Le récif Chesterfield
Gilles Dawidowicz
Le 30 juin 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue des îles Chesterfield, avec le commentaire suivant : « Des îlots coralliens qui forment un “V”… comme pour Vacances ? ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 6 février dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un objectif 50-500 mm à 500 mm de focale. Le Nord est à 2 heures environ. Nous sommes à l’est de l’Australie et à environ 550 km à l’ouest de la Grande Terre, l’île principale de la Nouvelle-Calédonie, en plein centre de la mer de Corail.
Les îles Chesterfield forment un archipel corallien français et se composent de 11 îlots et de plusieurs récifs affleurants et inhabités, le tout sur environ 120 km de long par 70 km de large, pour un total de moins de 10 km2 de terres émergées et un lagon d’une superficie de 3 500 km2. Elles se trouvent à une centaine de kilomètres au nord des récifs de Bellone. Le cliché de Thomas Pesquet nous révèle la partie sud des îles Chesterfield, des récifs coralliens en forme de « V » nommés les récifs Chesterfield.
Décrivons donc ce drôle de « V » qui invite aux vacances. Le haut de la barre gauche du « V » se nomme l’île Longue (à ne pas confondre avec la presqu’île bretonne du même nom située dans la rade de Brest). C’est la plus grande des îles Chesterfield ; elle mesure environ 1 500 m de long, 100 m de large et 9 m de haut. En mai 1859, Henry Mangles Denham a décrit cette île comme « un tas de foraminifères densément couvert d’arbustes rabougris avec des feuilles aussi grandes que des choux et des troncs allant jusqu’à 23 cm de diamètre ». Juste au sud, on observe une petite passe : elle est nommée l’îlot Passage (alias l’îlot de Bennett à ne pas confondre avec l’îlot canadien du même nom). Au sud, la pointe du « V » se nomme le Coude sud ou l’îlot Loop. Enfin, la barre droite du « V » se nomme l’îlot Anchorage. Ces récifs allongés entourent un lagon profond et de fait, semi-abrité.
Probablement toutes boisées au début des années 1850, ces îles furent déboisées pendant l’exploitation du guano puis finalement recouvertes naturellement d’herbe et de quelques cocotiers. On y trouve des ruines à l’extrémité sud datant du début du XXe siècle, dont celles d’une station météo américaine installée entre 1944 et 1948. Aujourd’hui, ces îles sont recouvertes d’herbes, de quelques arbustes (dont des Tournefortia, un arbuste proche du magnolia) et d’espèces exotiques incluant des cocotiers.
Ici aussi le corail est en danger. Il subit comme ailleurs de nombreuses agressions d’origines diverses dont nous avons parlé précédemment. Il faut savoir que le corail ne peut pas vivre à plus de 30 m de profondeur, même si l’on trouve des récifs sur des socles bien plus profonds. Ainsi, les premières colonies de polypes vivants se forment à proximité des côtes, et tandis que le niveau de la mer monte ou que le fond de l’océan s’enfonce, de nouvelles colonies se développent sur les squelettes des individus morts. C’est comme cela que les récifs coralliens poussent, dans une forme de sédimentation biotique. C’est pourquoi, lors des régressions et transgressions marines, alors que le niveau de la mer baisse ou augmente et que certains reliefs sous-marins émergent ou disparaissent, le corail suit le mouvement et colonise de nouveaux espaces, en se superposant aux générations précédentes. On comprend donc facilement les conséquences des changements climatiques en cours.
On dénombre aujourd’hui environ 350 espèces de coraux de tailles, de formes et de couleurs différentes dans la mer de Corail. Ces coraux abritent, dans une eau d’un bleu turquoise incroyablement intense, plus de 1 500 espèces de poissons et de crustacés. Un vrai foisonnement de vie dans cet écosystème marin. Mais une grande partie de ces espèces est menacée par l’élévation des températures et par la pêche au filet. Si les eaux restent chaudes trop longtemps, les coraux expulsent leurs zooxanthelles (les algues unicellulaires vivant en symbiose avec le corail) responsables de la photosynthèse et perdent leurs couleurs, exposant leurs squelettes blancs, puis finissent par mourir faute de nutriments. Quant à la pêche au filet, c’est une agression mécanique directe que les coraux subissent, en étant cassés voire directement arrachés de leurs socles. Une fois morts, les récifs deviennent plus fragiles aux orages tropicaux qui par ailleurs sont plus violents. Ainsi s’effondrent des écosystèmes entiers en peu de temps, car outre ces agressions spécifiques, la chimie des mers se modifie du fait de pollutions agricoles et industrielles, et altère également ces organismes vivants déjà fragilisés. Nous sommes là face à un cercle vicieux, et à des boucles aux effets négatifs et cumulatifs.
Ces dernières années, des études locales ont tenté de quantifier ces phénomènes. Entre 1998 et 2002 par exemple, sur un échantillon de 631 récifs coralliens, le blanchiment s’est étendu, touchant des régions plus au large des côtes et plus au nord que précédemment. En 2016, 1 156 récifs furent surveillés et ce fut les zones centrales et nord qui furent touchées. Le climat local (vent, nuages et passage du cyclone Winston) semble avoir protégé les zones du sud. La proportion de récifs touchés a également augmenté : 55,3 % en 1998, 57,6 % en 2002 et 91,1 % en 2016. Parfois durable, parfois temporaire, le processus de blanchiment varie dans le temps.
La question est donc maintenant de savoir si les coraux seront capables de s’adapter assez vite ou pas pour survivre à l’océan que nous leur livrons… mais aussi de savoir si nous voulons vivre dans un monde sans coraux.
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Le récif Chesterfield dans la mer de Corail, vu depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA