Compte rendu de la conférence de la SAF du 10 novembre 2017

L’OSCILLATION DES NEUTRINOS

DE BRUNO PONTECORVO AU PRIX NOBEL 2015

 

KamiokaObs 
 © Observatoire de Kamioka, Institut pour la recherche des rayons cosmiques, Université de Tokyo.
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Conférence donnée par Daniel Vignaud

Astrophysicien, Laboratoire Astroparticule et Cosmologie (APC)

Daniel VignaudNous sommes baignés en permanence par 65 milliards de neutrinos par centimetre carré et par seconde venus du Soleil. Notre corps humain contient aussi environ 20 millions de neutrinos issus du Big Bang et émet chaque seconde quelques milliers de neutrinos liés à sa radioactivité naturelle. Les neutrinos sont également produits dans l’interaction des rayons cosmiques dans l’atmosphère ou dans les noyaux actifs de galaxies.

Pourquoi les neutrinos ?

Les neutrinos sont apparus suite à une anomalie que l’on avait détectée avec le rayonnement bêta. La désintégration bêta moins, c’est la transformation d’un neutron d’un noyau en proton, la désintégration bêta plus est la transformation d’un proton en neutron. Dans la radioactivité bêta moins, un électron était éjecté du noyau avec une énergie variable ce qui semblait prouver qu’une certaine quantité d’énergie était émise mais non détectée. Les lois de conservation de l’énergie n’étaient plus respectées, ce qui posait problème. C’est Wolfgang Pauli qui émit l’hypothèse qu’une particule inconnue emportant l’énergie manquante, devait être émise à l’occasion de cette réaction. Cette particule « virtuelle » n’est pas encore détectée, mais elle sera baptisée neutrino. Son symbole : ν. Lors de l’émission bêta moins, c’est un anti-neutrino qui est émis suivant la réaction :

neutrino

Le neutrino n’a été détecté que près de 25 ans plus tard, en 1956. Il fut mis en évidence à Savannah River près d’une pile atomique par Reines et Cowan. Ensuite Brookhaven, le CERN et le Fermilab mettent en évidence les différentes sortes de neutrinos. Les dernières expériences montrent qu’il ne peut exister que trois sortes de neutrinos. Comment interagissent les neutrinos ? Très faiblement !

L’oscillation des neutrinos

Les neutrinos sont de trois types (« saveurs »), et quand ils se déplacent, il semble qu’ils puissent passer d’une saveur à l’autre plus ou moins totalement. Si les neutrinos ont une masse, lorsqu’ils se déplacent, ils peuvent se transformer (plus ou moins totalement) d’une espèce dans une autre. Le phénomène est périodique en fonction de la distance entre la source et le détecteur et prend le nom d’oscillations.  L’oscillation des neutrinos fait que les lois de la physique quantique imposent qu’ils aient une masse et que celle-ci soit différente pour chaque saveur. Des neutrinos de masse nulle ne pourraient pas osciller d’une saveur à une autre, les lois physiques l’interdisent (les masses doivent être différentes pour changer de saveur, donc les masses ne peuvent pas être nulles), ce qui prouve bien qu’ils ont une masse.  Différentes expériences actuelles, permettent de donner des limites et des rapports entre les masses des différents types de neutrinos. Le neutrino serait 10 milliards de fois moins massif que l’électron, néanmoins, il contribue au bilan massique de l’univers et ne peut excéder quelques pourcents, ce qui est tout de même du même ordre de grandeur que la masse de toutes les étoiles (0,3% de tout l’Univers). L’oscillation des neutrinos a été  prédite par Bruno Pontecorvo, un physicien italien.

Les neutrinos solaires

La température du Soleil est suffisamment élevée pour qu’il y ait réaction de fusion. Des neutrinos sont produits pendant ces réactions nucléaires ainsi qu’une énergie de 4 x 10-12 W. On peut calculer le flux de neutrinos arrivant sur Terre. Le résultat est le chiffre déjà annoncé : 65 milliards par cm2 et par seconde. Les neutrinos produits par les réactions nucléaires au cœur du Soleil sont du type électronique; ils se transforment au fil de leur voyage vers la Terre, et à leur arrivée, ils ont à la fois la forme des neutrinos électroniques et des deux autres types. Ils changent ainsi de saveur.

Les neutrinos atmosphériques

Les rayons cosmiques interagissent avec l’atmosphère et produisent des gerbes de particules que l’on peut observer en fonction de l’angle d’arrivée. Il y a principalement création de neutrinos muoniques et électroniques. Il y a deux fois plus du premier type que du second. Mais on a mis en évidence un déficit entre le nombre de neutrinos de type muonique détectés provenant des antipodes et les prévisions théoriques : on n’en détecte pas deux fois plus que des types électroniques. Se transforment-ils pendant le voyage comme les neutrinos solaires ? On les détecte au Super-Kamiokande quand ils ont traversé toute la Terre. On s’aperçoit que le nombre de neutrinos détectés provenant du « haut » est le nombre attendu (les neutrinos muoniques descendants n’ont pas le temps de se transformer dans une autre saveur avant d’atteindre le détecteur), alors que le nombre de neutrinos provenant du « bas » (ayant traversés la Terre et parcourant jusqu’à mille fois plus de chemin, se convertissent vraisemblablement en neutrinos tauiques) est en déficit d’un facteur deux. Ils se transforment aussi comme les neutrinos solaires. C’est la lumière Cherenkov que l’on détecte.

Prix Nobel 2015

Takaaki Kajita est un physicien Japonais spécialiste des neutrinos, il a été à l’Institut ICRR (Institute for Cosmic Ray Research) de Tokyo avant de devenir Directeur du Center for Cosmic Neutrinos  à l’ICRR. Il est célèbre pour ses recherches sur les neutrinos à l’Observatoire Kamiokande et Super-Kamiokande, où il remarque les déficits de certaines classes de neutrinos. C’est en Octobre 2015 qu’il obtient avec son collègue Canadien le Prix Nobel de Physique 2015  pour la découverte des oscillations de neutrinos.

Conclusion

  • Les neutrinos sont les messagers des phénomènes fondamentaux dans l’Univers.
  • La mort des étoiles massives en supernova émet une énorme quantité de neutrinos.
  • Ce sont les plus vieux fossiles de l’Univers, mais ne pèsent pas lourd dans la masse manquante.
  • La découverte de la masse non nulle des neutrinos ouvre une fenêtre sur une nouvelle physique au-delà du modèle standard.

Compte-rendu détaillé : ICI

Page de l’équipe de Daniel Vignaud sur le site du laboratoire APC : ICI