Les dentelles d’Al-Khiran
Gilles Dawidowicz
Le 15 avril 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue d’un complexe balnéaire, au Koweit, avec le commentaire suivant : « Apparemment au Koweït tout le monde veut sa maison au bord de l’eau… Attention à ne pas se tromper de virage en bateau pour retrouver son chemin ;) ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 8 avril dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un téléobjectif de 1 150 mm. Le Nord est à 9 heures. Nous sommes au-dessus de Al-Khiran (alias Pearl City).
Le Koweït est un petit pays, pour ne pas dire une enclave, coincé entre l’Arabie Saoudite au sud et l’Irak au nord, et qui fait face au golfe Persique à l’est. Il a été créé de toute pièce par les Britanniques en 1961, lors de la partition du Moyen-Orient avec les Français. Nous sommes ici dans le quart sud-est du pays, à quelques kilomètres seulement de la frontière avec l’Arabie Saoudite.
Cette photographie pourrait à elle seule inspirer un livre entier sur la situation de ce pays dont l’unique atout est la production de pétrole. Car, si cette méga infrastructure totalement artificielle peut faire croire à un paradis sur Terre, il n’en est rien du reste du pays victime de deux guerres ravageuses qui ont pollué l’environnement d’une façon incroyable et probablement irrémédiable. A ces catastrophes écologiques d’origines militaires s’ajoutent des catastrophes urbaines comme celle que l’on observe sur le cliché de Thomas Pesquet : une modification du littoral totalement irresponsable et déraisonnable.
Explications.
Lors de la guerre Iran-Irak, près de 400 000 tonnes de pétroles furent déversés dans le golfe Persique, avec de terribles conséquences pour la faune aviaire et pour les ressources halieutiques de la zone. Lors de l’invasion du Koweit par les troupes irakiennes de Sadam Hussein, ce sont 6 millions de tonnes de pétrole qui furent déversées dans le golfe Persique, et 700 puits de pétrole furent incendiés volontairement durant plus d’un an, ce qui entraîna une pollution de l’air durable aux dioxines et autres composés organochlorés. Aux inondations à l’eau de mer pour tenter d’éteindre ces incendies (qui provoquèrent une salinisation des sols) s’ajoutent 300 inondations de pétrole brut sur au moins 50 km2, soit environ 60 millions de barils déversés. Au total, ce sont au moins 40 millions de tonnes de sable qui ont été souillés et pollués suite au creusement de tranchées, aux mouvements de milliers de véhicules militaires, mais aussi aux bombardements de la coalition internationale… Tout cela sans compter les milliers de munitions non explosées, enterrées ou immergées, et les décharges militaires ; pas de quoi vraiment donner envie d’y faire du tourisme…
Pour couronner le tout, le pays fait face à un manque cruel de ressources en eau douce, nécessaire à la consommation humaine, mais aussi aux industries (pétrole, tourisme…), en forte demande. Ainsi, le Koweït -comme ses voisins- pompe de l’eau dans les nappes phréatiques fossiles, et dessale plus de 1,5 milliard de litres d’eau de mer par an. Mais tout cela ne suffit pas à couvrir les besoins en forte augmentation et le gaspillage qui l’accompagne. Car ici aussi, on utilise de l’eau pour irriguer les golfs, les piscines et les jardins. Et ce sont plus de 400 milliards de litres d’eaux usées qui sont produits annuellement et peu ou pas réutilisées. A ce titre, l’expérience de Thomas Pesquet de la vie dans la Station spatiale internationale pourrait inspirer les Koweïtiens…
Mais revenons au cliché de notre astronaute et à cette étonnante cité à l’urbanisation atypique. Al-Khiran se situe dans le sud du Gouvernorat d’Ahmadi. La région est importante tant pour son industrie pétrolière que pour ses zones résidentielles situées le long de la côte depuis Koweit City. Al-Khiran a été développée sur des centaines d’hectares autour de larges canaux navigables, creusés dans les terres, créant un surplus de 18 km de rivage. Le dessin en grand représente des épis parallèles les uns avec les autres (ou encore des arêtes de poissons), le tout reliant un estuaire : celui d’Al-Khiran. Ce sont donc les eaux du Golf Persique qui pénètrent les terres. Les déblais ont servi de remblais pour aménager des terrains constructibles puis y développer les zones résidentielles un peu comme à Dubaï sur les Palmes, le tout étant conçu pour y accueillir plus de 100 000 habitants.
Nul besoin de souligner les conséquences et les impacts d’une telle méga structure sur l’environnement déjà fragilisé. Les quelques zones humides littorales initialement naturelles ont dû être réaménagées avec même l’implantation de mangroves ; le pays tentant d’y créer un semblant d’écosystème avec faune et flore marines en sus, à coup de pétrodollars.
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Al-Khiran (alias Pearl City), au Koweït, vue depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA