Compte rendu de la conférence mensuelle du 10 février 2021

Les missions Hayabusa2, OSIRIS Rex et MMX

Conférence donnée par Antonella Barucci, LESIA/Observatoire de Paris

Hayabusa2. Crédit : JAXA

Comment sont nés les astéroïdes ?

Le temps zéro, base du début du système solaire se situe il y a 4,567 milliards d’années (Ga = Giga années Ma = millions d’années). Tout s’est produit à partir d’un nuage de gaz et de poussières, il y a eu plusieurs phases, notamment :

  • Entre 1 et 10 Ma: formation d’embryons planétaires.
  • Jusqu’à 10 Ma: formation des planètes géantes.
  • Jusqu’à 60 Ma: formation de la Terre-Lune.
  • Jusqu’à 100 Ma: formation des planètes rocheuses.

La gravité devient dominante à partir d’objets ayant au moins 1 km. C’est une vision simpliste des choses, car ce ne fut pas un long fleuve tranquille. Il y eu des migrations des planètes géantes qui ont fait des va et vient vers le Soleil et puis s’en sont éloignées (c’est le modèle de Nice et son Grand Tack). Cela a joué sur la matière restante de la formation des planètes, justement, les astéroïdes.

On s’est vite aperçu vite qu’entre Mars et Jupiter, il y avait un trou, il manquait une planète, pourquoi ? Toute formation de planètes est prise entre deux feux :

  • L’attraction du Soleil.
  • L’attraction de Jupiter, planète géante.

Toute velléité de formation est vouée à l’échec : il ne peut subsister que des petits morceaux de planétoïdes, les astéroïdes. La plupart de ces petits corps se trouvent donc situés entre Mars et Jupiter (on verra qu’il existe une autre zone aussi plus loin dans le Système solaire) que l’on appelle la ceinture principale d’astéroïdes.

De quoi sont composés ces petits corps ?

Ce sont les restes de matière qui n’ont jamais pu former une vraie planète, ils sont intéressants à étudier car ce sont des vrais fossiles de notre formation. Il existe différents types comme :

  • Ceux principalement rocheux (comme le manteau terrestre).
  • Certains ferreux comme le noyau terrestre pour ceux qui commençaient à se différencier.
  • Et toutes les combinaisons entre les deux, suite aux multiples collisions depuis des milliards d’années.

On peut dire que l’étude spectrographique a permis de déterminer trois grandes familles en fonction de leur composition :

  • Les astéroïdes de type S (en anglais stony : rocheux) ou silicatés, constitués de pyroxène et d’olivine avec un petit noyau de Fe-Ni.
  • Les astéroïdes du type M (métalliques), blocs de Fer et de Nickel.
  • Les astéroïdes de type C (pour carbonés) sont les plus primitifs.

Dans la ceinture principale, il y aurait plus de 1 million de corps de taille supérieure à 1 km. Parmi ces astéroïdes, certains croisent l’orbite de la Terre, ce sont les géocroiseurs, on en compte environ un millier de taille supérieure à 1 km. Certains peuvent nous percuter, comme cela s’est produit il y a quelques années en Russie à Tcheliabinsk. Ces impacts dangereux ne sont pas si fréquents.

Il y eut de nombreuses missions vers les astéroïdes, mais aujourd’hui on s’intéresse à celles qui ont été capables de prélever des échantillons.

La mission Hayabusa2 de la JAXA : succès complet

La JAXA (agence spatiale japonaise) voulait donner une suite à la mission Hayabusa1 qui s’était déroulée avec succès, malgré quelques périodes de suspense intense au retour. Ils ont lancé avec succès en décembre 2014 la continuation de leur précédente mission vers les astéroïdes : Hayabusa2. La sonde : similaire à sa première version. La cible : toujours un astéroïde de petite taille, cette fois il s’appelle 1999 JU3, ou Ryugu, sa taille est de l’ordre du km. Son avantage, c’est un astéroïde primitif, datant de la formation du système solaire. Il devrait contenir des molécules organiques. Il est plus petit que 67P de Philae mais plus dense. Néanmoins, la gravité y est très faible. Il est atteint en juin 2018, la sonde s’y met en orbite à 20 km d’altitude. L’exploration commence. Surprise : sa forme de dé bizarroïde et absence de cratères. Ryugu a un diamètre de 900 m et un albédo de 4,5%, c’est très noir ! Il tourne sur lui-même en un peu plus de 7h30. Sa densité est faible : 1,2, on pense donc que c’est un agrégat rocheux. Mais surtout, contrairement à Itokawa de la première mission, il y a plein de roches et très peu de zones plates sans gros objets. Notamment un gros rocher, baptisé Otohime : comment peut-il rester au sol avec si peu de gravité ?

La mission a été un succès complet puisqu’elle a réussi les étapes suivantes :

– Arrivée à l’astéroïde et mise en orbite.

– Lancement et atterrissage du mini robot Minerva II-1 le 21 septembre 2018.

– Lancement et atterrissage du robot (CNES et DLR) le 3 octobre 2018.

  • Premier touch-down pour prélèvement le 21 février 2019.
  • Lancement de l’impacteur pour le deuxième prélèvement le 5 avril 2019.
  • Deuxième prélèvement le 11 juillet 2019.
  • Lancement et atterrissage de Minerva II-2 le 3 octobre 2019.
  • Il est temps de rentrer le 13 novembre 2019.
  • Retour des échantillons sur Terre le 5 décembre 2019.
  • Les prélèvements sont récupérés au Japon le 13 décembre 2019.

Présentation de la sonde : Assez similaire à l’ancienne mission, mais en se basant sur des techniques améliorées. Sa masse : 600 kg, dimensions : un peu plus d’un m3. Elle doit aussi déposer à la surface un instrument développé par le CNES et la DLR, MASCOT (acronyme de Mobile Asteroid Surface SCOuT). Un « scout » en anglais est un éclaireur. MASCOT est un atterrisseur de 10 kg doté d’un mécanisme de mobilité qui lui permettra de visiter 3 sites sur l’astéroïde. Sa durée de vie est limitée par ses batteries primaires, unique source d’énergie pour 12 heures de mission.

On va larguer ce petit atterrisseur très près de l’astéroïde, vers les 100 m d’altitude à la vitesse de l’ordre de 10 cm/s. Il va rebondir et une fois posé il a la capacité de se retourner si nécessaire. (roue à inertie et bras) car l’instrument principal doit être tourné vers le sol. De plus cet ensemble est capable de se déplacer par bonds en d’autres endroits. Pour atteindre ses objectifs scientifiques, l’atterrisseur MASCOT embarque 4 instruments scientifiques :

  • MicrOmega, microscope infrarouge hyperspectral pour analyse minéralogique in situ du sol, développé par l’Institut d’Astrophysique Spatiale (Jean-Pierre Bibring, IAS). MicrOmega constitue l’instrument principal de MASCOT.
  • CAM, caméra champ large multispectrale pour fournir un contexte géologique aux sites visités, développée par le DLR (agence spatiale allemande).
  • MAG, magnétomètre, développé par l’Université Technologique de Braunschweig.
  • MARA, radiomètre pour déterminer la température de la surface et déterminer l’inertie thermique de l’astéroïde, développé par le DLR.

Des simulations numériques d’atterrissage ont eu lieu pour limiter le nombre de rebonds,  la durée de vie de sa batterie étant limitée.

Concernant le prélèvement, la sonde a lentement spiralé vers la surface avant de lancer une microbille de 5 grammes en tantale à la vitesse de 300 m/s, dont le but était de soulever un peu de poussière de la surface. Poussière alors recueillie par le détecteur de la sonde en léger contact du sol. Ensuite la sonde s’est éloignée de la surface. La JAXA a publié une super intéressante vidéo de Hayabusa2 en train de collecter des échantillons de l’astéroïde le 21 février 2019 : on voit une pluie de cailloux projetés en l’air et aspirés par sa trompe.

Pour le deuxième prélèvement on a voulu compliquer les choses et prendre de la matière située plus profondément. À cet effet, on lance un impacteur (le SCI Small Carry-on Impactor) chargé de créer un cratère artificiel d’une dizaine de mètres de diamètre dans le sol et on ira prélever des échantillons au fond de ce cratère.

Le deuxième prélèvement s’est aussi bien passé que le premier, on verra plus tard, qu’en fait il a été plus fructueux.

La séquence de retour

Le 5 décembre 2020 à 17 h 30 UT, on a pu suivre en direct la trace lumineuse dans le ciel australien. Elle est récupérée rapidement par les équipes qui l’attendait sur place. Un énorme succès pour une mission dont on n’a peu ou pas entendu parler à la télé. Les échantillons sont vite transportés au Japon, où on ouvre les conteneurs. En tout 5,4 g de matière extra-terrestre récoltée.

Ensuite comme il reste du carburant dans la sonde, il est prévu que celle-ci fasse d’abord quelques tours du Soleil avant de s’intéresser à ses prochaines cibles qui pourraient être les astéroïdes 2001 CC21 en 2026 et 1998 KY26, un minuscule astéroïde en 2031. Une belle ambition pour cette mission bon marché et qui n’a malheureusement pas fait la une de la presse.

La mission OSIRIS Rex. Crédit: NASA/Goddard/Université d’Arizona

La mission OSIRIS-Rex de la NASA

La NASA a lancé  une mission ambitieuse début septembre 2016, OSIRIS-Rex (acronyme de Origins, Spectral Interprétation, Resource Identification, Security-Regolith Explorer) en direction d’un astéroïde nommé Bennu (101955 Bennu ou 1999 RQ36), avec pour mission d’en ramener un échantillon sur Terre. C’est un astéroïde découvert en 1999 de dimension approximative 500 m et dont la période orbitale de 1,2 ans (436 jours). C’est peut-être un fragment d’un astéroïde plus gros. C’est un géocroiseur, c’est-à-dire qu’il peut couper l’orbite terrestre, il fait partie de la famille des Apollo (astéroïdes dont leur demi-grand axe est strictement supérieur à 1 UA et leur périhélie inférieur à 1,017 UA) ; il y en a plusieurs milliers de répertoriés. Il frôle la Terre tous les 6 ans en moyenne, un impact est donc possible au XXIème siècle. C’est donc un astéroïde potentiellement dangereux.

Il fallait aussi trouver un astéroïde pas trop loin de la Terre, donc un géocroiseur, il y en avait à l’époque du choix approximativement 200. Il fallait aussi que le diamètre ne soit pas trop petit, sinon sa période de rotation est trop grande et ce ne serait pas facile de viser un point sur le sol, cela a réduit le choix à environ 25. On voulait aussi un astéroïde primitif, il n’en restait plus que quelques-uns, et comme Bennu avait une forte probabilité de rencontrer la Terre dans le futur, ce sont ces diverses raisons qui l’ont fait choisir comme destination pour cette ambitieuse mission.

La sonde elle-même est beaucoup plus lourde que Hayabusa2. C’est un gros cube de 3 m de côté avec deux panneaux solaires de 8,5 m2. Masse au décollage 1 500 kg. Les panneaux solaires chargent des batteries au Li-Ion, des petits propulseurs à l’hydrazine sont aussi montés pour les diverses manœuvres. La structure est fortement inspirée des sondes Maven et MRO qui ont fait leur preuve. Osiris-Rex possède 5 instruments pour étudier Bennu et mener à bien sa mission qui est d’activer le bras (TAGSAM) pour prendre l’échantillon de sol. Après des assistances gravitationnelles, il se met en orbite autour de Bennu en 2018. Il ressemble à Ryugu, une forme de toupie, mais plus petit, il fait seulement 500 m dans sa plus grande dimension. Densité : 1,2. Albédo : 4,4%. Période de rotation : 4,3 heures. Là aussi, absence de terrain plat, nombreuses roches en surface. Cependant on y détecte la raie de l’eau (à 2,7 microns). De plus on s’est aperçu que Bennu est un astéroïde actif, il dégage des jets de particules et de poussières, un peu comme une queue de comète. Certaines particules s’échappent (leur vitesse peut atteindre quelques m/s), d’autres retombent ou retomberont lentement sur la surface.

Quelle est la cause d’un tel « dégazage » ?

On s’est aperçu qu’il s’est produit lorsque l’astéroïde était au plus près du Soleil, alors peut-être est-ce l’effet de réchauffement dû au Soleil ? La partie la plus délicate : le prélèvement avec le bras TAGSAM. L’ensemble pour le prélèvement et le retour d’échantillons sur Terre comprend deux instruments très perfectionnés.

Le principe de prise d’échantillons ; c’est un système du type « touch and go » ; un bras articulé de grande longueur (3,2m) TAGSAM (Touch and Go Sample Acquisition Mechanism) portant à son extrémité une gamelle ressemblant à un vieux filtre à air de voiture, permettant de projeter un jet d’azote liquide sur le pourtour afin de fluidiser le régolithe et permettre ainsi l’aspiration dans une chambre de récupération. Ensuite cet échantillon est placé dans la capsule de retour SRC (Sample Return Capsule).

L’approche va se faire à vitesse relative très lente : 10 cm/s et en s’adaptant exactement à la période de rotation de Bennu. Aussitôt de l’azote soufflé par l’extérieur provoque « l’envol » du régolithe qui est recueilli dans le réceptacle. Une fois assuré que le réceptacle est suffisamment rempli, celui-ci est transporté dans la capsule de retour sur Terre. Ensuite il a fallu, trouver un site de prélèvement car on avait besoin d’un endroit exempt de gros rochers. Ce sera le site baptisé Nightingale (Rossignol).

Et c’est le 20 octobre 2020, que la sonde OSIRIS-Rex s’est approchée très lentement (la descente a duré 4 heures) du lieu cible de Bennu, et après s’être synchronisée avec la rotation de l’astéroïde, a touché sa surface à 1 m du point prévu, a éjecté un souffle d’azote pour remuer le régolithe du sol et a pu ainsi recueillir grâce à un savant aspirateur un peu de cette poussière et cailloux. Ensuite la sonde s’éloigne de la surface et repart sur son orbite.

Après étude de la tête du bras TAGSAM, il semblerait que l’on ait recueilli beaucoup plus d’échantillons que prévu, peut-être 400 g au lieu des 60 g prévus. La capsule n’arrive pas à se refermer et on perd des échantillons dans l’espace. Le 27 octobre 2020, la décision est prise de déplacer la tête du bras TAGSAM vers le conteneur de retour. Cette opération a eu lieu avec succès. Départ de Bennu en mars 2021, arrivée sur Terre, le 24 septembre 2023.

La mission MMX de la JAXA. Crédit : JAXA

La mission MMX de la JAXA

La mission MMX, acronyme de Martian Moons Exploration, est une mission consacrée à Phobos et à Mars. Elle a pour but de ramener sur Terre un échantillon du sol de Phobos, un des deux satellites martiens, sur lequel on se pose d’ailleurs beaucoup de questions.

Lancement prévu en septembre 2024. La sonde comprend 3 modules, 7 instruments principaux et un rover de surface fourni par le CNES et la DLR s’inspirant de Mascot.

Pourquoi s’intéresser à Phobos ?

On en sait très peu sur ce micro-satellite de Mars :

  • Est-il capturé ? ou
  • Le résultat d’un impact ?

Les échantillons recueillis devraient lever le doute. On sait que sa densité est faible, 1,87 et qu’il est poreux. Les Japonais ont prévu tout un système complexe d’opérations au sol associé à une étude de l’atmosphère Mars. Le retour étant prévu pour 2028. C’est une mission très ambitieuse, on leur souhaite un succès aussi important que pour Hayabusa2

Conclusion

Les astéroïdes font partie des objets les plus primitifs de notre Système solaire, c’est la raison pour laquelle il faut les étudier. Certains peuvent nous menacer et de nouvelles techniques doivent être mises au point pour les dévier d’une possible rencontre avec notre planète. Il faut donc favoriser toues les missions d’études de ces objets.

Compte rendu fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur son site web .