Albert Ducrocq, souvenirs personnels
Conférence du 2 octobre 1993. Crédit : P.-F. Mouriaux
Lorsque, le 22 octobre 2001, j’ai appris qu’Albert Ducrocq venait de nous quitter à l’âge de 80 ans, une immense émotion m’a envahi. J’ai alors pris conscience qu’il avait accompagné pendant 25 ans ma passion pour l’exploration spatiale et ce, depuis mon enfance.
Cela commença dans les années 70 par un livre qui trônait dans la bibliothèque de mon grand frère : « A la découverte d’une vie sur Mars », qui racontait l’épopée de la sonde Viking en 1976. J’avais alors 8 ans et j’étais alors captivé par la célèbre vue panoramique d’Utopia Planitia prise par la sonde.
Par la suite, mes plus anciens souvenirs (auditifs) d’Albert datent du premier vol d’Ariane en décembre 1979 et de celui de la navette spatiale Columbia en avril 1981. Etant en vacances dans un village d’Ardèche sans télévision lors du retour sur Terre de la navette, nous avons écouté Europe 1 pour avoir confirmation que l’engin était bien revenu sur Terre.
Durant les années 80, je ne manquais plus aucun rendez-vous avec la chronique hebdomadaire d’Albert Ducrocq publiée dans « Air & Cosmos ». La double page qui lui était réservée en fin de magazine racontait toujours en détail un vol spatial ou, si l’actualité était calme, prenait un peu de hauteur pour aborder une réflexion sur un sujet particulier. En parallèle, internet n’existant pas, il fallait patienter durant la totalité du journal d’informations à la radio pour avoir une chance de savoir à la fin si on allait parler ou non de tel lancement de la navette ou d’Ariane. Je me branchais naturellement sur Europe 1 et attendait l’intervention (ou pas) d’Albert Ducrocq.
À partir de 1983, je m’abonnais également à un mensuel contenant 12 diapositives commentées par Albert à propos de l’actualité astronomique et spatiale.
En parallèle des interventions radiophoniques et de la chronique dans Air et cosmos ou des articles parus dans « Sciences et Avenir », j’achetais aussi régulièrement ses derniers livres. Je me souviens en particulier avoir lu « 1985/2000 – Le futur aujourd’hui » une première fois en 1985, puis bien sûr une deuxième fois en 2000 !
Au début des années 90, mon lien avec Albert va évoluer de façon significative suite à mon adhésion au Cosmos Club de France (C2F), dont il était le président et dont je suivais les réalisations dans le magazine « Air et Cosmos ». À partir de 1991, je participais régulièrement aux conférences organisées à Paris où je pouvais enfin voir et écouter Albert en chair et en os, et je participais à la rédaction d’articles pour le bulletin « Orbite » du Club.
Mais l’anecdote la plus marquante concerne mon premier échange direct avec Albert. En juillet 1993, je participais à un voyage à Baïkonour organisé par le magazine « Sciences et Avenir » pour assister au lancement de Jean-Pierre Haigneré vers la station Mir. Le 3 juillet je me trouvais donc avec un petit groupe de Français à acclamer notre spationaute dans sa combinaison spatiale avant son entrée dans le bus qui le conduirait au pas de tir en compagnie de ses deux collègues cosmonautes. En octobre de la même année, Albert avait invité Jean-Pierre Haigneré à raconter son périple spatial lors d’une conférence du C2F. Entre deux, Christian Lardier, avec qui nous avions travaillé sur un numéro « Spécial Propulsion » du magazine « Orbite », avait suggéré à Albert Ducrocq de me faire monter sur l’estrade aux cotés de Jean-Pierre quelques minutes pour parler de mon expérience de « touriste » qui avait assisté au Kazakhstan au lancement de ce vol. Juste avant la conférence, Christian me dit que tout est OK et que j’aurai 15 minutes pour passer mes diapos. Au moment de parler, je me retrouve donc entre Albert Ducrocq et Jean-Pierre Haigneré qui finit sa présentation par une phrase comme « C’est la première fois qu’on voyait des supporters devant le bus acclamer des cosmonautes avant leur départ ! C’était une surprise de voir ce petit groupe de Français venir à Baïkonour pour le lancement… ». Et là, j’enchaine par « Et bien justement, je vais maintenant vous montrer l’envers du décor avec les photos prises par l’un des touristes venus voir le lancement ». Juste à coté de moi, Albert se penche alors et me dit discrètement : « Vous avez 5 minutes… ». Je vous laisse imaginer le stress !
Par la suite j’ai eu l’occasion d’échanger avec Albert en particulier lors de réunions de préparation de l’avenir du Cosmos Club de France et lors d’une visite des installations de la Snecma à Melun Villaroche.
J’ai toujours été marqué par son coté à la fois très enthousiaste, avec parfois ce que j’appellerais des envolées verbales lors d’interview à la radio, et par son éternel optimisme. Une phrase qu’il a prononcée lors d’une réunion interne au Cosmos Club m’a particulièrement marqué. Quand on a abordé le sujet des personnes qui ne payaient plus leur cotisation depuis longtemps mais qui faisaient toujours partie du fichier des adhérents du club, il avait demandé de « garder ces personnes dans la liste car quelqu’un qui est parti peut toujours décider de revenir ».
En conclusion, je dirais qu’Albert Ducrocq fait partie des personnes qui ont inspiré, sans probablement s’en rendre compte, des milliers de jeunes en leur permettant d’une façon ou d’une autre de réaliser leur rêve de participer ou de suivre l’exploration spatiale. J’ai fait partie des ces personnes et c’est pourquoi c’est avec beaucoup de plaisir que je fais revivre mes souvenirs à l’occasion du centième anniversaire de sa naissance.
Jacques Bocherens
Membre actif du Cosmos Club de France 1991/1994