Sur l’Euphrate
Thomas Pesquet nous propose cette vue avec le commentaire suivant : “Un magnifique lac aux confins de la Turquie. Je suis à peu près sûr que les rives dentelées de ce lac sont dues à la présence d’un barrage. Ce lac serait donc un réservoir. En général, les lacs naturels ont des bords assez arrondis, la nature a tendance à adoucir les angles… si quelqu’un veut confirmer, ce n’est pas facile à vérifier sur wikipédia :) Faciles à repérer depuis l’espace, les barrages constituent des stocks d’eau précieux pour les populations. Ce sont d’excellentes sources d’énergie renouvelables, ils fournissent de l’eau pour l’irrigation et aident donc à atteindre certains des objectifs de développement durable des Nations Unies comme l’accès à l’énergie ou l’éradication de la faim. Ils peuvent aussi avoir des conséquences très importantes sur les terres qui les entourent et leurs habitants. Le simple fait qu’on puisse les voir depuis l’espace montre l’énorme impact qu’ils ont sur la Terre. J’imagine que la coopération est une clef essentielle pour gérer ces conséquences, particulièrement sur les initiatives à grande échelle”.
L’image a été prise le 29 mai 2021 à 12h20, à l’aide d’un Nikon D5 muni d’un objectif de 200 mm ouvert à 2,8. Le Nord se situe vers 14 heures. L’image couvre une zone d’environ 85 km par 58 km.
Nous sommes au-dessus de la province d’Adıyaman dans le Sud de la Turquie, à environ 60 km au Nord de la frontière syrienne. Adıyaman est la ville bien visible dans le haut du cliché ; c’est une préfecture de plus de 200.000 habitants qui se situe à quelques kilomètres au Nord du lac de barrage Atatürk construit sur l’Euphrate.
A propos de l’Euphrate, c’est certainement pour les européens l’un des fleuves mythiques de l’Asie, qui avec son compagnon le Tigre forment littéralement les limites de la Mésopotamie ! Toute cette région du Moyen-Orient est le berceau d’importantes civilisations, là où les humains ont implanté les premières villes… Sur l’Euphrate, les turcs ont construit de nombreux barrages, dont le barrage en remblai Atatürk que l’on voit très bien sur la gauche du cliché de Thomas. Notez d’ailleurs le déversoir sur le côté gauche du barrage : il sert à éviter les débordements lors des phases de crues.
Construit entre 1983 et 1990, ce barrage mesure 1.820 mètres de long et 169 m de hauteur. Il génère un plan d’eau artificiel de plus de 800 km² pour un volume de 50 km3. Il permet d’irriguer près d’un million d’hectares de terres agricoles. Il faut préciser toutefois que l’Irak, la Syrie et la Turquie ont de graves soucis de gestion de l’eau, occasionnant parfois quelques tensions diplomatiques et que la multiplication des barrages et des lacs artificiels dédiés à l’irrigation sur les fleuves de la région font considérablement baisser les débits à l’aval…
Mais revenons au cliché de Thomas Pesquet. A 17 km à l’Est de la ville d’Adıyaman se trouve l’unique piste de l’aérodrome de la ville. Puis à 15 km environ vers le Nord-Est, une autre ville : c’est Kâhta. En étant attentif, on s’aperçoit que toute la région est parsemée de villes et villages et qu’elle est agricole : des centaines de parcelles tout autour du lac sont en effet irriguées et cultivées.
Pour finir cette promenade en Turquie, comment ne pas évoquer la mémoire du résistant Missak Manouchian, né le 1er juin 1935 à Adıyaman (à l’époque Hısn-ı Mansur dans l’Empire ottoman) ? Rescapé du génocide arménien, il se réfugie en France en 1925. Syndicaliste, communiste et militant antifasciste, il rejoint la Résistance à Paris en 1941 et intègre les FTP-MOI. Recherché par l’Allemagne-Nazie, il fait partie des 10 de “l‘Affiche rouge”. Arrêté, il est assassiné au Mont-Valérien le 21 février 1944 avec 22 de ses camarades.
Gilles Dawidowicz, président de la Commission de Planétologie
Crédits : ESA/NASA–T. Pesquet
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