À l’embouchure de l’Oural, entre l’Europe et l’Asie
Gilles Dawidowicz
Le 8 mai 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue de l’embouchure de l’Oural, avec le commentaire suivant : « L’embouchure du fleuve Oural, qui se déverse dans la mer Caspienne, ressemble étrangement aux nervures d’une feuille d’arbre, Kazakhstan ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 27 avril dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un téléobjectif à 1 150 mm de focale. Le Nord est vers 7 heures. Nous sommes à une dizaine de kilomètres au sud sud-ouest de la ville d’Atyraou, au bord de la mer Caspienne, au Kazakhstan. C’est à environ 200 km à l’est de la frontière russe, de l’énorme delta de la Volga et de la ville d’Astrakhan.
La ville d’Atyraou est un centre administratif de l’oblys du même nom, où vivent plus de 150 000 âmes. L’altitude moyenne de la région est de 20 m sous le niveau de la mer (la mer Caspienne se situe quant à elle à 27,6 m en dessous du niveau des océans). La région bénéficie d’un climat continental et aride : les hivers sont très froids (avec des températures moyennes de l’ordre de -7° C mais pouvant descendre en dessous de -30° C), et les étés sont chauds (avec des températures moyennes de l’ordre de +26° C). Les précipitations sont faibles tout au long de l’année, et la neige recouvre le sol deux mois par an (le manteau neigeux étant souvent peu épais).
Quant à l’Oural, il prend sa source en Russie, dans les monts du même nom. Cette chaîne de montagnes hercynienne et longue de plus de 2 000 km, est depuis Pierre le Grand le symbole de la limite géographique entre l’Europe et l’Asie. Après un cours de plus de 2400 km de long et un tracé parfaitement rectiligne sur ses 15 derniers kilomètres, il se jette à l’extrême nord de la mer Caspienne.
La mer Caspienne pour sa part est la plus grande mer fermée du monde, avec une longueur de plus de 1 000 km, une largeur maximale de 435 km, et une superficie de 371 000 km2. D’un point de vue géologique, c’est très exactement un lac endoréique salé hérité d’une mer bien plus vaste. Elle se situe au nord et à l’est des steppes de l’Asie centrale, et à l’ouest et au sud des chaînes himalayo-alpines du Caucase et de l’Elbourz. Elle est partagée entre la Russie (au nord et à l’ouest), l’Azerbaïdjan (à l’ouest), le Kazakhstan et le Turkménistan (à l’est) et l’Iran (au sud).
Mais revenons au cliché de Thomas Pesquet et à ce très fin et élégant delta de l’Oural en forme de « patte d’oie ». Cette morphologie est très atypique et fait partie de la famille des deltas dits « complexes ». Comme toujours, le paysage raconte ici son histoire et trahis des circonstances particulières à qui sait le lire. Un delta présente une géomorphologie qui dépend de peu de facteurs : la topographie du littoral, les conditions morphoclimatiques en présence et l’importance de l’apport en sédiments, et enfin les actions hydrodynamiques de la mer dans laquelle il évolue. Selon les importances relatives de certains de ces facteurs, les deltas présenteront des profils géomorphologiques différents. Ainsi, il existe des deltas polylobés (Rhône, Volga), des deltas en croissant (Danube, Nil), des deltas emboîtés (Betsiboka, Sénégal, Parana), et des deltas digités (Mississipi, Oural) plutôt rares. Thomas Pesquet a donc immortalisé un delta digité qui résulte de l’arrivée massive de sédiments dans des eaux peu agitées. D’une part, les derniers kilomètres du fleuve limitent la turbulence de ses eaux, mais la mer Caspienne est elle aussi relativement calme (par rapport aux océans Atlantique ou Pacifique par exemple). On comprend intuitivement quand on observe ce cliché, que ce delta est en progression rapide, qu’il « pousse » en quelque sorte. Ainsi, on remarque des levées très allongées et terminées en pointes, véritables sous-deltas plus ou moins dynamiques selon les bras considérés. L’ensemble est finalement assez équilibré, de chaque côté du chenal principal, ce qui donne une vision harmonieuse de cette formation, et la fait ressembler à une feuille d’arbre avec ses nervures, comme le souligne l’astronaute.
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L’embouchure de l’Oural, vue depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA