J’ai 72 ans. Je suis à la retraite depuis 10 ans. J’étais électricien et métallier. Albert Ducrocq a beaucoup compté pour moi. Voici comment je l’ai connu.
C’était en 1960 et j’étais élève (pensionnaire) au collège Saint Jean de Béthune à Versailles chez les Pères Eudistes. En classe de sixième, le professeur principal, vieux monsieur et à la moustache grise, et aussi en blouse grise, nous enseigne le latin. Il se présente : « Mes chers enfants, je suis fier d’avoir enseigné cette langue morte qu’est le latin, à Albert Ducrocq qui est un écrivain scientifique qui s’est fait connaître pour avoir créé un renard électronique qui préfigure les robots et une nouvelle science : la cybernétique ».
Je retiendrai l’anecdote et celle du collège Saint Laurent de Lagny (frères maristes). Le 12 avril 1961, notre excellent professeur Monsieur Fournier est radieux : « Bonjour les enfants, aujourd’hui fera date dans l’histoire de l’humanité car pour la première fois un homme de nationalité soviétique, nommé Youri Gagarine, a été placé en orbite autour de la Terre grâce à une fusée, et en est revenu sain et sauf ».
Ma passion pour l’espace est née ce jour-là et ne m’a plus quitté depuis. Mon père m’achète alors Aviation Magazine et, le 15 octobre 1962, la revue sort un numéro sur les cinq ans de l’astronautique où je découvre un article d’Albert Ducrocq de deux pages merveilleusement écrites. Je découvre ce grand vulgarisateur et promoteur de l’Espace. J’aurai désormais une grande admiration pour lui, car il nous donne un grand espoir pour une Terre gérée grâce à l’espace, mais aussi une découverte d’autres mondes.
Le 23 octobre 1965, mes parents m’achètent Air et Cosmos, où je retrouve Albert Ducrocq dans une magnifique chronique hebdomadaire et ce, jusqu’à son décès. Je le lis aussi dans Sciences et Avenir. J’ai fini une mauvaise quatrième et je suis en apprentissage en serrurerie du bâtiment. Albert est pour moi comme un professeur et cela m’aide, indirectement, beaucoup dans mes études techniques. Albert sera là, ensuite de tous les grands évènements sur l’espace, dont l’homme sur la Lune.
Au sortir du service militaire, je m’inscris au Cosmos Club de France quelques temps et en reçoit les bulletins. Ma passion va vers la spéléologie (de 1970 à 1981) et, au salon du Bourget en 1977, je rencontre par hasard mon maître Astronautique à la fermeture des stands, dans un grand hall. Je lui dis mon admiration pour lui et lui demande, dans la discussion, comment on pourrait améliorer la sécurité des plongeurs souterrains dans les siphons des cavernes peut-être par un système de sonar. Il n’a bien sûr pas pu me répondre, sans doute fatigué et nous nous sommes quittés ainsi. J’étais un peu hors sujet mais je voyais une similitude entre les plongeurs et les astronautes.
En fait, Albert était un passionné de toutes les sciences. Il nous a laissé plein de chroniques, de livres et même plus. Il était très fécond. Il disait entre autres que l’astronomie était la mère de toutes les sciences, mais aussi que les travaux sur l’espace serait notre culture de demain, tant ils sont riches de découvertes et d’aventures. Il disait encore que l’espace était la priorité des priorités. Dans l’écriture d’Albert Ducrocq, il n’y avait pas de mots en trop :il maniait le français comme personne. Il avait des formules fameuses comme : « la pauvreté coute cher » à propos de la navette spatiale américaine ou « partie remise est partie omise » à propos de la navette Hermes. On le lisait avec un grand plaisir et son enthousiasme nous envoûtait, tout comme sa foi en l’homme et le monde de demain, malgré deux conflits mondiaux passés. Il écrivait : « ceux qui critiquent les dépenses pour l’espace oublient les dépenses d’armement et les guerres dans le monde qui coûtent cent à mille fois plus cher ». Albert pensait encore que notre grande richesse était la matière grise et l’espace permettait grâce à ses recherches de progresser dans tous les domaines. C’était sortir de l’obscurantisme lié au manque de connaissance et à l’analphabétisation et donc de progresser vers une certaine paix dans le monde. Albert ne voulait nullement imposer ses vues au monde. Il pensait que naturellement les évènements viendraient d’eux même à partir du moment où un mouvement était enclenché. Albert avait parfaitement conscience de l’état de la planète et il s’intéressait aussi aux problèmes écologiques de la Terre.
Albert a fait naître plein de vocations bien sûr. Ce fut un mentor pour quantité de personnes et d’institutions et sa notoriété a été bien au-delà de nos frontières. Il nous a laissé un bel héritage. Merci Albert.
Les ouvrages dans ma bibliothèque que j’ai le plus apprécié sont par ordre : « Le fabuleux pari sur la Lune » (1961), « Le roman de la vie » (1966 et 1974), « A la recherche d’une vie sur Mars » (1976) et « Le ciel des hommes » (1983).

Daniel Chocod