Premier interféromètre astronomique amateur

Bernard Trégon, membre de la commission des étoiles doubles de la SAF, a réussi à créer le premier interféromètre astronomique amateur pour l’observation des étoiles doubles. Il a présenté cette avancée remarquable lors de la Journée des commissions de la SAF, le 9 juin 2019 et nous explique brièvement ses travaux ci-dessous.

Bernard a un pied dans le monde professionnel et un pied dans le monde amateur : de profession, il est Ingénieur de Recherche au CNRS (Laboratoire Ondes et Matière d’Aquitaine UMR 5798) où il travaille dans le domaine de la physique en tant qu’électronicien et instrumentaliste pour des physiciens. Sa passion pour l’astronomie l’a amené à rencontrer Antoine Labeyrie dans un cadre professionnel et qu’il lui a proposé de participer activement au projet Hypertélescope, sous l’égide de l’Observatoire de la Côte d’Azur (OCA).

Bref rappel historique. Hippolyte Fizeau fut le premier à avoir l’idée d’appliquer les propriétés ondulatoires de la lumière à la mesure des dimensions angulaires de sources lointaines. Dans une de ses correspondances avec Édouard Stéphan, Fizeau décrit un dispositif récupérant le flux issu de l’étoile au-delà du diamètre du télescope à l’aide d’un système périscopique.

Abraham Michelson fut le premier à obtenir une mesure d’un diamètre stellaire (Bételgeuse) à l’aide d’un système périscopique constitué de quatre miroirs. Les miroirs externes M1 et M4 pouvaient être séparés d’une distance maximale de 6 mètres. Ce système fut installé à l’extrémité du télescope de 2,5 m du Mont Wilson.

Pour comprendre le phénomène d’interférences lumineuses, il faut se remémorer l’expérience du masque de Fizeau, dans laquelle le front d’onde issu de l’étoile (schéma en haut à gauche) est séparé en deux faisceaux passant soit par le trou n°1 soit par le trou n°2. A l’arrivée au foyer du télescope, les deux faisceaux interfèrent en fonction de la différence de trajet pour chaque point de l’image au foyer. Cette figure d’interférences prend la forme d’une succession de franges appelées franges d’interférences (photos en bas à droite). L’expérience a été faite directement lors de la réunion de la commission à Rodez en 2018.

On peut démontrer que le contraste de ces franges, c’est à dire l’écart entre l’intensité maximale de la frange et l’intensité minimale de l’interfrange (formule exprimant γ), est directement lié à la dimension angulaire de la source. En abscisse, on retrouve l’écartement des trous dans le cas d’un masque de Fizeau ou l’écartement des miroirs externes (M1/M4) dans le cas de la poutre de Michelson. En ordonnée, la valeur du contraste, varie de 0 à 1. Sur chacune des courbes colorées, on constate que le contraste des franges chute lorsque l’écartement des trous (ou des miroirs) augmente. Les courbes en couleurs représentent le contraste calculé pour différents diamètres de la source lumineuse. La première courbe en partant de la gauche correspond à une source d’une seconde de diamètre angulaire. Appelons θ la dimension angulaire à mesurer. La courbe bleue correspond à une taille angulaire de 0,1’’.
La source est résolue lorsque l’écartement est suffisant pour annuler la valeur du contraste (γ = 0). En effet, dans le cas d’un disque de brillance uniforme, on démontre que γ est nul lorsque θ = λ / B, où λ la longueur d’onde lumineuse.

On peut faire le même raisonnement et la même démonstration lorsque la source est une étoile double. La fonction de contraste γ est définie dans la formule de droite. En supposant identiques les intensités des deux sources, le contraste γ s’exprime comme la valeur absolue d’un cosinus. L’annulation du contraste, synonyme de résolution de l’écartement des deux étoiles, intervient cette fois ci lorsque θ = λ/(2.B). Dans les cas d’une étoile double, la résolution est donc deux fois meilleure qu’avec un disque uniforme.

Pourquoi ne pas envisager alors de faire un interféromètre de Michelson de dimensions plus modeste ?

Constitutions de la poutre : 4 miroirs elliptiques ayant chacun 50mm de petit côté, montés sur des platines micrométriques. L’ensemble glisse sur un rail de guidage de 106 cm. Ce dispositif complet a été présenté lors de la réunion de la Commission des étoiles doubles tenue à Rodez en 2018.

Cette poutre a été qualifiée sur une étoile simple artificielle constituée d’un « trou d’épingle calibré » de 10µm de diamètre, éclairé par un laser et situé à 10 m de l’interféromètre. Cette étoile artificielle a produit des franges pour des écartements de 16, 39, 67, 82 et 106 cm.

La détermination des valeurs de γ obtenues avec différentes bases, permet par interpolation, de retrouver la dimension angulaire de la source (0,21’’ de degré). Cette dimension est plus de trois fois plus petite que le pouvoir séparateur de 0,7’’ du télescope de 203 mm d’ouverture utilisé. Cette mesure a été faite en conditions monochromatiques. Or la mesure sur une étoile devra se faire en conditions polychromatique.

Sous conditions polychromatiques, les franges d’interférence apparaissent lorsque la différence de marche est inférieure à une longueur appelée longueur de cohérence. Sur le cliché central, on voit parfaitement que le nombre de frange dépend directement de la valeur de cette longueur notée Lc. Pour le laser de type Hélium/Néon utilisé dans l’expérience précédente, la longueur de cohérence était de 30 cm. Elle chute à 0,6µm dans le cas de la lumière solaire (tableau en bas à droite).

Par construction, l’incertitude des chemins optique de notre poutre peut dépasser le millimètre. Pour obtenir des franges, il faut donc équilibrer les chemins optiques de manière que la différence de marche des chemins M1/M2 et M3/M4 soit inférieure à la longueur de cohérence.

Dans le cas d’un masque de Fizeau, le réseau de franges se forme dans l’axe du télescope au plan focale de ce dernier. La position de la frange centrale correspond très exactement à la différence de marche nulle pour les rayons issus du trou T1 et du trou T2. Mais dans le cas de la poutre de Michelson, il faut être en mesure de réajuster cette différence de marche dues aux incertitudes de construction sur les poutres M1/M2 et M3/M4. Le but est donc de ramener cette différence de marche nulle sur l’axe optique du télescope, comme dans le cas du masque de Fizeau.

Pour contrôler cette différence de marche, Antoine Labeyrie a conçu un dispositif permettant de moduler les chemins de manière à compenser l’écart entre les chemins optiques des deux faisceaux incidents. Cette différence de marche est une fonction directe de l’épaisseur de chemin optique traversée. Donc si nous avons derrière le trou T2 (schéma du bas) une épaisseur optique fixe (cale optique), nous pouvons égaliser le chemin optique du trou 1 en plaçant derrière celui-ci, une épaisseur de verre variable. Ainsi, si nous avons un défaut de différence de marche sur l’un ou l’autre des trous, due à une imprécision mécanique sur les longueurs de chemin (M1/M2 ou M3/M4), nous pouvons moduler l’épaisseur de verre traversée pour égaliser les chemins optiques finaux et obtenir les franges dans la tache d’Airy résultante au foyer du télescope.

L’épaisseur de verre variable, incluse dans un oculaire (oculaire frangeur), est constituée de deux prismes dont le déplacement motorisé se fait le long de leurs hypoténuses respectives. Ainsi, le rayon arrivant perpendiculairement au grand côté de l’un des prismes, traversera une épaisseur optique variable.

Cet oculaire frangeur, véritable ligne à retard optique pilotable, permet de balayer une différence de marche d’environ 3 mm. Sur la poutre finale, le but sera alors d’équilibrer au mieux les chemins optiques M1/M2 et M3/M4 (typiquement au mm), et ensuite de balayer la différence de marche à l’aide de l’oculaire frangeur.

Au mois de février, deux séances de travail ont été nécessaires pour assurer la collimation de l’ensemble. Pour ce premier essai d’obtention de frange, la distance de travail a été fixée à 607 millimètres. Le miroir M4 et sa platine sont fixés sur un chariot a vis micrométrique afin de pouvoir dégrossir la variation de distance entre les chemins M1/M2 et M3/M4 par pas de 2 mm avec une précision de 5 centièmes de millimètre.

La double image de l’étoile Procyon est présentée ici. Cette image a été obtenue au foyer du télescope. Avec une collimation quasi terminée, on y voit parfaitement les taches d’Airy correspondant aux deux trajets, M1/M2 et M3/M4.

Après installation de l’oculaire frangeur, la collimation fine est assurée à la fois sur les platines de réglages des miroirs, mais aussi en utilisant la mise au point du télescope, déplaçant les taches d’Airy sur l’axe horizontal, et la cale optique souple permettant de déplacer la tache d’Airy M3/M4 sur l’axe horizontal. Les deux pupilles superposées sont étirées sur l’axe horizontal et compressées sur l’axe vertical grâce à deux lentilles cylindriques croisées montées en oculaire anamorphoseur afin d’améliorer la visibilité des franges. Le cliché de gauche nous montre l’étoile Bételgeuse.

Les images présentées ici sont les premières franges obtenues lors de la deuxième séance de travail, après deux balayages infructueux de la différence de marche. Lors du troisième balayage, le réglage de la position du M4 grâce au micromètre a permis de faire apparaître les franges d’interférences bien marquées !! La hauteur de Bételgeuse au-dessus de l’horizon était 49° au moment de l’observation. Et le temps de pose 30 millisecondes.

Lors de l’essai sur l’étoile Sirius, la hauteur de l’étoile au-dessus de l’horizon est bien moindre : 26°. On remarque l’effet vertical de la réfraction atmosphérique, mais les franges sont bien présentes et très marquées. Le temps de pose est 9 millisecondes.

La combinaison Poutre de Michelson / Oculaire frangeur fonctionne !! On a ici le premier interféromètre optique amateur. La prochaine étape consistera à mesurer des étoiles doubles par le même moyen.

Site web de Bernard Trégon :

http://brizhell.org/partie_experimentale.htm