Compte rendu de la conférence mensuelle du 8 septembre 2021

L’atmosphère des planètes terrestres : une évolution divergente

Conférence donnée par Thérèse Encrenaz, astrophysicienne LESIA, Observatoire de Paris-PSL

Crédit : ESA – Thomas Reiter

Thérèse Encrenaz est astrophysicienne au LESIA (Laboratoire d’études spatiales et d’instrumentation en astrophysique), elle participe aussi activement à la vie de la SAF.

Remarque liminaire :

La Division des sciences planétaires de l’American Astronomical Society décerne le prix Gerard P. Kuiper 2021 à Thérèse Encrenaz, directrice de recherche émérite CNRS à l’Observatoire de Paris – PSL, pour ses contributions exceptionnelles au domaine des sciences planétaires. Ce prix lui est attribué en reconnaissance des progrès réalisés dans la compréhension des atmosphères planétaires grâce à ses techniques pionnières, ainsi que pour avoir permis des recherches importantes grâce à son rôle de leader, principalement au Laboratoire d’Etudes Spatiales et d’Instrumentation en Astrophysique (LESIA) de l’Observatoire de Paris, pendant quatre décennies.Thérèse Encrenaz a fait progresser la science atmosphérique vénusienne en mesurant et en analysant la variation de l’abondance de l’eau et du dioxyde de soufre au sommet des nuages.

Outre ses recherches, Thérèse Encrenaz a joué un rôle de premier plan dans plusieurs missions spatiales, notamment en tant que Mission Scientist pour l’Observatoire infrarouge spatial (ISO) et en tant que co-investigatrice de missions telles que Vega, Galileo, Mars Express, Venus Express et Rosetta. Elle a largement diffusé la science planétaire auprès du grand public en écrivant une vingtaine de livres de vulgarisation scientifique.

Le thème de ce soir est justement celui qui a justifié ce prix : « l’atmosphère des planètes terrestres » et pourquoi ont-elles divergé dans leur évolution ?

PlanèteVénusTerreMars
Distance au Soleil

0,72 ua1 ua 1,52 ua
Pression au sol90 bars1 bar6 mbar
Température au sol

457ºC15ºC-50ºC
Caractéristiques principales

Atmosphère dense

Nuages de H2SO4

Surface volcanique

Atmosphère équilibrée (N2 O2)

Nuages de vapeur H2O

Océans eau, continents

Tectonique plaques

Magnétosphère

Atmosphère très ténue (CO2)

Calottes pôles (CO2 H2O)

Volcans canyons

Désert glacé

Ces trois planètes ont eu certainement des conditions initiales semblables mais une évolution divergente, pourquoi ? Près du Soleil, les éléments solides sont ce que l’on appelle des réfractaires, ils vont donner naissance aux planètes telluriques. Loin du Soleil, dans ce milieu froid, les éléments solides sont plutôt des glaces (d’eau, de méthane etc..) ils vont servir à former les noyaux des planètes géantes gazeuses.

 Les années 1960/70 l’exploration de Mars et de Vénus
L’exploration de Mars
Malgré de nombreux échecs, les missions Mariner 9 et Viking sont des succès retentissants qui font progresser la connaissance de Mars. Viking avec ses trois expériences à bord indique qu’il n’y a aucune trace de vie. La NASA abandonne Mars pendant 20 ans. Mais finalement les Américains reprennent l’exploration de Mars, on y découvre des traces d’anciennes rivières, des relèvements pris en orbite montrent où se trouve l’eau (la glace en bleu) grâce à Mars Odyssey. Puis arrive l’ère des robots martiens, des rovers principalement.
Curiosity (NASA) : Découverte d’un environnement « habitable » il y a moins de 4 milliards d’années (eau liquide, faible acidité, faible salinité, présence de nutriments)
En 2021: Perseverance (NASA), première étape d’un programme de retour d’échantillons martiens
2021: Zhurong (Chine, mission Tianwen 1)

L’exploration de Vénus
Ce sont surtout les Russes qui se sont beaucoup intéressés à Vénus avec les missions Venera qui se sont posées au sol dans les années 1960/70 et qui ont survécu pendant quelques heures à l’énorme pression (95 bars) et température (450°C). En 1989, la sonde US Magellan cartographie complètement (radar) la surface de Vénus. Concernant cette planète, de nombreuses questions restent en suspens.

  • La circulation atmosphérique : on a remarqué un vortex polaire.
  • Pourquoi un tel échauffement par effet de serre.
  • Le volcanisme est-il encore actif ?

Les missions Venus Express et Akatasuki ont tenté de répondre. Deux sondes de l’ESA ont survolé Vénus cette année 2021. En juin 2021, l’ESA a sélectionné la mission EnVision pour retourner vers Vénus.

Vénus, la Terre et Mars, des différences notables

Si Mars et Vénus ont des surfaces très différentes, leurs atmosphères sont similaires : CO2 principalement. C’est la Terre qui se différencie des deux autres avec :

  • Une atmosphère différente : N2 et O2.
  • Une tectonique des plaques.
  • Une magnétosphère protectrice.

Mais il existe des points communs entre ces planètes quand même :

  • Vénus et la Terre ont des masses et volumes proches.
  • Mars et la Terre ont la même obliquité, donc des saisons similaires.
  • Les trois planètes ont une circulation atmosphérique similaire.
  • Présence d’un volcanisme passé.

L’atmosphère primitive des planètes terrestres
On pense qu’au départ, les atmosphères de ces planètes possédaient toutes CO, CO2, N2 et H2O (mais pas O2). Sur Terre le CO2 a été piégé par les océans, c’est la grande différence. Le CO2 se dissout bien dans l’eau (devient carbonate), les carbonates se déposent au fond des océans. La tectonique des plaques fait passer ces carbonates sous les continents et ressortent recyclés par les volcans. Le cycle recommence. H2O devait être présent sur Mars au début (et probablement sur Vénus aussi) de sa formation, et la grande question est : où est passée l’eau ?
Un traceur qui peut nous permettre d’essayer de répondre à cette question : le rapport D/H. Le rapport D/H, rapport entre la quantité de deutérium (isotope de l’hydrogène avec un neutron de plus dans le noyau) et l’hydrogène « normal » (seulement un proton dans le noyau, donc deux fois moins lourd que D), donne une indication de l’origine de l’eau (l’eau peut être soit H20 soit HDO, eau semi-lourde ; soit D2O, eau lourde ; où un ou deux D a remplacé un H) dans le système solaire. Or il semble que l’enrichissement de l’eau en deutérium soit antérieur à la formation du système solaire, il ne s’effectue que dans le milieu interstellaire froid.
Le rapport D/H est un marqueur des zones froides du système solaire (10 à 30K), s’il est élevé, cela signifie que le corps dont il est issu provient des zones froides (extérieures) du disque proto planétaire. Donc on s’attendrait à avoir un D/H plus grand pour les comètes que pour les planètes géantes, car formées plus loin. Pour information, la nébuleuse solaire (mesuré dans l’atmosphère de Jupiter) a un D/H de 2 10-5 soit près de 10 fois inférieur au D/H terrestre. Référence pour le système solaire : D/H des océans terrestres 1,56 10-4 (valeur VSMOW : Vienna standard mean ocean water).
Il semble aussi que l’eau ait été très abondante dans l’atmosphère primitive de Vénus. Une grande partie de H2 présent s’est échappé, le reste forme le fameux H2SO4 des nuages. H2 se trouve donc en faible quantité dans les nuages, ce qui est montré par un D/H important. D, plus lourd s’échappant moins vite que H. Mars à l’origine possédait aussi certainement de l’eau, comme on le voit sur les photos prises par les sondes en orbite martiennes. Manifestement un liquide a coulé !

Osuga Valles sur Mars, prise par la HRSC sur Mars Express. Crédit : ESA/DLR/FU Berlin

On trouve aussi des vallées de débâcle et des zones de ruissellement. On a aussi cherché le D/H de Mars. Le D/H de l’atmosphère martienne est environ 6 fois plus important que sur Terre. L’eau très présente aussi, s’est très vite échappée dans l’espace dû à la faible gravité et à l’absence de champ magnétique, laissant ainsi agir le vent solaire. L’enrichissement du D/H est dû à l’échappement différentiel de H par rapport à D (plus lourd). Il reste de l’eau (glace) sous la surface, surtout près des pôles. Même si on trouve épisodiquement de la saumure sur Mars, l’eau a bien disparu. Il y a peut-être eu un océan boréal sur Mars (zone bleue de l’hémisphère N, plus bas que le S). C’est sur ces potentielles rives que l’on pose le plus de sondes automatiques. Mars Odyssey avait déjà détecté de l’eau sous les pôles.
Mais une nouvelle histoire de l’eau sur Mars est en train de s’écrire grâce à l’instrument Omega à bord de Mars Express, c’est Jean-Pierre Bibring qui l’écrit et qui nous révèle la présence d’argiles (philosilicates). Ils ne peuvent se former qu’en présence d’eau (chaude) et présente pendant suffisamment longtemps. C’est là qu’il faut chercher d’éventuelles traces de vie. Comme les récents rovers, Curiosity, nous indique la présence d’un lac passé, un endroit possiblement « habitable », mais pas de trace de vie encore !

Le paradoxe du Soleil jeune
Mais au début de son histoire, la Terre, il y a 4 milliards d’années, était illuminée par notre jeune Soleil, qui était 30% plus faible qu’aujourd’hui ; c’était comme si la Terre était 16% plus éloignée que maintenant. Elle aurait dû être complètement glacée, et pourtant on sait qu’il existait à cette époque de l’eau liquide. Pourquoi ? Par quel miracle ? À cette époque, Vénus aurait pu avoir un océan d’eau liquide, mais toute trace a disparu et sur Mars, l’eau aurait dû être gelée.
Pour la Terre, l’explication est trouvée : En fait, le climat s’est ajusté à la diminution du flux solaire, grâce au bénéfique effet de serre. C’est ce que l’on appelle le paradoxe du Soleil faible ou jeune. En effet, le Soleil émettant moins de lumière, la Terre devrait être couverte de glace. Mais on pense que les gaz à effet de serre (CO2) dus à la grande chaleur de la Terre primitive, ont compensé cette diminution d’intensité solaire. On pense qu’il y a eu stabilisation du climat par le cycle carbonate / silicate. Le CO2 se dissout bien dans l’eau (devient carbonate), les carbonates se déposent au fond des océans. La tectonique des plaques fait passer ces carbonates sous les continents et ressortent recyclés par les volcans. Le cycle recommence. Les gaz à effet de serre les plus efficaces : la vapeur d’eau (H2O), le méthane (CH4) et le CO2. Sur Mars, on pense qu’au début, le climat devait être froid et sec avec des épisodes chauds. Le dégazage par volcanisme et impacts pourrait avoir apporté de l’eau et former des vallées.

Les grandes lignes de la divergence
Sur Vénus
Sur cette planète, on peut dire que l’effet de serre a été galopant. Augmentation continue du flux solaire : => Évaporation des océans => Augmentation de l’effet de serre (CO2, H2O) => Dissociation de l’eau => Échappement de l’hydrogène =>Augmentation du rapport D/H
Resurfaçage global par volcanisme : => Dégazage de CO2 (+ SO2 + H2O) => Alimentation de l’effet de serre.
Le réchauffement de la surface était un obstacle à l’apparition de la vie, a-t-elle migré vers les nuages ? Récemment on a annoncé la découverte de phosphine (PH3) dans les nuages de Vénus. Cela pouvait indiquer une certaine forme de vie possible, mais il semble bien que ce ne soit lié qu’à une activité volcanique.

Sur Mars

  • Masse Mars = 1/10 x Masse Terre
  • Un champ de gravité faible
    • un bombardement météoritique réduit
    • une atmosphère plus ténue
  • Une quantité réduite d’éléments radiogénique
    • une activité interne réduite
  • Dans le premier milliard d’années :
    • une activité interne réduite
    • une activité tectonique et volcanique
    • une atmosphère plus épaisse qu’aujourd’hui

Les différentes ères géologiques martiennes :

Noachien
Noachien
Hespérien
Hespérien
Amazonien
-4,5 Ga-4 Ga-3,5 Ga-3 Ga-1 Ga à aujourd’hui
Formation du noyau
Dynamo active
Vallées ramifiées
Dépôts sédimentaires
Grands bassins d’impact
Océan boréal ?
Formation Tharsis
Fin du LHB et de la dynamo
Océan boréal ?
Échappement atmosphère
Baisse volcanisme
Disparition de la vapeur d’eau

La Terre
La Terre a évolué entre ces deux planètes extrêmes.

  • La température au départ était négative, inférieure à 0°C, on risquait la glaciation.
  • Nombreux impacts météoritiques et épisodes volcaniques qui réchauffent l’atmosphère.
  • Les océans se forment vers -4,2 Ga, le CO2 est piégé et se transforme en CaCO3.
  • La vie microbienne apparait vers -3,8 Ga.
  • Puis la photosynthèse vers -3,4 Ga donnant naissance à
  • La période de la grande oxydation vers -2,4 Ga.
  • Jusqu’à -0,6 Ga épisodes glaciaires.
  • Vers -0,5 Ga formation de la couche d’ozone. Explosion du vivant (Cambrien).

En résumé, la Terre a bénéficié d’une position planétaire exceptionnelle, ni trop loin, ni trop près du Soleil, l’eau liquide était possible. De plus, la masse de la Terre était optimale, permettant magnétosphère, garder son atmosphère etc. Il semble qu’un facteur important ait aussi joué dans l’apparition et le maintien de la vie : la présence de la Lune, qui a stabilisé l’axe de la Terre. On rappelle que d’après les dernières connaissances, la Lune s’est formée suite à un impact avec un corps de la taille de Mars, environ 100 millions d’années après la formation du système solaire. Cela a été une chance pour notre planète.
En effet, ce gros satellite a permis de stabiliser l’obliquité de la Terre, qui sans cela aurait pu varier de façon erratique de 0° à 85°, rendant l’évolution de la vie difficile si ce n’est impossible. Actuellement l’inclinaison de 23° est optimale pour le maintien de la vie.
En résumé : la Lune stabilise les oscillations de l’obliquité de notre planète agissant ainsi comme régulateur climatique avec la succession régulière et permanente des saisons.
En effet la précession est un facteur important jouant sur l’insolation, la Lune a empêché le passage par des résonances chaotiques qui auraient certainement rendu la vie sur Terre profondément différente. Merci la Lune ! La stabilisation de l’obliquité de Mars ne s’est pas produite comme pour la Terre, ce qui a certainement entraîné aussi des conséquences.

Conclusion : le rôle de l’eau et de l’effet de serre
Sur Mars, on est au niveau du point triple, l’eau se sublime, elle ne peut pas exister à l’état liquide. L’effet de serre a été bénéfique sur Terre et a permis d’échapper à la glaciation permanente. La Terre possède ainsi un climat tempéré, favorable à la vie. Par contre l’effet de serre s’est emballé sur Vénus, causant la température énorme de surface. Donc, un effet de serre modéré est bénéfique, attention qu’il ne s’emballe pas sur notre planète, conséquences principalement des activités humaines.

Ce compte rendu a été fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur son site web.