Hommages à Jean-Jacques Favier

Un Américain à Toulouse
Le 15 septembre 2006, je gravis deux étages du Cnes Toulouse pour croiser Jean-Jacques Favier et lui proposer de mettre la Terre dans une bouteille à l’aide d’une constellation spatiale et d’un cloud. Une idée folle à cette époque, et Jean-Jacques mit trois secondes, pas plus, à comprendre la revolution qui allait suivre. Voilà où se situent les grands esprits qui voient l’évidence même en dehors des chemins battus.
La suite fut près de huit ans de travail en commun où son aisance à expliquer les choses, sa précision et sa dynamique furent le ciment de l’entreprise Blue Planet, dont il fut un fondateur et acteur enthousiaste.
Jean-Jacques, tout le monde se l’accorde, était l’homme avec qui les voyages étaient bonheur. Aussi agile dans sa pensée que dans son désir de connaître les pays, et six heures dans un Boeing 747 se transformant en six heures de discussions passionnantes.
Un des premiers acteurs du spatial à avoir rencontré Google et saisi l’influence à venir du monde de l’économie numérique sur l’observation de la Terre.
Des qualités humaines aussi, à l’aune de sa compétence qui ont fait de lui un humaniste moderne et un scientifique ouvert aux nouvelles idées d’où qu’elles viennent.
Je retiens de lui une seule phrase qui résume sa vie : “If you don’t try, you don’t get!”
Un Américain à Toulouse en quelque sorte, avec la somme des qualités issues de ces deux mondes.

Jean-Pierre Antikidis
Président de Blue Planet

Crédit : Jean-Pierre Antikidis

Presque par coïncidence
En 1995, j’ai eu la joie de connaître Jean-Jacques Favier, presque par coïncidence à Cocoa Beach. Nous étions dans le même hôtel un an avant son vol et je ne le connaissais pas encore. Avant même de me parler de son rôle et de sa mission, pour laquelle il est en plein entraînement à Houston, il m’explique le comportement des métaux en fusion en microgravité. Il m’apprend ensuite qu’il est le premier astronaute physicien-ingénieur et qu’il est responsable scientifique du four spatial Mephisto, installé dans le laboratoire européen Spacelab.
En juin 1996, avec son équipage, il transportera pour la première fois de l’histoire la flamme olympique des jeux sur 11 millions de kilomètres autour de la Terre ! Pour l’AFP, je couvre ses 16 jours de vol qui se passent à merveille à bord de Columbia, la même navette qui s’est désintégrée lors de son 28e vol, le 1er février 2003, tuant ses sept astronautes.
Comme tous ceux qui ont eu la chance d’échanger avec lui, j’ai tout de suite été touché par sa passion de découvrir, sa joie de vivre et sa modestie qui ont construit notre amitié.

Frédéric Castel
Journaliste

Une dégustation mémorable
Pensée pour mon ami Jean-Jacques Favier, dont nous venons d’apprendre la disparition. J’ai eu le plaisir de l’accompagner, à Houston à la Nasa, lors des séances de simulateur de vol de la Navette, à bord de laquelle il a volé durant deux semaines. J’ai découvert un grand scientifique doublé d’un homme très discret qui fuyait les médias. Et il a fallu l’intervention de sa famille pour qu’il accepte sa première interview. Je me souviens également, lors de son retour en France avec l’équipage, d’une visite de son village natal de la Drôme et d’une dégustation du picodon dont il avait emmené des échantillons dans l’espace !
Tu as maintenant, mon cher Jean-Jacques, rejoint les étoiles.
Mais, je ne t’oublierai pas.
Pensées à sa famille.

Michel Chevalet
Journaliste

Crédit : Michel Chevalet

Il fut mon directeur de thèse
Jean-Jacques Favier m’a accueilli dans son laboratoire au CEA à Grenoble. Il a été officiellement mon directeur de thèse de doctorat pendant mes deux premières années. Je viens de faire le calcul, c’était il y a presque 35 ans. Il avait été sélectionné pour être spationaute quelques années auparavant. Je rêvais d’en faire autant un peu plus tard.
Jean-Jacques menait de front ses rôles de chef de labo et de spationaute à l’entraînement. Il avait avec lui une belle équipe, fière de participer à son aventure. Avec sa mission, il aura porté haut, au sens propre comme au figuré, les couleurs du CEA et celle de l’ensemble de la communauté scientifique de Grenoble.
Après son vol, il s’était occupé de différents programmes scientifiques alors que j’étais parti sur d’autres voies, mais il m’avait recontacté et s’était intéressé à l’occasion à mon travail.
Je ne sais pas si Jean-Jacques rêvait depuis toujours de devenir spationaute, où s’il a juste su saisir un concours de circonstances favorables qui se sont offertes à lui, une opportunité dans ce que le sens de ce mot a de meilleur. Je penche plutôt pour cette dernière solution. Moi, à l’époque, je rêvais de devenir spationaute, mais c’est une autre opportunité que j’ai saisi, et je fais aujourd’hui un métier passionnant qui n’a rien à voir et je ne regrette absolument pas !
Je pense que Jean-Jacques aurait été d’accord avec moi pour faire passer un message à tous ceux qui se cherchent encore : soyez ouvert, prêt à vous passionner. Il y a tant de choses passionnantes à faire.
Jean-Jacques avait trouvé l’espace. C’était évidemment passionnant. Et peu banal. Mais je crois comprendre qu’il savait trouver les choses passionnantes, encore au-delà de l’espace.

Laurent Cortella
Ingénieur-chercheur CEA au sein d’ARC-Nucléart

Planète Bleue
Voilà près de 20 ans que j’ai rencontré Jean-Jacques Favier. Nous avons eu de nombreuses occasions de nous retrouver, tant dans le cadre associatif pour des sujets liés à la promotion de l’exploration spatiale auprès du grand public, que dans un cadre professionnel avec Esri France et Google pour des sujets liés à l’observation de la Terre et aux systèmes d’information géographique.
Jean-Jacques, comme tous les astronautes, portait un regard singulier sur notre planète. Cela ne pouvait laisser indifférent le géographe que je suis.
Alors qu’en 2009 il cofondait avec son compère Jean-Pierre Antikidis, la startup Blue Planet – une spin off du Cnes –, il me contactait pour tenter d’intéresser les Américains à la vision très ambitieuse que les deux Français avaient développée.
Blue Planet et eCORCE étaient des projets avant-gardistes, précurseurs d’une période qui allait peut-être démocratiser l’orbite basse et permettre l’observation civile de la planète de façon industrielle et systématique. Cela devenait envisageable grâce à la convergence de différentes technologies de pointe, conjuguées à l’avènement du Cloud Computing, le tout permettant désormais d’envisager l’observation de la Terre à haute fréquence et à très haute-résolution par une constellation de satellites astucieusement conçus et mis à poste. En octobre 2009, J’accueillais même (avec Rony Gal le fondateur d’Esri France) Jean-François Clervoy et Jean-Jacques comme Grands Témoins de la conférence francophone ESRI, SIG 2009. Jean-Jacques présenta Blue Planet et emporta la salle composée de 1500 géomaticiens et géomaticiennes…
Malheureusement, les circonstances ont fait que nous n’avons jamais pu concrétiser la vision portée par Jean-Jacques, mais nous y avons cru et nos échanges passionnés étaient toujours formidables tant les perspectives et les usages laissaient entrevoir de nouvelles applications et de nouveaux services, pour le plus grand nombre.
Je garde de Jean-Jacques le souvenir d’un homme chaleureux, profondément humain, d’une grande intelligence et d’une vraie humilité. Sa disparition est un choc. Il nous manque déjà.

Gilles Dawidowicz
Vice-président de la Société Astronomique de France

Crédit : ESRI France 2009

Un inlassable ambassadeur du spatial et des sciences et techniques
Devenu ami, Jean-Jacques Favier participait souvent à nos activités, encore récemment pour nos 25 ans et l’anniversaire de la Cité de l’espace en juin 2022 ou pour parler des métiers du spatial et des sciences avec les plus jeunes.
Il y a près de deux ans, le 15 juin 2021, l’Association des Amis de la Cité de l’espace (AACE) lui décernait le Grand Prix AACE pour l’ensemble de sa carrière : astronaute, scientifique, enseignant et vulgarisateur.
C’était pratiquement le jour du 25ème anniversaire de la mission STS-78.
Président de l’association, j’avais eu l’honneur de lui remettre ce prix et de faire le portrait de Jean-Jacques Favier devant le public réuni dans la salle Imax de la Cité de l’espace. Préparer ce témoignage avec lui avait été un moment très agréable et très instructif.
En préparant la remise des prix, j’avais demandé à Jean-Jacques pourquoi il consacrait autant d’énergie à l’enseignement et aux actions de sensibilisation dans les classes. Il m’a répondu : « J’ai pu voler grâce à l’argent public. Cela me paraît un juste retour de contribuer à susciter des vocations dans le domaine scientifique et technique. »
Son sourire, sa gentillesse et sa grande taille, qui lui interdisait un vol à bord du vaisseau Soyouz, vont nous manquer. Nous pensons à ses enfants et à son épouse.
Voir son hommage complet ici.

Gil Denis
Président des Amis de la Cité de l’espace

Crédit : Gil Denis

Un ami de la Cité de l’espace
Cher Jean-Jacques
Comme tu vas nous manquer et manquer à nos visiteurs !
Tu répondais présent chaque fois que tu le pouvais pour des événements à la Cité de l’espace ou pour des sollicitations médias : 50 ans de Spoutnik en 2007, 40 ans de la mission Apollo 11 en 2009. Tu as été présent aux 10 ans, aux 20 ans et aux 25 ans de la Cité de l’espace en juin dernier. C’est toi qui a été le parrain du congrès scientifique des enfants en 2015. C’est encore toi qui a commenté pour nos visiteurs le lancement de Thomas en 2016 vers l’ISS. La Lune était ton grand sujet. Tu nous as d’ailleurs accompagnés pour la création de notre expo Lune Episode 2. Il y a peu, tu venais de participer à l’enregistrement de podcasts de la Cité de l’espace pour France Info sur la Lune.
Tu étais d’une grande écoute et d’une grande accessibilité pour tous les publics que nous accueillons à la Cité de l’espace, que ce soit du grand public, des jeunes, des classes de scolaires, des étudiants. Tu aimais partager ta passion et ta vision du spatial. Nul doute que tu auras allumé des étincelles de passion dans les yeux de nos visiteurs et en particulier des plus jeunes.
Quand je regarde la Lune désormais, c’est un ami de la Cité de l’espace que j’y cherche des yeux. Toute l’équipe te dit au revoir Jean-Jacques et merci.

Jean Baptiste Desbois
Directeur général de la Cité de l’espace

Crédit : Jean Baptiste Desbois

Crédit : Jean Baptiste Desbois

En vol parabolique
Je connaissais peu Jean-Jacques Favier, mais nous avons eu le plaisir de l’accueillir en février 2022, à l’occasion d’un vol découverte de l’apesanteur à bord de notre Airbus 300 Zéro-G, pour accompagner un groupe de passagers. Il était en pleine forme et, à 72 ans, fit tout le vol comme un poisson dans l’eau.
En voici la preuve en image.

Thierry Gharib
Directeur général de Novespace

Crédit : Thierry Gharib

Souvenir de Guadalajara
J’avais réalisé une interview de Jean-Jacques Favier en 2016 à Guadalajara, au Mexique, à l’occasion du 67th International Astronautical Congress. A retrouver sur https://youtu.be/sKtWVgUHIEw
Cette photo a été prise au même moment.

Laurence Honnorat
Fondatrice et présidente d’Innovaxiom

Crédit : Innovaxiom

Hommage à Jean-Jacques Favier
Étant chef de la rubrique spatiale d’Air & Cosmos depuis août 1994, j’ai participé aux vols habités franco-américains et franco-soviétiques. Ce fut d’abord le vol de Jean-François Clervoy sur STS-66/Atlas-3 en novembre 1994 (j’étais à Cape Canaveral), puis le vol de Jean-Jacques Favier sur STS-78/LMS-1 en juin 1996 (j’étais à Cape Canaveral du 18 au 21 juin), puis la mission Cassiopée de Claudie Haigneré en août 1996 (j’étais à Baïkonour), puis le vol de Jean-François Clervoy sur STS-84 en mai 1997 (j’étais à Cape Canaveral, puis à Houston du 12 au 18 mai), puis la mission Perseus de Jean-Pierre Haigneré en février 1999 (j’étais à Baïkonour), puis la mission Andromède de Claudie Haigneré en octobre 2001 (j’étais à Baïkonour). Par contre, je n’ai pas pu participer aux vols STS-86 de Jean-Loup Chrétien en septembre 1997, la mission Pégase de Léopold Eyharts en janvier 1998, STS-93 de Michel Tognini en juillet 1999, STS-103 de Jean-François Clervoy en décembre 1999, STS-111 de Philippe Perrin en juin 2002. Puis j’ai pris ma retraite en novembre 2012.
J’ai donc rencontré Jean-Jacques à l’occasion de son lancement en juin 1996. Après cela, je l’ai rencontré de très nombreuses fois, puisqu’il était devenu directeur adjoint « Prospective et Stratégie » au Cnes-Toulouse. Le 15 octobre 2008, le Cnes avait organisé une présentation de son projet de constellation d’imagerie optique de la Terre « e-Corce » qu’il avait élaboré avec Jean-Pierre Antikidis. En 2010, ils sont co-fondateurs de la société Blue Planet avec Bernard Plano et Michel Courtois. C’était un homme d’une très grande valeur humaine et professionnelle. C’est le premier spationaute à nous quitter. Toutes mes condoléances à sa famille.

Christian Lardier

Ancien membre du Cosmos Club de France, ancien pigiste d’Aviation Magazine, ancien chef de la rubrique spatiale d’Air & Cosmos, ancien président de l’Institut Français d’Histoire de l’Espace (IFHE), académicien de l’IAA, membre émérite de la 3AF, premier prix Albert Ducrocq de la 3AF en 2003, Book Award de l’IAA en 2012.

Air & Cosmos du 28 juin 1996

Crédit : Christian Lardier

Crédit : Christian Lardier

Crédit : Christian Lardier

Une rencontre trop brève
J’ai eu la chance de rencontrer Jean-Jacques Favier grâce à Jacques Tiziou durant l’été 2008, à Washington, dans les salons de l’ambassadeur de France. Je garde un très bon souvenir de cette rencontre trop brève, durant laquelle j’ai découvert un homme très sympathique, discret, attachant. Il était ravi de retrouver Jacques Tiziou qu’il n’avait pas vu depuis un moment. Il est le premier de nos astronautes français à s’envoler vers les étoiles, malheureusement parti trop tôt. Jacques Tiziou aurait été bien triste s’il avait, de son vivant, appris sa disparition…

Catherine Lari
Animatrice du Club Apollo (chargée d’Education Spatiale auprès de la jeunesse)

Crédit : Catherine Lari

Crédit : Catherine Lari

Disponibilité et générosité
Jean-Jacques était d’une grande disponibilité et le service de presse du CNES pouvait régulièrement compter sur lui. Je repense avec émotion au voyage de presse que nous avions organisé en décembre 2007 en Floride pour la première tentative de lancement du laboratoire Columbus, avec son camarade de promotion Léopold Eyharts. Jean-Jacques fut un accompagnateur de haut vol et les journalistes présents m’en parlent encore !
Je me rappelle également de sa générosité, notamment quand il recevait des enfants malades pris en charge par des associations chargées de réaliser leurs rêves. Ici, à la Cité de l’espace à Toulouse avec le petit Pierre Arquimbeau.

Éliane Moreau
Ancienne responsable de presse au CNES

Crédit : Éliane Moreaux

Ma signature a volé avec lui…
Jean-Jacques Favier était quelqu’un pour qui j’avais énormément d’estime. Il était la modestie, la gentillesse et la bienveillance incarnées.
Nous avions noué depuis quelques années une relation amicale, et il me soufflait régulièrement des idées d’articles pour Air & Cosmos, me mettant en relation avec le réseau Arches, qui développe des habitats lunaires, ou avec les startups Blue Planet et Spartan Space, dont il était le co fondateur. Je garderai longtemps en mémoire mon passage chez lui fin octobre 2020 à Montastruc-la-Conseillère. Ce fut, hélas, notre dernière rencontre.
Les bons moments passés avec Jean-Jacques sont nombreux – je pense notamment à l’IAC de Toulouse en 2001 (dont je conserve une trace numérique de piètre qualité, mais qui reste la plus ancienne photo faite ensemble), à ses différents passages au musée de l’Air et de l’Espace du Bourget quand je m’occupais des collections Espace (en particulier la célébration des 20 ans de la mission PVH, en juin 2002, avec la présence de sept des neufs astronautes français de l’époque), son interview exclusive à Toulouse en juillet 2007 pour Espace Magazine (avec mon camarade Laurent Aznar, Jean-Jacques était alors Directeur adjoint des techniques spatiales du Cnes) ou sa séance de signature sur les parois de la mini-station orbitale de l’espace Planète Pilote du MAE dont j’avais la charge, lors du salon du Bourget 2011. Mais je détaillerai deux souvenirs encore plus exceptionnels aujourd’hui.
Peu de temps avant sa mission à bord de la navette Columbia en 1996, Jean-Jacques Favier avait demandé au Cnes de lui préparer quelques expériences pédagogiques à embarquer, et c’est vers l’ANSTJ/Planète Sciences où j’étais responsable des activités Espace que le Cnes s’était alors tourné. Nous avons pu répondre dans un temps record, en proposant de faire voler l’exemplaire de rechange de la mallette pédagogique qui avait été développée pour la mission Aragatz de Jean-Loup Chrétien, en 1988. Le temps de retrouver le précieux objet dans une cave de Chilly-Mazarin, de la dépoussiérer avec Michel Maignan, de glisser discrètement nos signatures dans une des expériences, de faire traduire en anglais la notice d’utilisation par Thomas Lecocq et de la rebaptiser… « Expérience Poids Coq », et la mallette était expédiée vers Houston… avec un écusson brodé que j’avais dessiné pour l’occasion. Quelques mois après le vol, une rencontre fut organisée au siège du Cnes à Paris entre des jeunes et Jean-Jacques, qui leur fit un « debriefing » de l’utilisation de la mallette sur orbite, avant de la rendre à l’association. Depuis 1999, l’objet est exposé au Bourget.
Je pense également au voyage de presse en Floride auquel j’avais participé en décembre 2007 pour la première tentative de lancement de la navette Atlantis avec le laboratoire européen Columbus. Il nous avait accompagnés et sa disponibilité fut totale. De la tristesse mais aussi une certaine joie se mélangent en revoyant les photos faites à proximité du pas de tir 39A avec lui, Eliane Moreau, Théo Pirard et Jacques Tiziou.
Merci pour tout, Jean-Jacques.

Pierre-François Mouriaux
Journaliste Espace à Air & Cosmos

Crédit : Pierre-François Mouriaux

Un souvenir furtif
Je n’ai jamais rencontré Jean-Jacques Favier, mais j’ai eu le privilège de le voir décoller à bord de Columbia depuis le site de presse du Kennedy Space Center. Son équipage est donc passé juste devant moi lors de la « walk out » afin de grimper dans l’« Astrovan » devant l’emmener vers le pas de tir. A cette époque, j’avais des contacts avec sa coéquipière Susan Helms.
Dernièrement, j’ai eu l’occasion de recevoir Bob Thirsk en Belgique, qui faisait également partie de son équipage et qui s’est montré étonné de savoir que j’étais sur place pour son lancement ; et il s’est exclamé « Ah, mais c’est grâce à Jean-Jacques Favier que vous étiez là ? » Mais en fait non.
Je garde donc ce souvenir furtif de ce seul moment en présence de Jean-Jacques Favier : son passage en scaphandre devant moi et un grand salut de la main avant de s’envoler vers les étoiles… et bien sûr sa fulgurante ascension dans une boule de lumière vive au sommet d’un incroyable panache de fumée, dans un bruit assourdissant…

Pierre-Emmanuel Paulis
Instructeur à l’Euro Space Center

Crédit : Pierre-Emmanuel Paulis

Un homme modeste et généreux
Jean-Jacques Favier nous a quittés ! Un choc ! Je l’avais rencontré de très nombreuses fois depuis son vol spatial en 1996. Il était toujours amusé de me voir, se demandant toujours quel objet je lui présenterai à faire signer. C’était l’occasion de discuter, de partager ensemble. Il aimait beaucoup partager sur son expérience de vol spatial, et sa passion pour l’espace en général. Il s’était d’ailleurs beaucoup engagé dans cette voie, avec l’enseignement après son vol.
Homme modeste et généreux, Jean-Jacques Favier est le premier de nos dix astronautes pionniers à rejoindre les étoiles.
Un grand merci pour tous ces moments partagés !

Stéphane Sebile
Président de la Commission Astronautique et Techniques Spatiales de la SAF


Crédit : Stéphane Sebile

Crédit : Stéphane Sebile

La tentative de changement (r)évolutionnaire de la gouvernance du Cnes
En 2002, depuis Toulouse, Jean-Jacques Favier pilotait une innovation remarquable qu’il avait mise en place au sein de l’agence spatiale française : les fameux CCT (Centres de Compétence Technique). En 1961 quand le Cnes a été créé, son logo était une fusée stylisée, nous étions des Français qui avions envie d’aller dans l’espace. Dans les années 80, le logo s’est transformé en une sorte de planète dont quelque chose était sorti… La mission du Cnes restait en gros celle qui avait été formulée 40 ans auparavant, mais il y avait eu une conversion, au sens où on l’entend quand on fait du ski, un retournement de la direction de nos activités. L’espace était devenu une réalité opérationnelle, et une bonne demi-douzaine d’entre nous avaient eu l’occasion de prendre un peu de recul par rapport au plancher des vaches, et même si l’essentiel des équipes du Cnes foulait encore les moquettes des bureaux ou les carrelages des labos, nous étions devenus des Spatiens, qui regardaions Paris, qui regardions la France, qui regardions le monde. Nous étions d’abord français certes, mais aussi européens et planétaires, et nous ne le savions pas encore.
En 1961, le laser était encore au biberon, l’informatique une histoire de science-fiction, et les nanotechnologies, n’en parlons pas… Les technologies dont nous disposions étaient des outils au service d’une ambition nationale et notre métier était de faire et de lancer des fusées et des satellites vers l’espace inconnu. En 2002, conversion encore, les compétences que nous avons développées en matière de technologies étaient devenues notre métier, que nous pouvions mettre au service de la France, de l’Europe et du monde entier. A l’Ecole Polytechnique, mon professeur de Géométrie m’avait dit que dans les transformations il fallait chercher les invariants. Dans les mutations que le Cnes était en train de vivre, je voyais les CCT (qui comptaient un quart ou un tiers des effectifs, ce n’était pas rien !) comme l’invariant de nos possibles évolutions structurelles.
En 2002, l’organisation du Cnes suivait encore le modèle pyramidal de la Rome antique, qui pendant des siècles avait produit des résultats remarquables, et dont nous étions les fruits. Mais il était en voie d’être dépassé par les systèmes en réseau avec ou sans neurones. J’aime bien pour en parler prendre l’analogie des moteurs : dans le moteur à piston, (toute !) l’information remonte de la base vers un directeur et son cabinet. Là jaillit l’étincelle du génie qui engendre la décision, qui retombe ensuite vers la base sous forme d’ordres à exécuter. Le résultat dépend de la cylindrée au sommet et de la trempe des directeurs. Dans un turboréacteur, par contre, le processus est atomisé et continu, sans à-coups, sans bielles et sans pistons. Avec les systèmes turbo-réacteur, on peut typiquement déployer des puissances au moins d’un ordre de grandeur supérieures à celles gérables dans le même volume par les modèles à piston, avant d’atteindre les limites structurelles où l’on coule les bielles dans un cas et où les ailettes commencent à voler au travers des carters dans l’autre cas. Je pensais, et Jean-Jacques Favier ainsi que le Président Alain Bensoussan le pensaient aussi, que le Cnes pouvait prendre un nouvel envol si ceux qui étaient encore directeurs voulaient bien changer de rôle et se transformer en manageurs. Cela demandait à peu près les mêmes talents, pouvait justifier les mêmes avantages et les mêmes honneurs, mais là où un directeur demande à ce que l’information remonte vers lui, un manager veille simplement à ce qu’elle circule bien, là où un directeur prendrait ses décisions, un manageur sait exprimer la synergie collective des réflexions individuelles, là où un directeur donnerait des ordres, un manageur veille à ce que chacun puisse exprimer au mieux son potentiel. Et pour que tout cela ne soit pas incohérent, il faut des miroirs (effet laser…) afin que les photons libres puissent se mettre en phase, avec une vision exprimée et partagée. Tous les trois, Jean-Jacques Favier, Alain Bensoussan et moi-même avions dans nos réflexions et nos échanges le sentiment que le Cnes n’avait plus besoin de directeurs, car il n’y a pas de place pour les gros pistons dans un turboréacteur, nous sentions que le Cnes avait besoin de manageurs, et que le moment était venu pour une mutation majeure…
Nous avions envisagé de monter une opération pilote de ce changement de modèle de gouvernance avec une unité toulousaine d’une centaine de personnes, et si ça marchait, de le généraliser à l’ensemble de notre institution. Avec 70 % des effectifs sous statut cadre, le Cnes était une entreprise atypique, et nous pensions que ça pourrait marcher. J’aurais pu apporter tout ce que j’avais appris à l’Université de Cornell en faisant mon doctorat sur le changement. Jean-Jacques Favier, l’âme des CCT, aurait piloté l’opération, et donc le Président Alain Bensoussan a demandé au Directeur du Personnel du Cnes de réunir son équipe pour la mise en place de ce qui aurait fait du Cnes une institution d’avant-garde en matière de management. Le Chef du Personnel a donc convoqué une réunion de ses services pour un mardi après-midi deux semaines plus tard. La vie était belle… La veille de la réunion programmée, la Direction du Personnel nous appelle pour nous dire qu’ils avaient une urgence, et qu’il fallait repousser notre rencontre. De report en report, nous sommes arrivés à la mi-décembre, à la veille des vacances de fin d’année, sans que rien n’ait pu être fait par le Service du Personnel, alors que la demande venait du Président lui-même. Avec Alain Bensoussan et Jean-Jacques Favier, nous nous sommes regardés, et nous avons dit “laisse béton, c’est pas mûr” !

Cette page d’histoire avec Jean-Jacques Favier vous est proposée par : Guy Pignolet, Boursier Zellidja 1958, Ingénieur de l’Ecole Polytechnique (Promotion 1961), Docteur ès-Sciences du Comportement de Cornell (1971), Solarien réunionnais forever [Quand en 1981 Yves Sillard m’a recruté au Cnes, il m’a dit “Guy, ton travail c’est de créer au Cnes un Département de Perspectives ( mot qu’il préférait à Prospective). Je n’y suis pas arrivé.]

A nos côtés à la Cité de l’espace
Jean-Jacques c’est pour moi la discrétion dissimulée derrière cette grande taille qui l’a exclu des vols franco-russes.
Très attaché à restituer auprès des jeunes, son enthousiasme pour le spatial, il s’est très rapidement retrouvé à nos côtés à la Cité de l’espace. La Lune était l’un des ses terrains de prédilection et il a souvent répondu présent pour nous aider.
Il y a quelques années, il m’a accompagné à dessiner les grandes lignes de l’expo Lune des 50 ans d’Apollo 11, qui est toujours d’actualité à la Cité.
Mais ce que je retiens surtout, ce sont nos conversations sur son parcours et ses bons moments du spatial.
Depuis des années j’essayais de le motiver à rédiger toutes ces histoires dans un ouvrage qui visiblement ne verra pas le jour.
A la question de savoir quel était son meilleur lancement, là où l’on s’attendait à ce qu’il raconte son décollage avec la navette Columbia, l’auditoire était surpris d’entendre que c’était celui de Claudie pour
son départ vers Mir.
En plein compte à rebours dans les tribunes avec les amis et la famille, il fut invité par son ami russe à rejoindre en voiture le bunker situé au pied du pas de tir. Après une crevaison – si, si ! – il assiste au
lancement de la Semiorka de Claudie dans des conditions qu’envierait tout passionné.
En souvenir, son ami russe lui offrit l’une des deux clefs du lancement, mais il ne put résister à sa légendaire galanterie et l’offrit à la maman de Claudie qui était également sur place à Baïkonour.
C’était tout ça, Jean Jacques !
Allez, bon vol l’ami.

Tezio
Ex. ingénieur de rêve à la Cité de l’espace :)