La longue route vers un lanceur réutilisable européen

La conférence ministérielle de l’ESA (Agence Spatiale Européenne) qui s’est achevée le 23 novembre 2022 a mis sur le devant de la scène la sélection de nouveaux astronautes et le soutien aux programmes de lanceurs classiques Ariane 6, Vega-C et E. Le premier allumage du moteur Prometheus quelques jours plus tôt à l’établissement ArianeGroup de Vernon montre que l’avenir de la filière Ariane est déjà en préparation et prend en compte le concept de la réutilisation.

En l’espace de quelques années seulement l’entreprise américaine SpaceX a démontré la faisabilité opérationnelle de la récupération et de la réutilisation d’un premier étage de lanceur spatial avec sa fusée Falcon 9. A ce jour elle a déjà envoyé dans l’espace jusqu’à 14 fois le même premier étage ! Si l’intérêt économique pour l’Europe reste encore à démontrer, les différentes agences spatiales du vieux continent se sont cependant mises en ordre de marche pour progresser sur ce sujet à l’aide d’un ensemble cohérent de démonstrateurs technologiques.

Prometheus, le moteur à bas coût réutilisable utilisant du méthane

Clé de voute de ces démonstrateurs européens, le moteur Prometheus est un programme initialement proposé par le CNES (Centre National d’Etudes Spatiales Français) dès 2015. Il est devenu un programme financé par l’ESA en 2017.

A la différence des moteurs de la filière Vulcain (versions 1, 2 puis 2.1) qui propulsent respectivement les lanceurs Ariane 5, Ariane 5 Evolution et bientôt Ariane 6 à l’aide du couple d’ergols Hydrogène/Oxygène liquides, Prometheus utilise le Méthane et l’Oxygène liquides. La gamme de poussée visée pour ce moteur reste par contre à peu près la même que pour Vulcain, soit environ 1000 KN, mais celle-ci pourra être pilotée de 30% à 110%. Le moteur est également conçu pour être réallumable et doit contenir son propre système intégré de surveillance active de ses paramètres. Il utilise une architecture dite à flux dérivé, utilisant un générateur de gaz.

Pourquoi le choix du méthane ? Il s’agit d’une solution qui apporte des gains en termes de réutilisation et de réduction des coûts, qui sont les deux principaux objectifs de ce programme. En particulier, les débits volumiques de l’oxygène liquide et du méthane liquide étant identiques, il suffit d’une seule turbopompe pour alimenter le moteur au lieu de deux pour le moteur Vulcain. De plus la température du méthane liquide (-161°C) est plus élevée que celle de l’hydrogène liquide (-253°C), ce qui sollicite moins le moteur en températures extrêmes pendant son fonctionnement et favorise ainsi sa réutilisation, envisagée pour un objectif de 5 vols.

Pour sa fabrication de ses composants, 70% du moteur fera appel à des technologies d’impression 3D, ce qui favorisera également une baisse de son coût de production. Avec ces innovations, le coût unitaire du moteur Prometheus devrait être 10 fois inférieur à celui du moteur Vulcain 2.


Crédit : Arianegroup

Une logique d’essais en plusieurs étapes

Un premier prototype du moteur, qualifié « d’hybride » car il utilise le corps de chambre de combustion du Vulcain 2.1 d’Ariane 6, a été assemblé dans l’établissement d’ArianeGroup à Vernon. Réceptionné en novembre 2021, il est désormais testé sur place depuis le 18 novembre 2022 pour une campagne d’essais préliminaires sur un banc spécifique, appelé Themis 1G (G pour Ground, sol en anglais). Celui-ci reproduit la configuration des réservoirs à échelle réduite de la série de démonstrateurs de premier étage réutilisable du programme Themis abordé plus loin dans cet article. Auparavant, une campagne de familiarisation avec les nouveaux ergols a été réalisée dans le cadre de la phase d’essais Themis 0.

Une série de dix à quinze essais de courte durée (20 secondes maximum) est prévue sur ce banc. Sur les photos il est facile de distinguer les deux réservoirs positionnés l’un au-dessus de l’autre comme sur un étage de lanceur. Cette campagne a pour principal objectif de dé-risquer les choix techniques du moteur avant des essais plus longs. Originalité de cette logique d’essais, le moteur est testé très tôt sur un banc se rapprochant le plus possible de la configuration physique de l’étage du lanceur.

Crédit : Arianegroup

Crédit : Arianegroup

Les premiers moteurs d’essais complètements représentatifs M1 et M2 seront testés un peu plus tard sur le banc P5 de la DLR (Agence Spatiale Nationale Allemande), à Lampoldshausen. Ce banc qui avait servi aux essais de développement des moteurs Vulcain d’Ariane 5 et 6 depuis les années 1990 a donc été aménagé en ce sens.

Crédit : DLR

Themis, une série de démonstrateurs de premier étage réutilisable

Après les essais au sol sur les bancs P5 et Themis 1G, l’étape suivante consistera à utiliser le moteur pour effectuer des décollages et atterrissages d’un démonstrateur de premier étage réutilisable. D’abord à de faibles altitudes, puis lors de véritables vols propulsés de longue durée. C’est l’objet du programme Themis. Son but est de développer le système d’atterrissage, les surfaces de contrôle du vol, et le système de surveillance active des paramètres d’un premier étage réutilisable.

La première étape de ses essais en vol consistera à faire « sauter » à quelques dizaines de mètres d’altitude le démonstrateur Themis 1H (1 pour le nombre de moteurs, H pour « Hop », Saut en anglais) sur le site de la Swedish Space Corporation à Kiruna en Suède. Un concept d’essais similaire à celui de SpaceX avec son « GrassHopper » (Sauterelle) qui a servi à valider la récupération du premier étage du Falcon 9 entre 2011 et 2014. Cette première étape semble maintenant prévue en 2023/2024 pour le programme européen.

La deuxième étape, beaucoup plus ambitieuse, prévoit d’effectuer des vols à haute altitude (60-70 Km) à l’aide de Themis 3F (3 moteurs, F pour « Flight », Vol en anglais), un démonstrateur haut de 30 mètres, présentant un diamètre de 3,5 mètres et pesant 172 Tonnes, à partir du Centre Spatial Guyanais à Kourou d’où s’envolent les fusées Ariane. Cette phase d’essais semble maintenant prévue à partir de 2025.

Crédit : ESA

Crédit : ArianeWorks

Callisto, un programme du CNES en coopération avec l’Allemagne et le Japon

En complément de la famille des démonstrateurs Themis, le démonstrateur Callisto a aussi comme objectif de tester la réutilisation d’un premier étage. Il s’agit cette fois d’un programme du CNES mené en coopération avec l’Agence Spatiale Allemande DLR et l’Agence Spatiale Japonaise JAXA. Callisto est l’acronyme de “Cooperative Action Leading to Launcher Innovation in Stage Toss-Back Operations” (« action de coopération conduisant à l’innovation dans les lanceurs pour les opérations de retour »).

D’une masse de 3,6 Tonnes au décollage, il est plus petit que Thémis (hauteur 15m pour un diamètre de 1m) et utilisera pour sa propulsion un moteur japonais fonctionnant à l’Hydrogène et l’oxygène.

L’objectif est de le faire voler entre cinq et dix de fois jusqu’à 25/30 Km d’altitude depuis le Centre Spatial Guyanais à Kourou. Les vols ne sont pas envisagés avant la fin de l’année 2024. Ce démonstrateur à échelle réduite utilisera l’ancien pas de tir du lanceur français Diamant qui sera pour l’occasion remis en état.

Crédit : CNES

 

FROG, le précurseur à échelle très réduite

Pour la mise au point des algorithmes du système de guidage, de navigation et de contrôle de Callisto et de Thémis, un mini-démonstrateur appelé FROG-T a également été conçu par le CNES et ArianeGroup.

D’une hauteur de 2,5 mètres et d’un diamètre de 30cm, FROG est propulsé par un petit turboréacteur fonctionnant au Kérosène et capable de pousser 400N à la verticale. Il est équipé de 4 pieds en carbone et a déjà effectué des vols captifs en 2019 et des vols libres à partir de septembre 2020 jusqu’à 50 mètres de hauteur à Brétigny Sur Orge.

Crédit : CNES

Son successeur appelé FROG-H sera un peu plus grand (4 mètres) et plus lourd (100 Kg). Il sera équipé d’un moteur plus puissant de 1600 N fonctionnant au peroxyde d’hydrogène. En fabrication depuis fin 2021, il devrait voler au plus tôt fin 2022.

Maia, la première application opérationnelle

La première application opérationnelle de toute cette phase de démonstration devrait prendre la forme d’un petit lanceur à premier étage réutilisable développé par la filiale d’ArianeGroup appelée MaiaSpace et spécialement créée dans ce but.

Le mini lanceur Maia dévoilé fin 2021 utilisera le moteur Prometheus et les acquis techniques de Themis. Il sera capable de mettre en orbite basse des charges utiles de 500Kg à 1Tonne depuis Kourou à partir de 2026. Il fait partie des 7 lanceurs sélectionnés pour utiliser le pas de tir de Diamant en Guyane dans le cadre d’un appel à candidature lancé par le CNES.

Crédit : Arianegroup

Un lanceur lourd réutilisable pour succéder à Ariane 6 ?

Enfin, l’ultime étape sera de décider de lancer la conception un lanceur lourd à premier étage réutilisable pour succéder à Ariane 6 dans les années 2030, si la rentabilité économique et la faisabilité techniques sont démontrées d’ici là. Il s’agit du programme Ariane Next dont les contours sont évidemment très flous à ce stade, la priorité de l’ESA étant avant tout de réussir la mise en service et l’exploitation d’Ariane 6 à partir de fin 2023, ainsi que celle des petits lanceurs VEGA-C, qui a déjà réussi son tir inaugural en juillet 2022, et de son successeur VEGA-E prévu à partir de 2026.

Jacques Bocherens