il y ait une compétition entre matière noire et trous noirs comme représenté sur le graphique. Tout cela nous mène à John Wheeler et Jacob Bekenstein discutant de désordre et entropie autour d’une tasse de café. L’entropie, introduite par Boltzmann caractérise le degré de désordre de la matière. Le deuxième principe de la thermodynamique stipule qu’un système physique évolue toujours vers une augmentation de l’entropie. Comment relie-t-on cela aux trous noirs ?
Un trou noir possède un horizon, zone de non retour entourant la singularité. La surface définie par cet horizon croit quand la masse du trou noir augmente. Bekenstein a l’idée d’appliquer la Mécanique Quantique à la surface du trou noir.Il divise la surface du trou noir en petits paquets (comme les quantas) de longueur de Planck, qu’il appelle cellules de Planck.
L’entropie du trou noir était lié en fait au nombre de cellules de Planck de la surface. Il publie ses idées en 1973. L’Univers serait ainsi peut être un hologramme comme le pense Leonard Susskind. Mais une entropie implique que le TN devait avoir une température et donc devait rayonner. Ce qui mène ainsi par un autre rayonnement au fameux rayonnement de Hawking.
Encore plus fort : la gravité serait un phénomène émergent ! L’idée est celle-ci : et si la gravité n’apparaissait qu’aux échelles macroscopiques et non pas au niveau des particules élémentaires, elle serait une propriété émergente, une force entropique et non plus une des quatre forces fondamentales ? C’est Ted Jacobson qui émit cette idée en 1995 ; idée reprise un peu plus tard par le physicien indien Thanu Padmanabhan.