L’ÉCLIPSE TOTALE DE SOLEIL DU 29 MAI 1919 ET LA CONFIRMATION DE LA THÉORIE DE LA RELATIVITÉ D’EINSTEIN

Carte des étoiles voisines du Soleil pendant la totalité, indiquant les déplacements observés et les déplacements calculés d’après la théorie d’Einstein. Source : L’Astronomie (1919)

Le 29 mai 2019 sera célébré le centième anniversaire de l’éclipse totale de Soleil du 29 mai 1919, dite “éclipse d’Einstein” ou “éclipse de la relativité générale”. L’éclipse a été photographiée par Arthur Eddington à Sundy, localité de Sao Tomé-et-Principe située au nord-ouest de l’île de Principe, dans le cadre d’une expérience qui visait à mesurer la position d’étoiles situées près du Soleil afin de vérifier s’il y avait bien un effet de lentille gravitationnelle tel que prédit par la théorie de la relativité générale.

A. S. Eddington. Crédit : Bibliothèque du Congrès des États-Unis

Dans l’Astronomie, année 1946, p. 83-85, Daniel Challonge rappelle qui était Arthur Eddington. Né le 28 décembre 1882 en Angleterre, il fait de brillantes études au Trinity College de Cambridge avant de devenir assistant de l’astronome royal, en 1906, à l’observatoire de Greenwich. Il entreprend des recherches sur la cinématique et de dynamique stellaires qui le font connaître. En 1913, il succède à George Darwin comme professeur d’Astronomie à Cambridge avant de devenir directeur de l’Observatoire de cette ville. En 1914, il publie Les mouvements stellaires et la structure de l’Univers reprenant ses travaux sur la dynamique stellaire. Puis Eddington s’intéresse à la théorie de la relativité et à l’intérieur des étoiles.

Il est le premier savant anglais à connaître le nouveau développement des idées sur l’espace et le temps et c’est son Rapport sur la théorie relativiste de la Gravitation présentée en 1918 à la Physical Society qui attire pour la première fois l’attention du monde scientifique sur la théorie de la relativité qu’il contribue à confirmer. Mais pour les Astronomes, sa contribution la plus importante concerne ses recherches sur l’intérieur des étoiles qui fait l’objet d’un ouvrage de référence, La constitution interne des étoiles. Il décède à Cambridge le 22 novembre 1944.

Le compte rendu d’une conférence sur l’éclipse du 29 mai 1919 a été publié dans le Bulletin de la Société Astronomique de France de 1919 par A. de LA BAUME PLUVINEL, Ancien Président de la SAF, sous le titre “L’ÉCLIPSE TOTALE DE SOLEIL DU 29 MAI 1919 ET LA THEORIE D’EINSTEIN” (p. 483 à 494).

Cette conférence avait pour but d’exposer les résultats de l’observation et leur intérêt théorique majeur : la lumière obéit-elle aux lois de la gravitation ? C’est-à-dire est-elle “pesante” ? N’oublions pas que le 25 novembre 1915, Einstein soumet son manuscrit de la théorie de la relativité générale à la section de mathématique et de physique de l’Académie royale des sciences de Prusse, qui la publie le 2 décembre, moins de quatre années avant l’éclipse.

La nouvelle loi de gravitation d’Einstein, déduite de sa théorie de la relativité, prévoit trois conséquences intéressantes parce qu’elles sont susceptibles d’une vérification expérimentale :
1. L’énergie lumineuse est pesante et un rayon lumineux rasant le bord du Soleil doit être dévié par son champ de gravitation, l’angle de déviation étant de 1″75.
2. Le périhélie de Mercure doit se déplacer de 43″ par siècle.
3. Les raies du spectre solaire doivent être décalées vers le rouge par rapport aux raies des spectres terrestres d’une quantité égale à 0,05 Angström.

Au moment de la totalité, le Soleil se trouvait dans la constellation du Taureau, près des Hyades, et on pouvait photographier des étoiles de 5e et 6e grandeur. La mesure des clichés a été faite au retour des expéditions, à l’Observatoire de Greenwich. Elles ont porté sur 7 étoiles et montrent que les images de ces étoiles ont été déplacées dans le sens conforme à une action d’un champ de gravitation. De plus, les déplacements sont d’accord quantitativement avec la théorie d’Einstein. C’est là le fait capital qui se dégage de l’observation de l’éclipse : l’effet constaté n’est pas celui auquel on devait s’attendre en appliquant la loi newtonienne de la gravitation mais bien celui qui est indiqué par la nouvelle loi de gravitation d’Einstein.

Cette remarquable coïncidence entre les déplacements prévus par la loi de gravitation d’Einstein et les déplacements observés a beaucoup frappé les astronomes, et les partisans des idées d’Einstein ont vu là, nécessairement, une confirmation éclatante de la théorie de la relativité. Les résultats de l’éclipse montrent clairement que les étoiles sont déplacées comme l’indique la loi de gravitation d’Einstein, ce qui tend à prouver que cette loi est exacte ; mais cette conclusion n’entraîne pas nécessairement la confirmation de la théorie de la relativité ainsi que de toutes ses conséquences.

Certains physiciens se sont d’ailleurs demandé si le déplacement des étoiles dans le voisinage du Soleil ne pouvait pas être interprété par un phénomène de réfraction due à la couronne solaire ou à la lumière zodiacale. D’autres ont même avancé des hypothèses telles que : l’augmentation de la densité de l’éther au voisinage du Soleil, la déviation des rayons lumineux si on considère le Soleil comme un puissant aimant.

De nouvelles méthodes d’investigation ont été recherchées à l’époque pour confirmer les résultats de l’éclipse du 29 mai 1919 sans avoir à attendre des conditions favorables lors des prochaines éclipses de Soleil.

La loi de gravitation d’Einstein prévoyait deux autres conséquences : un déplacement du périhélie de Mercure de 43″ par siècle et un décalage des raies du spectre solaire par rapport aux raies correspondantes des spectres des sources terrestres.

Grâce à la théorie de la relativité, les astronomes ont pu expliquer le déplacement du périhélie de Mercure sans avoir besoin comme Le Verrier de s’intéresser à l’existence de planètes intra-mercurielles. Par contre, A. DE LA BAUME PLUVINEL doute de la réalité du décalage vers le rouge des raies solaires par rapport aux raies terrestres concluant que la troisième conséquence de la théorie d’Einstein ne se vérifie pas.

En conclusion, l’ancien Président de la SAF confirme que l’éclipse totale de Soleil du 29 mai 2019 a mis en évidence un phénomène très remarquable : la déviation des rayons lumineux passant à proximité du Soleil. Ce phénomène sera longtemps commenté, car il est de nature à jeter un jour nouveau sur l’essence même de la lumière et de l’éther. Mais il ne faut pas se hâter de conclure que, parce que ce phénomène est conforme à la nouvelle loi de gravitation d’Einstein, il supporte une vérification complète de la théorie de relativité émise par ce savant.

Il était fort intéressant de relire ce texte de 1919 car publié l’année même de l’envoi de l’article de F. W. Dyson, A. S. Eddington et C. Davidson, « A Determination of the Deflection of Light by the Sun’s Gravitational Field, from Observations Made at the Total Eclipse of May 29, 1919 », Philosophical Transactions of the Royal Society of London. Series A, Containing Papers of a Mathematical or Physical Character,‎ 1920, p. 291-333.

Remarque : deux expéditions furent envoyées par les Britanniques sur la ligne de totalité. Tandis qu’Arthur Eddington observait depuis Sundy, une autre mission se rendit à Sobral, au Nord du Brésil.

Jean-Claude Berçu, président de la commission Histoire de l’astronomie