Compte rendu de la conférence mensuelle du 14 avril 2021

Les objets interstellaires

Conférence donnée par Sean Raymond, astrophysicien au Laboratoire d’astrophysique de Bordeaux

Sean Raymond est originaire du Colorado (ville de Boulder) et, après un post-doc dans cet Etat, il est venu en France ; il réside depuis 10 ans à Bordeaux.

Son domaine : la formation et la migration des planètes, il a d’ailleurs travaillé un temps avec l’équipe de Nice (A. Morbidelli) sur le modèle de Nice. Il parle parfaitement le français.

C’est un passionné d’ouvrages de science-fiction, d’ailleurs il en parle en introduction à cette conférence en évoquant le célèbre ouvrage « Rendez-vous avec Rama » du non moins célèbre Arthur C. Clarke (celui de 2001 L’Odyssée de l’espace) de 1973 qui évoque justement la rencontre avec un vaisseau extraterrestre. Je vous recommande cet ouvrage, il n’a pas vieilli.

Son blog sur l’astro

Ses recherches actuelles

Notre environnement n’est pas seulement peuplé de planètes, de comètes et d’astéroïdes, il existe des centaines de planètes « flottantes » ou « errantes », c’est-à-dire ne tournant pas autour d’une étoile et des objets interstellaires, sujets de notre conférence de ce soir.

Le premier objet interstellaire : ‘Oumuamua

Ces objets interstellaires ne sont pas nouveaux, cela fait une cinquantaine d’années que l’on en parle. Le premier de ces objets interstellaires a été détecté le 18 octobre 2017 par le télescope de surveillance automatique Pan-STARRS 1 à Hawaï. Son orbite était hyperbolique très inclinée (120°) et sa vitesse énorme (>25km/s, soit bien supérieure à la vitesse de libération du Système solaire qui est de 11km/s). On peut voir une animation gif de son orbite.

La trajectoire de ‘Oumuamua. Crédit : Meech et al (2017)

Dans la présentation de Sean, on voit une animation des trajectoires des deux premiers objets. Cet objet se serait approché du Soleil à près de 40 millions de km début septembre 2017 puis a « frôlé » la Terre d’à peine 25 millions de km avant de repartir vers les espaces infinis. On pense qu’il a une taille d’une centaine de mètres. Son origine est inconnue pour le moment. Certains pensent qu’il provient de Vega dans la constellation de la Lyre, mais rien n’est sûr.

Ce premier objet fut baptisé du nom Hawaïen pour éclaireur : ‘Oumuamua ! Mais son nom officiel a été amélioré : 1I/2017 U1 (le I pour interstellaire). Est-on sûr qu’il provient de l’extérieur du Système solaire ? Oui, sa vitesse de 26 km/s en retranchant l’accélération due au Soleil, prouve manifestement qu’il n’est pas de « chez nous ». Que sait-on de plus ?

  • Il n’a apparemment aucune activité cométaire.
  • Sa taille : il serait de forme oblongue, comment le sait-on, on a observé sa courbe de lumière, et on remarque une rotation de période d’environ 7 heures. Il aurait donc une forme de cigare d’une centaine de m dans sa plus grande dimension.
  • Il ressemblerait à un noyau de comète éteint.
  • Il proviendrait de la région de Vega dans la Lyre.
  • Il posséderait aussi une accélération non gravitationnelle (mouvement affecté par d’autres facteurs que la gravitation) comme on le voit sur le schéma.

Brillance et accélération de Oumuamua (extraits de la présentation de Sean Raymond)

Avi Loeb,  un astronome connu  d’Harvard a émis l’idée que ce pouvait être un objet ou un vaisseau envoyé par une civilisation extraterrestre. Mais tous les arguments ont été réfutés par les chercheurs d’un groupe justement créé à cette occasion, et notamment par Sean (voir son article).

Le deuxième objet interstellaire : Borisov

Un nouvel objet interstellaire a pénétré notre Système solaire, il a été mis en évidence par un astronome amateur Ukrainien G. Borisov le 30 août 2019 depuis la Crimée et a été baptisé provisoirement C/2019 Q4 et depuis quelques jours définitivement 2I/ Borisov.

C’est manifestement une comète provenant de l’extérieur du Système solaire car sa vitesse est de plus de 40 km/s. Elle aurait pris naissance dans un autre Système solaire. Certains pensent qu’elle provient d’un système stellaire (Kruger 60) situé à 13 al de nous. Elle approcherait l’écliptique sous un angle de 40°.
Elle est approximativement à 400 millions de km du Soleil et atteindra son périhélie le 8 décembre prochain, elle sera alors à 300 millions de km. Le noyau est estimé à quelques km.

Combinaison des observations de Hubble (Mars 2020) en fausse couleurs ; montrant le noyau qui semble se partager en deux parties. Crédit : NASA/ESA/HST/David Jewitt

Les observatoires Hubble et Alma ont réussi à déterminer sa composition, il semble qu’elle ait une plus grande concentration en CO que la plupart des comètes.

Cela indique pour les scientifiques que cette comète se serait formée près d’une naine rouge, une étoile beaucoup plus petite et plus froide que notre Soleil, ils envisagent même que cette comète interstellaire soit un morceau d’une planète riche en CO.
La grande concentration en monoxyde de carbone (CO) suggère que l’objet viendrait d’une région très très froide, comme par exemple la ceinture de Kuiper dans notre Système Solaire. Dans le cas de Borisov, elle proviendrait d’un environnement froid, comme celui autour d’une naine rouge.

Que faire la prochaine fois ?


Il serait bon de pouvoir détecter l’objet interstellaire le plus tôt possible, par exemple à l’aide du futur LSST et de pouvoir essayer de l’intercepter pour en apprendre plus sur son origine et sa composition. Mission impossible ? Peut-être pas, en effet des scientifiques pensent pouvoir, malgré l’énorme vitesse, élaborer une mission. La mission Lyra. Comment intercepter le prochain Oumuamua ? Bonne question !

Ce compte rendu a été fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur son site web.