Le Djebel Marra
Thomas Pesquet nous propose cette vue avec le commentaire suivant : “Quelque part entre le Soudan et le Tchad, ces deux lacs perchés dans une cuvette rocheuse semblent bien isolés, et chacun d’un bleu différent… pas sûr que le coin soit très habité… ça m’évoque, bizarrement, des œufs sur le plat, mais ça doit être parce que c’est l’heure de déjeuner… (et nous on a seulement droit aux œufs en poudre)”.
L’image a été prise le 28 avril 2021 à 10h29, à l’aide d’un Nikon D5 muni d’un objectif de 480 mm ouvert à 6,3. Le Nord se situe vers 13 heures/ L’image couvre une zone d’environ 21 km par 14 km.
Nous sommes dans le Sud-Ouest du Soudan, un pays presque quatre fois plus grand que la France. Précisément, nous sommes à la limite entre deux régions administratives du Soudan : le Darfour occidental et le Darfour du Sud, au-dessus des lacs Marra Deriba, sur le Djebel Marra.
Le Djebel Marra est un stratovolcan (un volcan conique au profil escarpé) qui culmine à 3.042 m d’altitude, plus haut sommet du pays. Comme on peut le constater sur le cliché de Thomas Pesquet, le sommet du volcan est occupé par une immense et profonde caldeira d’environ 6 km de diamètre, qui aurait été façonnée il y a près de 6.000 ans lors d’une éruption catastrophique majeure. Au Sud-Ouest de la grande caldeira, une seconde caldeira plus petite s’est formée à l’intérieur d’un petit cône volcanique, qui contient un lac d’environ 1 km de diamètre : c’est le lac Marra Deriba. Dans le Nord-Est de la grande caldeira, un autre lac circulaire d’environ 1 km de diamètre est également présent. Comme le précise l’astronaute, les eaux de ces deux lacs ne sont pas du même bleu ; c’est peut-être dû au fait que l’activité volcanique est toujours sous-jaçante…
On remarque par ailleurs sur les flancs du volcan, de profondes entailles sur plusieurs kilomètres de long : ce sont les traces des écoulements de laves basaltiques et des dépôts pyroclastiques qui ont formé ces paysages splendides. Ici après la saison humide, la région se drape d’une couverture végétale luxuriante car les terres volcaniques sont riches en oligoéléments et très fertiles. La dernière éruption majeure se serait produite il y a 3.500 ans et aurait projeté des ponces et des coulées à plus de 30 km de là… Aujourd’hui encore subsiste une activité fumérolienne sur les flancs d’un petit cône pyroclastique à l’intérieur de la caldeira. Ce volcan n’est donc pas éteint…
Pourtant, malgré ce paysage splendide, et contrairement à ce qu’écrivent les Community Managers, la région est loin d’être déserte et vide de populations. Ici se joue depuis plus de 20 ans une guerre sans merci : la guerre du Darfour ! Elle a fait des centaines de milliers de morts, autant de blessés et des millions de déplacés et réfugiés qui sont parti un peu partout autour de cette région de l’Afrique. Ici, aujourd’hui encore, on tue, on viole, on blesse, on torture ! Ici, aujourd’hui encore les plus faibles et les plus pauvres subissent d’infernales pressions et sont les cibles de milices en armes plus ou moins identifiées.
Cette région de la planète a pourtant tout pour que ses habitants puissent y vivre en paix, même si les conditions ne sont pas toujours idéales. Mais les conflits ethniques entre minorités, les velléités pour l’eau, les terres fertiles, le bétail et les points stratégiques attisent toujours les convoitises. Triste sort pour ces populations locales que personne ne protège…
Gilles Dawidowicz, président de la Commission de Planétologie
Crédits : ESA/NASA–T. Pesquet
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