La Tour Eiffel et le temps

La Tour Eiffel fut construite pour célébrer le centenaire de la Révolution Française lors de l’exposition Universelle de 1889. Sa construction dura 2 ans, 2 mois, 5 jours. L’inauguration eut lieu le 15 mai 1889. Le contrat initial concernant la Tour Eiffel prévoyait qu’au bout de 20 ans elle serait détruite, soit au 31 décembre 1909.

La construction de la Tour Eiffel fut très violemment critiquée, en particulier par les écrivains, comme l’illustre quelques termes extraits du journal Le Temps du 14 février 1887 :
« Une gigantesque et noire cheminée d’usine » « Une odieuse colonne de tôles boulonnées » «  un hideux pylône à grille » « Un colosse couleur de nuit » « Un suppositoire criblé de trous »

L’alliance du temps et de la radio
Pour sauver la Tour Eiffel de la destruction, le capitaine Ferrié proposa en 1903 à Gustave Eiffel d’installer un réseau militaire de TSF (Télécommunication Sans Fil).  La Tour Eiffel était à l’époque la plus haute construction au monde. Elle permettait d’installer de grandes antennes du sommet jusqu’au sol, en plein Paris, pour envoyer ou recevoir des ondes électromagnétiques.

Gustave Eiffel accepta le 15 décembre 1903 de financer le projet à hauteur de 40 000 francs.
Dès 1908, on découvrait que la portée des ondes pouvait atteindre des distances considérables, de l’ordre de 6 000 km. Henri Poincaré demanda alors à la Chambre des députés de créer un service commercial radiophonique au sommet de la Tour Eiffel. Le projet fut voté le 17 juillet 1909.

Les premiers signaux horaires officiels par TSF datent du 23 mai 1910. En 1911, 6 câbles de 425 m de long partent du sommet de la Tour Eiffel pour atteindre la station souterraine située sous le Champs de Mars à environ 150 m du pilier est. La Tour Eiffel émettait, à 12 h et à 24 h, des signaux horaires donnant exactement l’heure de Paris. Ces signaux étaient extrêmement utiles pour les bateaux en haute mer pour déterminer avec précision leur longitude.

Comment déterminer la longitude d’un bateau
La latitude peut être déterminée à partir de la hauteur du Soleil dans le ciel lorsqu’il culmine, c’est-à-dire lorsqu’il est midi au Soleil; ceci est connu depuis très longtemps. En ce qui concerne la longitude, c’est plus complexe. Il faut utiliser la différence entre l’heure locale et l’heure de référence. On se base sur la rotation moyenne de la Terre. Celle-ci tourne, d’ouest en est, en moyenne de 360° en 24 h, soit 15° par heure ou 1° tous les 4 minutes. En 1884, la Conférence de Washington avait décidé de diviser la Terre en 24 fuseaux horaire de 15° chacun.

Avant l’invention de la TSF, on utilisait un chronomètre de marine dont le rôle était de conserver l’heure de référence du point de départ, et on déterminait l’heure solaire locale à midi, qu’il fallait corriger des variations saisonnières pour assurer la comparaison. Mais tout le monde sait que le temps n’aime pas être mis en boite….Cette heure du chronomètre de marine, tôt ou tard, avait tendance à dériver.

Au début du XXème siècle, les horloges à bord sont plus fiables, et les ondes électromagnétiques permettent de s’affranchir totalement de ce problème ! Se déplaçant à la vitesse de la lumière les ondes transmises par la Tour Eiffel  sous forme d’un bip horaire permettent de connaitre, quasi instantanément, l’heure de Paris à midi et à minuit, même si l’on est très éloigné de Paris.

Le décalage des temps entre l’heure de l’horloge locale et l’heure de la Tour Eiffel permet de déduire le décalage des longitudes entre la position du bateau et celle de la Tour Eiffel. Par exemple si ce décalage vaut 1 h 20 (soit 80 minutes) le bateau est situé à 20° de longitude ouest par rapport au méridien de Paris.

L’Observatoire de Paris était chargé, comme aujourd’hui, d’indiquer et de transmettre l’heure exacte. Des câbles électriques souterrains reliaient l’Observatoire de Paris au pied de la Tour Eiffel.

La Tour Eiffel fut donc sauvée de la destruction grâce aux signaux radios indiquant l’heure de Paris.

La Société astronomique de France, dont Gustave Eiffel était membre, a largement soutenu ce projet, comme plus généralement son utilisation à des fins scientifiques. À la fête du Soleil du 21 juin 1904, les membres de la SAF ont pu assister à la première installation de la télégraphie sans fil au sommet de la Tour.

Christian Larcher