Compte rendu de la conférence de la SAF du 16 février 2018
LES FORMES DE L’ESPACE : DU TROU NOIR AU MULTIVERS
Conférence donnée par Jean-Pierre Luminet
Directeur de recherche au CNRS, astrophysicien LUTH, Laboratoire d’Astrophysique de Marseille
Première simulation d’ordinateur d’un trou noir entouré d’un disque de gaz, effectuée par Jean-Pierre Luminet en 1979.
Introduction
« La description de la forme de notre espace physique à diverses échelles de grandeur (en taille ou en énergie) met en jeu une riche variété de modèles géométriques, chacun dépendant de la théorie physique sous-jacente.
La visualisation des distorsions spatio-temporelles engendrées par les champs gravitationnels et quantiques est l’un des grands défis de la physique fondamentale du XXIe siècle.
Je discuterai des représentations décrivant la forme de l’espace engendrée par les trous noirs, puis la forme globale de notre univers dans le cadre de la topologie cosmique, pour finir avec quelques indications sur les structures possibles de l’espace-temps à l’échelle quantique. »
Topologie et formes de l’Univers
La topologie est la branche de la géométrie qui classifie les espaces en fonction de leur forme globale. Par définition, les espaces d’une même classe peuvent se déduire les uns des autres par déformation continue, sans découpage ni déchirure. Dans le cas des espaces à deux dimensions, c’est-à-dire des surfaces, la sphère, par exemple, a la même topologie que n’importe quelle surface fermée ovoïde.
Mais le plan est de topologie différente, puisque aucune déformation continue ne lui donnera la forme d’une sphère. Les trois formes possibles de l’Univers :
- Courbure spatiale positive (sphère, par exemple, somme des angles d’un triangle >180°) ;
- Courbure négative (selle de cheval, par exemple, somme des angles d’un triangle <180°) ; et
- Espace plat (euclidien, somme des angles d’un triangle = 180°).
À priori avec nos connaissances actuelles nous serions dans un espace presque plat.
Gravitation
La gravitation courbe l’espace et plus la gravité est forte (à l’approche d’un trou noir) plus l’espace se courbe. Une des grandes avancées du XXème siècle a été l’équation des champs d’Einstein qui relie la géométrie à la matière. Étant donnée la vitesse finie de la lumière, celle-ci décrit un cône dans l’espace-temps : le cône de lumière qui crée la distinction entre passé et futur. Le point central de départ, c’est le présent. Tout ce qui est à l’extérieur du cône est hors de portée de l’observateur, à l’intérieur, ce qui se déplace moins vite que la lumière est dans le cône, le cône lui-même correspondant à la vitesse limite. Le cône de lumière est modifié par la gravité.
Trous noirs
Un trou noir est une région de l’espace-temps d’où les photons ne peuvent sortir. Le trou noir distord la forme de l’espace autour, derrière et à l’intérieur. La première simulation de l’apparence d’un trou noir entouré d’un disque d’accrétion, a été faite par JPL lui-même en 1979. Plus tard, elle a été perfectionnée par Jean-Alain Marck en 1993.
Voici le commentaire de l’astrophysicien Olivier Laurent, qui était présent à la conférence, sur cet assemblage d’images :
« On peut voir une modélisation d’un disque d’accrétion tournant autour d’un trou noir de Schwarzschild (sans rotation) qui montre plusieurs aspects intéressants. Le disque d’accrétion devant être plus chaud près du trou noir par effet de friction, sa luminosité doit donc augmenter en s’approchant du trou noir.
Le disque ne semble pas plat à cause des déformations des trajectoires des rayons lumineux qui suivent des géodésiques dans un espace-temps courbé par la masse de trou noir. On peut ainsi voir en même temps l’image du dessus et du dessous du disque d’accrétion normalement caché par le trou noir qui parvient à l’observateur. La luminosité du disque d’accrétion est également très différente de sa luminosité intrinsèque.
La partie du disque s’approchant de l’observateur va apparaître plus lumineuse et présentera également des longueurs d’ondes plus courtes (blueshift) à cause de l’effet Doppler responsable de ces deux effets. Et inversement, la partie du disque s’éloignant de l’observateur aura une luminosité plus faible avec un spectre décalé vers le rouge (redshift).
Le phénomène de dilatation du temps par la gravité (nommé aussi effet Einstein ou redshift gravitationnel) est également présent près du bord interne du disque où l’on peut voir que le disque s’assombri à cause de la diminution d’intensité et de fréquence des rayons lumineux provenant des régions proches de l’horizon du trou noir (mais toujours à l’extérieur de l’horizon du trou noir).
Le disque d’accrétion ne touche pas l’horizon du trou noir, mais des effets de mirages gravitationnels du disque d’ordres multiples sont visibles très près de l’horizon. »
Sagittarius A*
Notre propre trou noir galactique, Sagittarius A*, est situé à 30.000 al de nous et a une masse équivalente à 3 à 4 millions de masses solaires. Le défi actuel est d’essayer de « voir » ce trou noir, ou plutôt son disque d’accrétion. Ce sera le but ultime d’un réseau de télescopes terrestres, le EHT (Event Horizon Telescope) associant de multiples radiotélescopes situés sur toute la planète.
La cosmologie relativiste
Notre vue est limitée par l’horizon cosmologique. Cette limite, similaire à l’horizon du marin en mer, provient du fait que la vitesse de la lumière est finie et que donc certaines étoiles ont émis de la lumière qui ne nous a pas encore atteint. Notre vue de cet univers observable est limitée à l’âge de l’Univers, approximativement 13 milliards d’al, c’est l’horizon cosmologique. Ce n’est pas l’horizon réel de l’univers observable qui est plus grand. En effet, l’Univers a continué de s’étendre pendant le temps que la lumière met à nous parvenir. Cet univers réel est évalué à 50 milliards d’al. Il y a trois cas de figure :
Hypothèse 1 : l’univers est infini : c’est le modèle préféré des astronomes, mais problème : comment peut-on prouver que quelque chose est infini, c’est donc un modèle non testable ce qui gêne les physiciens.
Hypothèse 2 : univers fini et sans bord, mais qui serait plus grand que l’univers observable, c’est testable.
Hypothèse 3 : univers fini sans bord et plus petit que l’univers observable, c’est sur ce sujet particulier que travaille Jean-Pierre Luminet et son équipe. Dans cette hypothèse, ce que l’on voit dans le ciel, ne serait qu’un mirage, l’univers nous donne l’illusion qu’il est plus grand qu’il n’est en réalité.
Commentaire d’Olivier Laurent :
« La relativité générale est une théorie locale permettant de relier localement la densité d’énergie et la courbe locale de l’espace-temps mais elle ne permet pas de décrit la forme globale de l’Univers. Deux techniques sont actuellement utilisées pour tenter de trouver une structure topologique dans notre Univers observable. La première technique nommée cristallographie cosmique est basée sur les structures de l’Univers à grande échelle (répartition des amas de galaxies) et la seconde technique utilise l’analyse statistique des anisotropies du fonds diffus cosmologique émis 380 000 années après le big-bang. »
Il faut rechercher ces mirages cosmiques en cherchant dans les cartes de WMAP et de Planck des cercles corrélés qui représentent des endroits mirages mais bien entendu on ne peut pas chercher des images identiques, car ces mirages ne correspondent pas forcément à la même époque et à la même vue d’une zone du ciel.
Théories d’unification
On recherche depuis des décennies à unifier RG et MQ, mais jusqu’à présent sans grand succès. Il y a bien quelques pistes : la théorie des cordes ou la gravité quantique à boucles ou… Et on en arrive dans certaines théories à parler d’un avant Big Bang !
Compte rendu détaillé ICI
Le canal de Jean-Pierre Luminet sur youtube ICI
Le blog de Jean-Pierre Luminet ICI
Livres :
Jean-Pierre Luminet est l’auteur de plusieurs livres. La plupart de ses livres sont disponibles à la bibliothèque de la SAF. Voici quelques titres récents :
De l’infini – Horizons cosmiques, multivers et vide quantique (avec Marc Lachièze-Rey), 2016, Cote SAF 8411
L’univers en 100 questions, 2015, Cote SAF 8372
Dialogues sous le ciel étoilé (avec Hubert Reeves), 2016, Cote SAF 8438
La vidéo de la conférence. © Laurence Honnorat, Innovaxion