Le Brahmapoutre
Gilles Dawidowicz
Le 26 janvier 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue des méandres du Brahmapoutre, avec le commentaire suivant : « Le soleil se reflète sur les ramifications du fleuve Brahmapoutre en Inde ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 30 décembre dernier, à l’aide d’un Nikon D4 et d’un téléobjectif de 140 mm. Le Nord est vers 23h.
Nous sommes dans une région très particulière de l’Inde, à l’extrémité est du pays. Il s’agit d’une portion du territoire indien véritablement coincée entre le Bhoutan et la Chine (le Tibet en fait) au nord, la Birmanie à l’est et au sud et le Bangladesh à l’ouest. Il ne s’agit pas à proprement parler d’un panhandle (ces corridors qui sont des extensions géographiques longues et étroites) mais d’une sorte d’enclave resserrée à l’extrême dans sa partie ouest au niveau du Népal. Cette région est composée administrativement du Meghalaya, la « Demeure des nuages » (un état dont la capitale est Shillong), l’Assam (dont la capitale est Dispur), le Nagaland (dont la capitale est Kohima), le Manipur (dont la capitale est Imphal), le Mizoram (dont la capitale est Aizawl) et le Tripura (dont la capitale est Agartala).
La photographie est superbe, tant le paysage paraît ici incroyablement sauvage (il ne l’est pas sur le terrain). Mais le Brahmapoutre est resté indompté, et son cours, chevelu à l’extrême en témoigne. Un zoom sur l’image permet d’observer en détail et avec attention le parcours du fleuve, ses méandres, ses innombrables îles et ses affluents tout aussi magnifiques. Le Brahmapoutre choisi son chemin. On ne lui impose pas. Long de 2900 kilomètres, il prend sa source dans l’Himalaya tibétain à plus de 5500 mètres d’altitude, en milieu glaciaire. Il prend son temps aussi pour s’écouler et dissiper son énergie latéralement. Ici, la pente doit être faible, ce qui explique ces tracés multiples. Le fleuve parcourt trois pays différents et change de nom suivant le pays qu’il traverse : Yarlung Tsangpo au Tibet, Brahmapoutre en Inde et Jamuna dans sa partie bangladaise, la plus en aval. Une fois les milieux de hautes montagnes passés, son parcours devient tropical, ce qui en fait un milieu riche et fertile, tant d’un point de vue de la biodiversité que d’un point de vue de l’agriculture. Son régime d’écoulement capricieux et irrégulier engendre des crues violentes à la mousson (hautes eaux de juin à octobre) et un étiage redoutable (de janvier à mars durant la saison sèche). Les îles et les îlots se font et se défont au fil des épisodes saisonniers…
Mais zoomons à nouveau sur l’image. En étant attentif, on observe quelques incendies dont les panaches sont bien visibles. Il peut s’agir de forestiers qui poursuivent leur travail de coupe : plus de 70 % de la forêt qui couvrait originellement la région aval du fleuve ont disparu. Ce qui en reste est détruit à hauteur de 10 % par an et, actuellement, seuls les 4 % de la zone sont en secteurs protégés. On repère aussi quelques petites villes le long du fleuve, même si l’image et l’éclairement solaire ne sont pas propices à révéler leur présence, car il faut bien l’avouer, elles sont tout de même très éparses. A propos d’ailleurs de l’éclairement solaire, il donne l’impression que le bassin versant du Brahmapoutre est plus fourni en affluents en rive droite (haut de la photographie) qu’en rive gauche. Ce n’est pas qu’une impression : les affluents rive droite sont plus nombreux et plus importants. Ils proviennent eux aussi des hauts sommets du Népal et du Tibet. Il y a de ce point de vue, un déséquilibre avec la rive gauche dont le bassin versant est moins efficace.
Par ailleurs, le Brahmapoutre est aussi une frontière biogéographique naturelle pour de nombreuses espèces dont certaines sont endémiques à chaque rive. Enfin, cette région du fleuve héberge la plus grande population d’éléphants de l’Inde, la plus grande population mondiale de rhinocéros unicorne de l’Inde, de tigres, et de buffles de l’Inde.
Au-dessus du Brahmapoutre, depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA
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