Compte rendu de la conférence de la SAF du 12 octobre 2018
LES MONDES HABITABLES DANS LE SYSTÈME SOLAIRE EXTERNE
Conférence donnée par Athena COUSTENIS
Astrophysicienne au LESIA, Observatoire de Paris Meudon
L’intérieur d’Encelade (vue d’artiste). Crédit NASA/JPL-Caltech.
Athena Coustenis nous parle ce soir de possibles mondes habitables dans notre Système solaire externe en faisant remarquer la différence qu’il faut noter entre habitabilité et habité.
D’où la question de ce qui est nécessaire pour avoir une « habitabilité ». Il faut 4 conditions nécessaires :
- De l’eau
- Des éléments essentiels : les fameux CHNOPS , symboles des principaux éléments chimiques indispensables.
- Une certaine forme d’énergie, par exemple chimique
- Un environnement stable, en effet sur Terre c’est une longue évolution qui a abouti à la vie. Une période trop courte ou de nombreuses instabilités sont néfastes.
On peut se poser la question de savoir quels corps dans notre Système solaire pourraient présenter des caractères d’habitabilité. On sait que Mars a été dans le passé chaude et humide et avait probablement eu les mêmes chances que la Terre. Mais elle s’est refroidie et a perdu son champ magnétique protecteur et son atmosphère.
Mais plus loin dans le Système solaire y-a-t-il d’autres corps pouvant abriter la vie ? Ce sont certains satellites glacés de Jupiter et Saturne. Ils pourraient présenter des habitats en profondeur.
En fait, les mondes « à eau » ne sont pas si courants dans notre environnement. Soit le contenu de ces corps en % de masse d’eau (sans la glace) par rapport à la masse du corps.
Par ordre croissant en % d’eau :
- Encelade 14%
- Titan 11%
- Europe 6,4%
- Ganymède 5,4%
- La Terre 0,02%
- Mars dans le passé : 0,01%
La Terre a en fait proportionnellement très peu d’eau.
Jupiter et ses satellites
Les sondes Voyager, Galileo et maintenant Juno ont étudié les satellites galiléens de Jupiter.
Il semble bien qu’au moins deux, Ganymède et Europe soient intéressants au point de vue possibilités d’habitabilité.
Ganymède est le plus gros satellite du Système solaire (5 270km de diamètre). Il est encore si près de Jupiter qu’il en subit un champ magnétique induit. Nombreux cratères à sa surface. C’est le meilleur exemple d’un environnement d’eau liquide piégée entre deux couches de glace.
Comment peut-on avoir de l’eau liquide entre deux couches de glace ? C’est par ce que les couches de glace sont de types différents. En s’enfonçant vers le centre, on aurait de la glace de type I puis l’eau liquide et ensuite de la glace de type III, glaces de plus en plus denses et plus salées au fur et à mesure que l’on descend. Il pourrait y avoir plusieurs couches d’eau liquide aussi.
La couche la plus basse pourrait être en contact avec le manteau rocheux (silicates), facteur important pour une transition vers une certaine forme de vie. Le champ magnétique de Jupiter induit avec une couche d’eau conductrice (eau salée) un champ interne. Bref, un environnement favorable à la vie.
Europe
Ce satellite est le plus près de Jupiter après Io, il a 3 120km de diamètre moyen.
Il possède une croute de glace qui évolue. Phénomène dû certainement à une forme de tectonique de plaques active.
Il y a, comme en Arctique, des radeaux de glace qui dérivent sur un océan liquide interne.
Les forces de marée sont très actives sur Europe, ce qui est probablement la cause de l’existence de cet océan d’eau liquide. Il est en contact avec les silicates du manteau.
Hubble a détecté récemment des geysers d’eau. Les nouvelles données (effectuées en UV) indiquent la découverte de geysers de vapeur d’eau salée montant jusqu’à 200 km d’altitude et se redéposant sur la surface gelée de ce satellite, créant ainsi ce terrain de type très chaotique.
En fouillant les archives de Galileo, on a montré que la sonde avait bien survolé la zone des geysers. Cette découverte fait de Europe la deuxième lune du système solaire à avoir des jets de vapeur d’eau, l’autre étant bien sûr Encelade.
Les radiations de Jupiter sont encore très fortes au niveau d’Europe et tuent tout ce qui pourrait se trouver à sa surface. Ces radiations brisent les molécules et changent leur composition chimique, détruisant très probablement leurs caractéristiques biochimiques.
Mais dans l’océan, tout est possible même des cheminées géothermales comme dans le fond de nos océans, et sur Terre, cet environnement grouille de vie. Europe est donc aussi bien un monde habitable.
L’exploration du monde de Jupiter
Des missions sont en cours ou prévues pour inspecter plus avant le monde jovien. En cours : la sonde JUNO de la NASA est en orbite autour de la planète géante depuis 2016. L’Europe est très active avec la mission JUICE, acronyme de JUpiter Icy moons Explorer, soit exploration des lunes glacées de Jupiter. Elle doit être lancée en 2022 de Kourou par une Ariane 5. Après un voyage de 7 ans et demi, elle atteindra sa cible en 2030. Ce devrait être une mission de 11 ans à laquelle la France participera activement. La sonde se mettra en orbite autour de Jupiter et explorera ses principaux satellites. Les cibles principales de ce voyage :
- L’atmosphère de Jupiter, sa magnétosphère et ses aurores
- Io et ses volcans
- Europe et Ganymède (les cibles principales) avec leurs probables océans d’eau salée situés sous la couche de glace
- Callisto, la plus éloignée, glacée aussi.
Europe devrait être survolée deux fois et ensuite une mise en orbite autour de Ganymède sur laquelle elle s’écrasera ensuite.
Cette mission comporte de nombreux instruments.
La NASA ne devrait pas être en reste et propose aussi une mission vers Jupiter axée sur Europe : Europa Clipper qui aurait l’avantage, si les lanceurs SLS sont prêts, d’atteindre Jupiter au bout de 2 ans de voyage au lieu de 7 ans pour Juice. Elle arriverait ainsi avant Juice. De nombreux survols d’Europe (45) sont prévus à différentes altitudes.
Le monde de Saturne
Saturne possède un gros satellite, Titan, que nous avons exploré grâce à Huygens embarqué sur la mission Cassini. Cassini a parcouru 3 milliards de km en 7 ans pour arriver dans le monde de Saturne. Huygens s’est posé sur Titan et a survécu quelques heures.
Titan est un monde intéressant où le méthane liquide a remplacé l’eau (il y a même des lacs de méthane) et la glace a remplacé les rochers. L’atmosphère est principalement de l’azote (comme sur Terre) et la pression y est de 1,5 bars. Sa structure atmosphérique est aussi très intéressante. On y découvre très peu de cratères et des dunes, en plus des lacs. Il y a manifestement une activité volcanique. Par contre, le jour de Titan est de 16 jours terrestres et l’année de 29,5 ans. Il est incliné de 26°, à peu près comme la Terre (23°). On pense aussi que Titan possèderait un océan d’eau liquide sous la surface. C’est un milieu favorable à une chimie prébiotique.
Titan est le seul endroit avec la Terre à avoir des surfaces liquides exposées. Le méthane est relâché dans l’atmosphère de l’intérieur de Titan (dégazage de volcans) et s’évapore aussi des lacs principalement de méthane mais aussi d’éthane. Ce méthane est converti dans l’atmosphère en éthane. Divers organiques complexes ainsi que H2 et N2 s’échappent dans l’espace. CH4 et C2H6 se condensent partiellement formant des nuages et des brouillards qui précipitent, retournant dans les lacs. Tous ces éléments sont basés sur les résultats de la mission Cassini. Il semble bien que Titan soit un objet unique dans le Système solaire.
Il faut y retourner ! De nombreux projets sont dans les cartons, comme :
- TSSM Titan Saturn System Mission proposé par le LESIA et notamment par Athena Coustenis. Titan serait exploré par trois éléments : un orbiteur et deux éléments in situ : un ballon qui fera le tour de l’équateur et une sonde qui se poserait sur un lac.
- Dragonfly (libellule en français) du JHUAPL, sorte d’hélicoptère se déplaçant de place en place.
- TIME (Titan Mare Explorer) comprend un atterrisseur devant se poser sur un lac. Projet du LPI (Lunar and Planetary Institute)
Encelade
Évidemment la lune glacée la plus intéressante est Encelade. En effet, Cassini y a découvert des phénomènes intéressants. Le pôle Sud est marqué par ce que l’on a appelé des griffures de tigre. Par ces griffures des geysers d’eau salée s’échappent dans l’espace. Cassini est passé plusieurs fois dans ce panache et en a déduit sa composition. Elle est similaire à celle des comètes d’après les spécialistes. C’est l’instrument INMS (Ion and Neutral Mass Spectrometer) de la sonde qui a effectué les mesures. C’est la première détection directe de tels organiques complexes sur un monde extraterrestre.
Encelade possède un océan d’eau liquide sous sa surface. L’eau, en contact avec le noyau rocheux se réchauffe, car le noyau est chauffé par effet de marée avec Saturne. Des cheminées hydrothermales se forment laissant ainsi pénétrer l’eau chaude dans l’océan. Des molécules organiques complexes emprisonnées dans des bulles sont entrainées vers la surface. Arrivées en surface, ces bulles éclatent et dispersent les molécules qui se couvrent de glace. Celles-ci sont détectées par les instruments de Cassini. On a même trouvé de l’hydrogène moléculaire dans les geysers d’Encelade. Ce serait un signe que l’eau contenue à l’intérieur réagirait avec le manteau rocheux, comme sur Terre. Un monde aussi définitivement habitable.
En conclusion
Beaucoup de missions, beaucoup de résultats et de nombreux projets pour les décennies qui viennent. Athena Coustenis nous donne rendez vers 2030 pour voir les évolutions !
Cet article est basé sur le compte rendu détaillé de Jean-Pierre Martin, disponible ICI.