Les méandres de Renmark
Gilles Dawidowicz
Le 4 mars 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue d’Australie-Méridionale, avec le commentaire suivant : « Toujours l’Australie : une ville de l’arrière-pays, nichée dans les méandres d’une rivière non-identifiée ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 27 janvier dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un téléobjectif de 400 mm. Le Nord est à 7 heures. Nous sommes au-dessus de la ville de Renmark, à 250 km au nord nord-est de la ville d’Adélaïde, la capitale de l’Etat d’Australie-Méridionale.
Renmark (7 000 habitants) est une ville sur la rive droite du fleuve Murray et tient son nom des aborigènes, qui signifierait « boue rouge ». Quant au fleuve Murray, il fait plus de 2 500 km de long, prend sa source dans la Cordillère australienne (la seule véritable chaîne montagneuse d’Australie, située sur sa côte est) et se jette via le lac Alexandrina et la lagune Coordong (près de Goolwa à environ 100 km au sud-est d’Adelaïde) à Long Bay, dans l’océan Indien (l’océan Austral pour les Australiens). Ici, le climat est méditerranéen avec un été chaud et sec.
Le régime du Murray est de type pluvial (l’apport nival des Alpes australiennes est trop faible pour avoir une incidence sur son régime général). Il draine la partie sud-est du pays et reçoit l’apport en eau de deux grands affluents : le Murrumbidgee et le Darling. Bien qu’étant le plus long fleuve d’Australie, il présente un très faible débit au regard de son importance, en raison de faibles précipitations sur les régions qu’il traverse mais aussi de la très forte évaporation qu’il subit. Malheureusement et pour compléter ce tableau hydrique, un prélèvement massif d’eau réalisé pour l’agriculture et les villes proches de son cours, fait que le fleuve n’apporte plus que très peu d’eau douce à l’océan, ce qui conduit à l’ensablement de son estuaire (qu’il faut draguer régulièrement), à la salinisation progressive des plans d’eau situés à l’amont de l’estuaire et à une perturbation de ses fragiles écosystèmes. Ainsi, il est déjà arrivé que le fleuve soit complètement tari en période d’extrême sécheresse. Quant à sa faune et sa flore endémiques, elles offrent un patrimoine naturel riche mais menacé par l’introduction d’espèces invasives et par la surexploitation de ses eaux…
Mais revenons au cliché de Thomas Pesquet. Nous sommes bien entre Outback et Bush australien. Le paysage est magnifique : il nous offre une vue incroyable de la vallée sinueuse du Murray, qui chemine d’une façon spectaculaire, avec de part et d’autre de son cours, une mosaïque de couleurs composée de petites parcelles agricoles rectangulaires et bien cadastrées (où l’on cultive la vigne et les fruits), du tissu urbain de Renmark, de quelques belles forêts, du début du désert (en haut, à gauche), des îles sur le fleuve et des friches, de grands méandres, et surtout de nombreux bras morts du Murray détachés du cours principal. Le lit majeur du Murray (sa plaine d’inondation lors des fortes crues) est énorme et très large, et ne semble plus en phase avec les conditions morpho-climatiques actuelles. En d’autres temps (surement lointains) et sous d’autres climats (surement plus arrosés), le Murray devait déborder lors de crues immenses dans sa plaine d’inondation. La pente est très faible sur des centaines de kilomètres à l’amont et à l’aval de la photographie, ce qui explique qu’il dissipe son énergie latéralement et crée tous ces méandres dont certains sont recoupés tandis que d’autres sont totalement isolés en bras morts. C’est sûrement la nappe phréatique qui joue son rôle et permet de les observer ainsi, remplis d’eau. On observe également tout un ensemble de paléo-méandres que l’on devine entre le cours actuel et les boucles et autres bras morts. Il faudrait des images satellites sur plusieurs décennies pour vérifier la morphodynamique du Murray et d’éventuelles migrations de ces structures hydrogéologiques…
Les méandres de Renmark, vus depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA