Compte rendu de la conférence mensuelle du 12 mai 2021

Aux confins des trous noirs géants, nouvelles frontières de notre Univers

Conférence donnée par Hélène Sol, astronome à l’Observatoire de Paris-Meudon

Hélène Sol de l’Observatoire de Paris Meudon est une grande spécialiste de l’astronomie gamma. Elle nous précise d’ailleurs comment on peut détecter les gammas.

L’astronomie multimessager

Les gammas de haute énergie sont détectables depuis la Terre, alors que les gammas de basse énergie ne le sont que depuis l’espace. De toute façon, l’astronomie moderne est multimessager comme elle dit. Les informations en provenance du cosmos nous sont transmises par d’autres messagers que les photons, par exemple : par l’intermédiaire d’ondes gravitationnelles, de rayons cosmiques, de neutrinos.

Crédit illustration : NASA

Un bel exemple de composition d’informations en provenance de diverses longueurs d’onde est la radiogalaxie à noyau actif Centaurus A. Cette image est la composition de diverses informations : le visible, en émission radio, en rayons X et en gamma.

Crédit : Chandra/HESS

Les noyaux actifs de galaxies (AGN en anglais)

Une galaxie dont la région centrale est très lumineuse, beaucoup plus lumineuse que toutes ses étoiles, s’appelle une galaxie à noyau actif. Ces galaxies sont le siège d’énergie très intense. On distingue principalement trois classes d’AGN : les radio galaxies, les galaxies de Seyfert et les quasars. Mais elles sont toutes du même genre : elles possèdent un objet très compact en leur centre, généralement un trou noir (TN). Ces galaxies possèdent un tore autour du TN, un disque d’accrétion et des jets énergétiques. Ces jets sont très énergétiques et les particules qui en échappent sont proches de la vitesse de la lumière, comme on peut le voir sur M 87.

Extrait de la présentation d’Hélène Sol

On remarque que la caractéristique des AGN est de posséder deux bosses dans leur spectre d’émission, comme on le voit pour AP Librae.

Extrait de la présentation d’Hélène Sol

Les trous noirs
Ce sont des objets très compacts dans un volume très petit, ce qui implique que la gravité y est énorme et donc que rien ne peut s’échapper. Tout objet ramené à la bonne taille peut devenir un TN, par exemple la Terre, ramenée à la taille d’une noisette mais avec sa masse d’origine, deviendrait un TN. La première détection d’ondes gravitationnelles en 2015 a été la preuve de l’existence des TN.

Et finalement, la photographie d’un trou noir, celui de M 87, produite grâce à un télescope de la taille de la Terre. Cette image est encore une fois la victoire à retardement d’Albert Einstein qui avait prédit dès 1915 l’existence de trous noirs mais qui n’y croyait pas lui-même. Ce n’est possible que grâce à la mise en réseau interférométrique d’un grand nombre de radiotélescopes (8) répartis sur la Terre entière et impliquant plus de 200 chercheurs. Ce groupement de télescopes a été baptisé Event Horizon Telescope (EHT). Les informations de ces divers observatoires correspondent ainsi à un observatoire virtuel gigantesque de la taille de notre planète. Les télescopes ont synchronisé leurs données grâce à des horloges atomiques (maser) ultra précises, qui ont été collectées pendant la campagne de mesure de 2017. Pour information, chaque télescope fournissait une énorme quantité de mesures, de l’ordre de 350 Terabytes (un millier de milliards de bytes soit 1012) par jour. Ces données ne pouvaient pas être transmises par Internet, on envoyait les disques de stockage à des calculateurs spécialisés (les corrélateurs) situés au Max Planck Institute for Radio Astronomy et au MIT.

Crédit : EHT Collaboration

Alors que voit-on ? On voit l’image du TN super massif situé au centre de la galaxie M87 (amas de la Vierge) à approximativement 50 millions d’années-lumière de la Terre. Ce trou noir géant est plus de 1000 fois plus imposant que le nôtre (celui de Sag A*) puisque sa masse est évaluée à 6,5 milliards de fois celle de notre Soleil. Au centre de l’image, le trou noir, autour son disque d’accrétion, car il est en plein repas, il mange les étoiles autour de lui, ce qui lui fait émettre de la lumière. En fait, la partie noire correspond à ce que l’on appelle l’ombre du TN, elle est plus grande que le TN lui-même (2,5 fois plus grande théoriquement), l’horizon des évènements est donc à l’intérieur sur un cercle environ 2,5 fois plus petit que l’ombre. L’horizon des évènements (la limite noire du TN) mesure approximativement 40 milliards de km de diamètre.

On avait d’abord annoncé que la première image d’un TN serait celle du TN de notre galaxie, en fait les astronomes se sont intéressés aux deux à M87 et à SagA*, mais le premier étant beaucoup plus massif que le second, c’est le premier qui est publié d’abord. Le nôtre sera imagé plus tard, on l’espère tous.

Une nouvelle prouesse : en mars 2021, la même collaboration publie une photo encore plus nette du TN de M 87 en tenant compte cette fois de la polarisation. Cette image a été diffusée en mars 2021, en lumière polarisée. La polarisation a mis en lumière le champ magnétique le champ magnétique situé au bord du TN.

Crédit : EHT Collaboration

Voici ce qui résume le mieux la campagne multi longueur d’ondes de M 87, tout le spectre électromagnétique a été utilisé. Toute l’étendue du spectre électromagnétique est visible sur cette image composite (voir l’image en haute résolution pour les détails).

Crédit : EHT Collaboration; NASA/Swift; NASA/Fermi; Caltech-NuSTAR; CXC; CfA-VERITAS; MAGIC; HESS

Au delà de notre galaxie
On rappelle que les très hautes énergies gamma, peuvent être détectées depuis le sol. Voici une vue du télescope HESS en Namibie avec en fond de ciel notre Voie Lactée en visible et gamma.

Crédit : HESS

Depuis le sol, on ne peut donc détecter que les sources gamma les plus énergétiques. En effet ces gamma très énergétiques interagissent avec l’atmosphère et donnent des particules détectables. Comme le dit très justement Hélène Sol : l’atmosphère est la première partie du détecteur. Celles-ci produisent une lumière due à l’effet Tcherenkov que l’on détecte. C’est une belle complémentarité avec l’astronomie gamma dans l’espace.

L’astronomie gamma haute énergie permet d’explorer l’univers non thermique, cataclysmique, des grands écoulements de matière, des chocs et des turbulences. Comme : étoiles binaires, pulsars, blazars, supernovae, radiogalaxies, sursauts gamma, TN et collisions d’astres compacts, galaxies à noyaux actifs etc.

Un prototype de télescope terrestre gamma est en construction à Meudon, c’est le le projet CTA : CherenKov Telescope Array. CTA, projet de réseau de télescopes gamma de nouvelle génération pour approfondir l’étude du cosmos en rayons gamma de très hautes énergies. Il devrait être installé à La Palma et au Chili dans les prochaines années.

Crédit : Observatoire de Paris-Meudon

Ce compte rendu a été fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur son site web.