Lancement du nouveau télescope spatial James Webb

Rappel sur ce télescope

(Tiré de nombreux articles que j’ai publiés sur mon site www.planetastronomy.com  précédemment)

Après de nombreux accidents de parcours, augmentations de budget et reports de lancement répartis sur près de 30 ans, le successeur direct de Hubble, le télescope spatial James Webb (du nom du célèbre administrateur de la NASA de l’époque Apollo), un projet mené dans le cadre d’une coopération internationale associant la NASA, l’ESA et l’Agence spatiale canadienne, semble être bien sur les rails.

Le lancement, reporté plusieurs fois, a eu lieu le 25 décembre 2021. JWST est lancé par une Ariane 5 ECA (Étage Cryogénique version A) de Kourou, et sera placé au point de Lagrange L2 du système Terre-Soleil (à 1,5 millions de km de la Terre).

Crédit : NASA/WMAP Science Team

Pourquoi si loin ? Rendant pour le moment toute réparation impossible. Pour des questions thermiques ; plus près il nécessiterait un système cryogénique de refroidissement plus poussé que celui prévu, qui est un refroidissement principalement passif. De plus il sera ainsi loin de toute pollution lumineuse notamment IR. Durée de vie prévue : 5 à 10 ans, due à la consommation d’ergol toutes les 3 semaines, pour maintenir l’orbite.

Pourquoi les points de Lagrange sont-ils si convoités ?

Les points de Lagrange sont les points où l’attraction solaire et l’attraction terrestre sont exactement compensées par la force centrifuge sur orbite. Ces points sont donc fixes par rapport à l’ensemble Soleil-Terre. Ils tournent en même temps que la Terre sur son orbite.

L2 est à l’abri des interférences (rayonnement, chaleur…) terrestres, lunaires et solaires, de plus l’environnement est froid et stable, ce que l’on recherche. Les points comme L2 (c’est aussi le cas de L1 et L3) notamment sont instables, c’est-à-dire qu’il faut de temps en temps corriger la position, en fait les satellites effectuent une orbite en Lissajous autour de ces points tous les 6 mois. Ces orbites (perpendiculaires à l’écliptique) permettent ainsi de voir le Soleil afin d’alimenter les panneaux solaires Mais ces points « métastables » permettent quand même d’économiser une grande quantité de carburant.

L1 L2
SOHO Herschel
LISA Pathfinder Planck
WMAP
JWST
Gaia

Le Webb en un coup d’œil

Le James Webb Space Télescope (JWST)
Type Télescope spatial en IR
Mission L’univers froid, les premières galaxies, les exoplanètes…
Qui ? NASA, ESA et ASC (Canada)
Dimensions 22m x 14m – masse 6,2t
Point de Lagrange L2 à 1,5 millions de km de la Terre
Visibilité 0,6 à 28 µ (un peu de visible et IR)
Miroir Diamètre 6,5m (Hubble : 2,4m) en Be/Or Focale : 131m
Resolution 0,1 arcsec
Temperature La plupart des instruments 50K, pour MIRI : 6K
Instruments 4 : NIRCam , NIRSpec, MIRI et FGS/NIRISS
Coût (estimé) 10 milliards $
Maitre d’œuvre Northrop-Grumman et sous-traitants comme Ball, Lockheed…
Lancement Samedi 25 décembre 2021 après de nombreux reports

Quelle est sa mission ?

C’est le plus grand télescope envoyé dans l’espace à ce jour. Plus grand, plus performant que Hubble dont il est théoriquement le successeur, il devrait grâce à sa vision dans le domaine infrarouge de 0,6 à 26 microns (rappel : visible de 0,4 à 0,8 et Hubble : 0,2 à 2,4 donc un peu dans les UV et un peu dans l’IR) nous permettre d’appréhender les premières formations de galaxies, 300 millions d’années après le Big Bang. L’infrarouge est un domaine correspondant aux objets froids de l’Univers, c’est-à-dire qu’il peut pénétrer les poussières entourant les galaxies dans les disques proto planétaires afin d’étudier ceux-ci.

Crédit : NASA

D’autre part, dû au décalage vers le rouge (redshift), c’est le télescope idéal pour ces galaxies lointaines et les premières étoiles. C’est l’Univers profond qui est à sa portée maintenant. Mais sa mission ne s’arrête pas là ; il devrait aussi être capable de « voir » des exoplanètes de type rocheux ainsi que d’analyser leurs atmosphères. Et notamment les plus proches de nous comme le système Trappist découvert il y a peu et qui semble fort intéressant. De plus il pourrait aussi s’intéresser à Mars. Son miroir est trois fois plus grand que celui de Hubble (6,5m contre 2,4m) donc plus lumineux. L’ensemble du Webb fait 22m par 14m et a une masse de 6,2t. Le budget complet de JWST a fortement évolué et devrait finalement se situer un peu en dessous de 10 milliards de $ !

Crédit : Jean-Pierre Martin

C’est John Mather, du GSFC, le prix Nobel de physique qui est le responsable scientifique de ce télescope. C’est un spécialiste de la cosmologie et il a reçu avec son collègue George Smoot, le prix Nobel de Physique en 2006 pour sa contribution à l’étude du bruit de fond cosmologique (CMB) grâce aux mesures du satellite COBE. Première lumière attendue du Webb, deux mois après sa mise à poste.

Le télescope dans son ensemble

Ball Aerospace, célèbre firme connue pour ses succès de missions spatiales (Deep Impact etc…) est le principal sous-traitant du télescope spatial JWST (James Webb Space Telescope), dont le maître d’œuvre est Northrop Grumman.

Il opèrera dans l’infrarouge. Pourquoi ? Hubble a déjà défriché le chemin dans le domaine visible et le Webb s’intéresse principalement au domaine lointain, donc concerné par le décalage vers le rouge et l’infrarouge. Les étoiles et planètes en formation sont situées au centre de nuages opaques de poussières et de gaz et seul le rayonnement IR permet de les pénétrer. Il devrait aussi s’intéresser aux exoplanètes et aux signes de vie possible sur celles-ci. Il devrait permettre de « voir » certaines exoplanètes.

Voici une vue du télescope spatial James Webb, on reconnaît dans la partie supérieure le miroir primaire constitué de 18 miroirs hexagonaux (3 groupes de 6 miroirs) et le miroir secondaire. L’ensemble constituant le télescope (OTE = Optical Telescope Element). Derrière le miroir primaire se trouve la baie d’instruments (ISIM =Integrated Science Instruments Module) ; la partie inférieure contient les protections solaires (sunshield) qui sont 5 membranes fines d’un matériau polymère appelé Kapton chargées de garder le reste du télescope à des basses températures.

Crédit : NASA/JWST

Le côté Soleil et Terre se trouve bien entendu du côté opposé aux miroirs, donc vers la partie inférieure de l’image. Ces écrans servent donc bien à protéger le télescope et ses précieux instruments de la chaleur solaire. Sous les panneaux de protection se trouvent un jeu de panneaux solaires repliés pour la fourniture d’énergie. Le miroir primaire et les protections solaires sont de très loin supérieurs à ce que la coiffe d’une fusée peut contenir, aussi un système astucieux de pliage a été mis au point afin qu’un déploiement sans problème dans l’espace se produise.

Crédit : NASA/JWST

JWST plié comme un origami dans la coiffe d’Ariane. Le déploiement complet prend approximativement un mois, il démarre quelques heures après le lancement et procède étape par étape. Le déploiement obéit à une procédure bien précise, qui est celle-ci en simplifiée :

  • Déploiement des panneaux solaires et antennes
  • Déploiement des protections solaires
  • Surélévation de la tour portant les miroirs et instruments
  • Démarrage du refroidissement cryogénique
  • Déploiement du miroir secondaire
  • Déploiement du miroir principal
  • Arrivée en L2

Animation du déploiement de l’ensemble dans l’espace par Northrop. Superbe. Autre animation vidéo du déploiement dans l’espace.

Les miroirs

Comparaison des miroirs de Hubble et du JWST. Crédit : NASA

Les 3 types de segments. Crédit : NASA

Les différents segments du miroir primaire recouverts d’or pour favoriser la détection d’IR. Crédit : NASA/Ball Aerospace/Tinsley

Comparaison des fenêtres de détection des trois principaux télescopes spatiaux américains. Crédit : NASA

Le miroir primaire fait 6,5m de diamètre et est constitué de différents segments hexagonaux identiques en Béryllium de 1,3m de diamètre, chacun pesant environ 20kg. Le Béryllium se déforme très peu et en plus c’est un métal très léger (densité 1,8). Par contre il difficile à usiner et est toxique. Chaque segment de ce miroir a été recouvert d’un dépôt ultra fin (120nm !) d’or par évaporation, afin d’assurer la bonne réflexion de la lumière IR reçue. Ce dépôt est recouvert lui-même d’une fine couche de SiO2 (du verre) pour protection. Masse du miroir seul : 625kg. Ils sont construits par Ball Aerospace & Technologies Corp., Boulder, Colorado. Les miroirs élémentaires doivent être jointifs le plus possible, et ce ne peut être accompli qu’à l’aide d’un système développé pour cet usage et appelé Primary Mirror Alignment and Integration Fixture effectuant ses positionnements par pointeur laser. Chaque segment possède sur sa face arrière six actuateurs permettant de modifier légèrement sa surface et sa courbure pour compenser certains effets indésirables et permettre une mise au point parfaite. On voit ici ce bras en train de manipuler un segment pour le mettre en place avec les autres.

Crédit : NASA/ Chris Gunn

Les miroirs sont montés sur une structure très solide en composite de carbone. Signalons que les miroirs sont mobiles dans une faible latitude afin de compenser certaines erreurs de mise au point. Le miroir complètement monté dans la salle blanche du GSFC à Greenbelt (Maryland).

Crédit: NASA/Chris Gunn

Le système comprend aussi deux autres petits miroirs afin d’amener l’image dans le plan focal. On dit que ce télescope serait si précis qu’il permettrait de voir une abeille sur la Lune et d’en mesurer sa chaleur (c’est principalement un télescope IR).

Le pare-soleil (bouclier thermique)

Comme le télescope s’intéresse particulièrement aux objets IR, il va falloir que la température des capteurs et de l’électronique ne produise pas de chaleur détectable. Il faut donc refroidir cet ensemble capteurs-électronique. C’est le rôle du bouclier thermique. Il faut maintenir une température pour la plupart des capteurs de l’ordre de 50K. Ce refroidissement est assuré par différentes couches (5) de polymères (pliables bien sûr aussi) de 22m de long et 12m de large. Ce parasol de 300m2 est large comme un court de tennis. Il assure un refroidissement passif de la partie mesure de 50K. Certains instruments nécessitent un refroidissement cryogénique supplémentaire pour bien fonctionner. Chaque couche de polymère (Kapton –de Dupont de Nemours- revêtu d’Alu pour la conductibilité électrique, afin d’éliminer toute électricité statique !) est plus froide que la couche inférieure, le vide entre les couches étant un excellent isolant thermique. Les deux couches les plus exposées sont en plus recouvertes de silicium faisant office de protection contre ls UV. La face tournée vers le Soleil est exposée au maximum à 383 K, alors que la face opposée serait opposée à 36 K, d’après les modèles employés. Le Kapton peut tenir à des écarts de température énormes : -269°C à +400°C !).

Test des différentes couches chez Northrop Grumman, on remarque les différentes soudures luttant ainsi contre l’augmentation de la taille d’une déchirure. Crédit : Northrop Grumman

Ces 5 couches sont beaucoup plus efficaces qu’une seule couche plus épaisse. De plus elles sont toutes (légèrement) différentes en taille et épaisseur. Ces couches sont résistantes, mais ne sont pas à l’abri d’un percement à cause d’une micrométéorite, c’est pour cela qu’un processus spécial de fusion entre différentes parties des polymères évite un déchirement à partir de ces point de rupture. C’est la société NeXolve qui assemble les couches de polyester.

Le pare-soleil chez Northrop où les 5 couches protectrices sont tendues pour la première fois. Crédit : Northrop Grumman

Le bouclier thermique de test déployé pour la première fois chez Northrop Grumman. Crédit : Northrop Grumman

Le bouclier est toujours situé face au Soleil de manière à ce que le télescope soit toujours « à l’ombre ». Le déploiement du parasol a été particulièrement bien étudié et vérifié afin qu’il s’effectue correctement, sinon la mission est compromise.

Les instruments

Le JWST possède principalement 4 instruments :

  • La caméra dans le proche infrarouge (NIRCam), fournie par la NASA par l’intermédiaire de l’Université de l’Arizona
  • Le spectrographe dans le proche infrarouge (NIRSpec), qui fonctionne dans des longueurs d’onde similaires, fabriqué par Astrium GmbH et fourni par l’ESA et dont les détecteurs et l’ensemble de micro-volets sont, eux, fournis par la NASA.
  • L’instrument dans l’infrarouge moyen (MIRI) – est fourni par un consortium d’organismes européens (dont le CEA) financés sur des fonds publics et par la NASA, la coordination étant assurée par l’ESA.
  • Le détecteur de guidage de précision/caméra à filtre accordable (FGS/NIRISS), est fourni par les Canadiens de l’ASC

En ce qui concerne les instruments, voici un tableau résumant leur domaine d’utilisation en longueur d’onde. Les 4 instruments (Near-InfraRed Imager and Slitless Spectrograph [NIRISS], Near InfraRed Camera [NIRCam], Near InfraRed Spectrograph[NIRSpec], et Mid-Infrared Instrument [MIRI]) offrent une complémentarité d’utilisation. La structure qui supporte notamment ces instruments s’appelle l’ISIM (Integrated Science Instrument Module).

Crédit : NASA/JWST

L’ISIM est partagée en 3 régions :

  • Région 1 : comprend le module cryogénique pour les instruments nécessitant de dépasser le refroidissement passif. Il va jusqu’à 39K et sert aux instruments : NIRCam, NIRSpec, MIRI et FGS. L’instrument MIRI nécessite une étape supplémentaire jusqu’à 7K.
  • Région 2 : c’est l’électronique de contrôle (IEC) des refroidisseurs. Cette zone est maintenue aux alentours de 298K.
  • Région 3 : située au niveau du bus, dans la partie chaude, et comprend des systèmes de commande et de traitement des données.

Crédit : NASA

La caméra NIRCam (Near Infra Red Camera)

NIRCam est la caméra principale grand champ de JWST dans le domaine du proche IR, de 0,6 à 5 microns. C’est aussi un élément essentiel pour permettre l’alignement du miroir primaire grâce à son analyseur de front d’onde. Elle a été conçue par l’Université d’Arizona et la société Lockheed Martin. Cette caméra comprend deux modules redondants de 2,2×2,2 arcmin séparés de 44 arcsec. Chaque module se répartit les longueurs d’onde entre 0,6 et 2,3 pour l’un (SW=short wavelengths) et 2,4 à 5 microns pour l’autre (LW=long wavelengths). Chaque détecteur du SW arrive sur 4 CCD de 2040 par 2040 pixels. Pour celle du LW la lumière est dirigée vers un seul CCD. Cinq filtres permettent de sélectionner les gammes de longueurs d’onde voulues. Un mode coronographe est aussi disponible. La NIRCam est particulièrement bien adaptée à l’étude de la formation des premières galaxies et amas ; la formation des premières étoiles, et à l’étude des exoplanètes et KBO.

Vue d’ensemble de la NIRCam. Le chemin optique de la NIRCam est particulièrement complexe. Crédit : NASA

Dernière phase de test de NIRCam chez Lockheed. Crédit : NASA Goddard

Le NIRSSpec (Near Infra Red Spectrograph)

Un des instruments les plus importants est celui fourni par l’ESA, le NIRSpec conçu pour détecter le rayonnement émis par les premières étoiles et galaxies qui se sont formées au début de l’existence de l’Univers, quelque 300 millions d’années après le Big Bang. Le spectrographe décompose le rayonnement infrarouge de ces objets lointains en fonction de ses différentes couleurs, générant ainsi un spectre qui fournira aux scientifiques des données capitales sur la composition chimique, les propriétés dynamiques, et l’âge de ces objets, ainsi que sur la distance qui les sépare de la Terre. Le NIRSpec sera capable d’observer simultanément pas moins de 100 de ces objets. Il fonctionne dans la gamme de 0,6 à 5 microns. La sélection des objets s’effectue à l’aide de micro-volets.

La technologie des micro-volets (microshutters en anglais) qui sont de très fines ouvertures de l’épaisseur d’un cheveu devraient permettre au télescope de voir des objets à des distances encore jamais atteintes. Le rôle de ces micro-volets est de masquer la lumière parasite d’objets non désirés situés au premier plan.

Réseau de microshutters, il y en aura 4. Crédit : NASA/Chris Gunn

Vue rapprochée des micro volets. Crédit NASA/Chris Gunn

Ces microshutters en silicium sont un développement du Goddard Space Flight Center (GSFC), Greenbelt, Md, USA. Chaque volet est entouré d’une boucle magnétique qui servira à l’ouvrir ou le fermer. Il y a 62.000 micro volets chacun mesurant 100 par 200 micron. Ces volets sont arrangés en quatre réseaux identiques de 171 lignes par 365 colonnes, ils laissent passer la lumière vers le détecteur IR de 8 millions de pixels. Ils devront fonctionner à 40K.

Procédure pour prendre une photo avec ce système : on va d’abord à partir de télescope terrestre prendre une photo de la zone du ciel à étudier, ensuite on va créer un masque avec ces microvolets qui ne laissera passer que la lumière des objets intéressants qui ira ensuite vers le détecteur. Cette philosophie est valable car ce télescope a un grand champ de vision et donc que ses observations peuvent contenir des millions de sources lumineuses. Ces microvolets vont donc aider à bloquer la lumière des objets perturbateurs. Harvey Moseley est le PI des microvolets au GSFC, d’après lui cette technologie devrait nous permettre d’aller plus loin (dans le temps) dans la détection d’objets, car les objets les plus brillants (les plus proches) seront masqués, procurant ainsi un gain en sensibilité de la détection.

Le spectro imageur MIRI (Mid Infra Red Instrument)

Comme son nom l’indique, il s’intéresse plus particulièrement au domaine de l’IR moyen (5 à 28 microns), il est dédié à :

  • l’étude de la formation des premières galaxies ainsi que de leur évolution
  • l’étude de la formation des premières étoiles
  • l’étude des systèmes exoplanétaires avec un mode coronographe permettant d’imager des exoplanètes, ce même système permettant aussi la détection de disques circumstellaires.

C’est une coopération Europe/USA dont la part européenne est dirigée par l’ESA. Le CEA (Irfu) participe activement au développement de l’imageur MIRIM de cet ensemble.  Il a 3 modes d’observation : imagerie, coronographie (différents masques) et spectro basse résolution. La France s’est particulièrement intéressée à MIRIM, l’imageur de MIRI. La coronographie (mise au point par le célèbre Bernard Lyot) est une technique permettant d’atténuer fortement la lumière d’un objet brillant pour permettre l’observation de son environnement (le Soleil pour sa couronne, une étoile pour ses exoplanètes etc..). Le LESIA a mis au point une nouvelle génération de coronographes, appelés coronographes de phase à 4 quadrants ou QPM (Four-Quadrant Phase Masks) très performants. Les détecteurs du MIRI nécessitent un refroidissement aux alentours de 6K ; un refroidissement cryogénique doit s’ajouter au refroidissement passif. Ce refroidissement cryogénique à plusieurs étages utilise de l’Hélium en circuit fermé.

Crédit : Northrop Grumann

Le refroidissement cryogénique (cryocooler) est fourni par Northrop Grumman. Plusieurs étages aboutissent enfin à une boucle JT (Joule/Thomson) permettant d’atteindre les 6K. En régime 6K il ne consomme que 20mW. En plus de l’imageur, un spectromètre à grand champ est prévu (MRS).

Les tests avant lancement

On a appris des erreurs de la mise en service de Hubble (légère anomalie de conception du miroir), c’est la raison pour laquelle des tests organisés par des sociétés indépendantes utilisant des procédures différentes, ont été prévus et se sont déroulés depuis plusieurs années. Ces nombreux tests intermédiaires ont donc eu lieu, mais attachons-nous seulement aux derniers tests généraux avant expédition en Guyane. Le test final de l’ensemble télescope sans le pare-soleil mais accouplé à l’ISIM (ensemble baptisé OTIS), a eu lieu pendant trois mois, 24 heures sur 24, au centre spatial Johnson à Houston dans l’immense chambre à vide A datant de l’époque Apollo. Cette chambre refroidie et sous vide a été légèrement modifiée depuis la glorieuse époque de la conquête lunaire. Notamment le système de refroidissement a été amélioré (Hélium au lieu d’Azote liquide) afin d’atteindre les 37K (-236°C) simulant ainsi les conditions spatiales du télescope. Quelques semaines sont nécessaires pour descendre en température, idem pour retourner à l’ambiance. C’est le plus grand banc de test cryogénique du monde : 16,8m de diamètre, 27,4m de haut, la porte a un diamètre de 12m et pèse 40 tonnes ! Une salle blanche attenante garantit le degré de propreté requis. Les tests ont été un succès, une équipe française avait d’ailleurs participé à ces tests.

Sortie de OTIS à la fin des tests cryogéniques à Houston. Crédit : NASA/Chris Gunn

Le déploiement du pare-soleil a aussi été testé complètement chez Grumman ; les 5 couches ont été dépliées et séparées suivant la procédure qui doit se produire dans l’espace. Ce test a pris plusieurs jours comme cela devrait être le cas en orbite. Le test sur Terre est compliqué par la présence de la gravité, il a fallu supporter l’ensemble des couches sur une structure prévue. Le déploiement du pare-soleil nécessite l’action d’une centaine de micromoteurs qui doivent être déclenchés suivant un ordre bien précis.

Crédit : Northrop Grumman/Alex Evers

Le dernier test de déploiement en vidéo en accéléré. Une autre photo intéressante de ce test.

Une fois ces tests effectués avec succès, OTIS a été envoyé chez Grumman en Californie pour être associé au pare-soleil et former ainsi l’ensemble JWST. Arrivée en février 2018 en Californie pour assemblage en septembre 2018 et expédition à Kourou à la fin de l’année.

Le pré-lancement et le lancement

Le Webb est envoyé à Kourou enfin à la fin de l’été 2021. Le JWST voyage en bateau vers son site de lancement, en effet, un voyage en avion aurait été problématique à l’arrivée. Le reste du parcours de l’aéroport de Cayenne à Kourou aurait été plus difficile à surmonter pour ses fragiles instruments et aussi le passage de nombreux ponts aurait été problématique, c’est la raison pour laquelle on a choisi le transport par bateau. Finalement le télescope est arrivé au port de Pariacabo le 12 octobre 2021. Son container de 30 m de long (70 tonnes) est placé à bord du MN Colibri qui a voyagé depuis la Californie et le canal de Panama jusqu’à la Guyane. L’avantage de ce port, c’est qu’il est situé à Kourou, près du site de lancement, il n’y a plus qu’à décharger l’ensemble et à l’amener sur site.

Le lancement a été reporté un très grand nombre de fois (je ne compte plus !), et voilà que maintenant une fois arrivé à Kourou, un « incident » reporte son lancement prévu le 18 décembre 2021 au 22 décembre. Après vérification, la date du 22 Décembre 2021 est maintenue. Changement de dernière minute : 24 décembre ! Et finalement 25 décembre !

Remplissage des ergols du Webb dans le hangar spécialisé à Kourou. Ces ergols (hydrazine et tétroxyde d’azote) sont particulièrement dangereux et corrosifs. C’est la raison pour laquelle les techniciens revêtent des combinaisons spéciales. Crédit : ESA/CNES/Arianespace

Ensuite on place le télescope au sommet d’Ariane dans la coiffe. On voit sur la photo le Webb en train d’être solidarisé de la coiffe (coiffe non visible sur cette photo).

Crédit : ESA/Manuel Pedoussaut

Vue du Webb qui va être monté dans la coiffe et solidarisé du dernier étage d’Ariane 5. Crédit : ESA/Manuel Pedoussaut

Ariane avec le Webb sur son pas de tir.

Le voyage

Le lancement a été parfaitement exécuté le 25 décembre 2021. Plus de détails dans les prochaines éditions. On vous tiendra au courant de l’évolution de ce voyage jusqu’à l’arrivée en L2. Pour le moment ce que l’on peut dire : Une fois lancé de Kourou, le Webb va prendre un mois pour arriver à sa position orbitale choisie (L2) à 1,5 millions de km de la Terre. Pendant son trajet, il va se déployer progressivement suivant un programme bien déterminé (voir plus haut). J’ai noté qu’il y avait 189 pièces de déploiement et que le télescope devait s’ouvrir avant que les articulations ne gèlent ! On pense commencer à utiliser le Webb six mois après son lancement.

Le voyage du Webb à L2. Crédit : ESA

On attend beaucoup de ce nouveau télescope, mais, attention, ses photos seront principalement des photos de zones prises en IR (proche et moyen) et ne ressembleront peut-être pas à celles de Hubble (prises la plupart dans le visible). Alors laissons-nous surprendre, cela devrait intervenir approximativement 6 mois après le lancement et après de nombreuses répétitions.

Conclusion

Le télescope James Webb est effectivement d’un nouveau type complètement novateur, mais d’une complexité extrême due au fait de sa taille qui nécessite un pliage ultra sophistiqué. Le déploiement dans l’espace est un processus, lui aussi complexe où la moindre vis ou goupille “de travers” rendrait la mission finie avant d’avoir commencée. Signalons aussi que ce qui avait été l’avantage de Hubble (la proximité terrestre permettant des opérations de dépannage) est pour le JWST un inconvénient vu son éloignement. C’est un pari risqué pour la NASA qui joue sa crédibilité encore une fois.

Toute la communauté scientifique espère que tout se passera sans problème. Souhaitons bonne chance à ce nouveau télescope spatial.

Jean-Pierre Martin
www.planetastronomy.com