Le delta du Danube
Gilles Dawidowicz
Le 23 février 2017, Thomas Pesquet a posté cette vue de Roumanie, avec le commentaire suivant : « Ce fleuve fait un étrange coude, quelque part en Roumanie – un paléoméandre en devenir peut-être ? ».
L’image a été prise depuis l’ISS le 31 décembre dernier, à l’aide d’un Nikon D4 équipé d’un téléobjectif de 1 150 mm. Le Nord est à 3 heures. Nous sommes au-dessus d’un méandre du delta du Danube, en Roumanie. Le Danube est le deuxième fleuve d’Europe (après la Volga russe) par sa longueur, qui dépasse les 3 000 km. Il prend sa source dans la Forêt-Noire (en Allemagne) et se jette dans la mer Noire, à quelques 30 km au nord-est de là où nous sommes. Son delta fait plus de 300 000 hectares. Au nord du delta, le bras de Chilia est un défluent (le plus septentrional des trois bras principaux du delta) qui forme, dans sa partie terminale, un delta secondaire devant la Mer Noire. Cette limite nord matérialise également la frontière entre la Roumanie et l’Ukraine. Au sud, c’est le bras de Saint-Georges qui délimite la partie méridionale du delta. Au centre, le bras de Sulina.
Mais revenons au cliché. Au moment de la prise de vue, la température nocturne est sensiblement négative depuis plusieurs semaines, et le paysage est légèrement gelé. La photographie est centrée sur une boucle très étonnante par sa forme située dans le bras de Saint-Georges (Dunaszentgyörgy). Contrairement à ce que pense Thomas Pesquet, ce méandre n’est pas un paléoméandre, puisqu’il est bien actif et actuel. Il s’agit en fait d’une boucle naturelle, héritée, témoignant du dynamisme du fleuve, que les hommes ont ensuite aménagée en zone piscicole. Le zoom permet d’ailleurs de distinguer les canaux, les bassins en eau et les allées au centre de la boucle et dans les parcelles alentours.
Mais la géométrie surprend l’oeil de l’observateur (et a attiré celui de notre astronaute), car généralement les boucles des méandres sont simples. Dans ce cas, la boucle est recoupée, ce qui finalement divise le cours en deux chenaux, un chenal principal et un chenal secondaire. Ce recoupement, d’environ 100 m de largeur, a été creusé à travers le delta. Il est donc artificiel et permet de rendre navigable le bras de Saint Georges depuis la Mer Noire, sur près de 64 km.
On notera en bas à droite de l’image, des traces de paléoméandres et de paléochenaux, qui trahissent les tracés anciens des bras du fleuves. Et dans la partie droite, des lacs et autres petites mares. Enfin sur la gauche, le village de Mahmudia avec son petit port, la ville de Murighiol et son petit lac gelé et le hameau Uzlina (sur le bas de l’image, au centre).
Toute la région du delta est une réserve de biosphère exceptionnelle et abrite des centaines de variétés de plantes, près de 1 000 espèces d’insectes, plus de 300 espèces d’oiseaux et 45 espèces de poissons d’eau douce dans ses lacs et marais. Pour les naturalistes, c’est ici le bonheur, même si les braconniers mettent en danger des espèces devenues rares : on y observe encore des pélicans blancs, des pélicans frisés, des spatules blanches, des cormorans pygmées, des pygargues à queue blanche, de rares balbuzards pêcheurs, des tadornes casarca (une espèce proche du canard), et des érismatures à tête blanche presque totalement disparus dans le reste de l’Europe. D’autres animaux vivent également ici comme des tritons, des loutres, mais aussi le mystérieux chien viverrin…
Au-dessus du delta du Danube, vu depuis l’ISS. Crédit : ESA/NASA