Les lacs d’Ounianga ou « les griffes de tigre »
Gilles Dawidowicz
Depuis son arrivée à bord de la Station spatiale internationale, le 17 novembre dernier, Thomas Pesquet réalise de splendides clichés de la Terre, qu’il diffuse sur les réseaux sociaux. Ici, les lacs d’Ounianga Sérir dans le désert tchadien.
Le 11 mai 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue d’une étonnante formation géologique très sombre située dans le nord du Tchad, avec le commentaire suivant : « Coup de griffe artistique dans le désert, vers le Tchad. L’Afrique foisonne de paysages divers et imposants ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 29 avril dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un téléobjectif à 1 150 mm de focale. Le Nord est à 6 heures. Nous sommes à 200 km au Sud de la frontière avec la Libye et à environ 1 300 km au nord de N’Djamena, dans un bassin situé entre l’Ennedi à l’Est et le Tibesti à l’Ouest, en plein désert du Sahara méridional (entre les bassins du Tchad et du Nil). Plus précisément, le cliché est centré sur l’un des deux principaux groupes composant les lacs d’Ounianga, le plus vaste ensemble lacustre du Sahara et les seuls dans la région. Il s’agit du groupe oriental nommé Ounianga Sérir (le groupe occidental se situe à environ 40 km de là et se nomme Ounianga Kébir). L’ensemble forme au total une quinzaine de lacs longilignes d’une superficie de près de 20 km2 et parallèles les uns avec les autres. Séparés par des cordons dunaires, ils sont longs de quelques kilomètres et larges de quelques dizaines de mètres seulement pour les plus fins. On y trouve également des étangs, des marécages et même des sources chaudes, le tout ceinturé de falaises, de dunes et de palmeraies.
Cette morphologie en forme de langue est particulièrement spectaculaire et peu commune : l’ensemble est en fait un héritage, une sorte de fantôme d’un passé lointain (entre 5 000 et 15 000 ans), témoignant d’un lac qui à l’époque était bien plus grand que ceux-là et qui occupait tout le bassin…
Bleus ou verts, peu profonds, ces lacs sont aujourd’hui remplis soit d’eau salée, soit d’eau douce. Tous sont alimentés en continue par la nappe phréatique (d’eau douce) presque affleurante, qui elle aussi est fossile et témoigne de ce passé humide. Ces eaux ont probablement entre 5 000 et 7 000 ans ! Il faut dire que sans elle, l’évaporation est tellement importante (malgré une flore aquatique faite de roseaux flottants), ils seraient asséchés depuis longtemps ; les précipitations étant quasiment nulles dans cette région hyperaride (toujours inférieures à 25 mm par an avec parfois plusieurs années consécutives sans précipitation). Les eaux de certains de ces lacs sont calmes ou agitées de courtes vagues à l’écume blanche, parfois fortement natronnées, et ne recèlent aucune vie, tandis que les eaux des étangs situés aux alentours sont douces ou saumâtres et abritent des poissons et restaurent des oiseaux migrateurs venus d’Europe.
Ici aussi des êtres humains vivent au quotidien et possèdent leurs mythes et leurs traditions. L’un des mythes des Wanya est lié au lac Yoan (non visible sur ce cliché). Une jeune fille blanche, nommée Midé (cela signifie « qui sort de l’eau », en langage ounia) est sortie du lac. Aperçue par le berger Tehamo, celui-ci la capture puis l’épouse sur les conseils de son père. Mais ne pouvant pas manger la nourriture des hommes, elle fut contrainte de retourner vivre dans le lac où elle est toujours, avec les siens, dans un village. Midé eu plusieurs enfants dont neuf sont morts de soif dans le désert et deux survécurent. Leurs descendants seraient aujourd’hui les notables de la région…
Ces « griffes de tigres » sont, comme le fait remarquer Thomas Pesquet, particulièrement belles et esthétiques. Elles peuvent faire penser à des tâches d’encre (ou de pétrole ce qui est moins poétique) ou encore à des dépôts éoliens ou volcaniques (comme on en observe sur la planète Mars d’ailleurs). Quoi que l’on y voit, cette photographie nous révèle un nouvel endroit exceptionnel du Sahara.
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Les lacs d’Ounianga, vus depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA