Compte rendu de la conférence de la SAF du 14 juin 2017

LA FUSION NUCLÉAIRE TIENDRA-T-ELLE SES PROMESSES ?

QU’APPORTERONT ITER ET LE LASER MÉGA JOULE ?


Conférence donnée par Jean-Marc Ané

Chargé de mission “Études des réacteurs à fusion”, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA)

Contrairement aux réacteurs nucléaires actuels qui fonctionnent sur le principe de la fission nucléaire (on brise les noyaux en deux parties et cela fournit de l’énergie) qui produit des déchets radioactifs de très longues périodes, le projet ITER consacre à l’opération inverse, la fusion de noyaux, qui elle aussi produit de l’énergie et beaucoup moins de déchets hautement radioactifs.

La réaction de fusion du deuterium et du tritium

La réaction la plus rentable est celle entre deux isotopes de l’hydrogène : le Deutérium (D contient un proton et un neutron) et le Tritium (T contient un proton et deux neutrons).
fusion-reaction1Il faut vaincre les répulsions électriques et pour cela atteindre des températures de l’ordre de 200 millions de degrés ! Cette fusion D-T, produit un noyau d’hélium (He contient 2 protons et 2 neutrons) et de l’énergie. En effet dans cette réaction, le résultat (He) est moins massif que ses constituants, un peu de masse a disparu, c’est elle qui apparaît sous forme d’une énergie libérée dans la réaction. Un neutron est aussi émis pour équilibrer la réaction, et c’est lui qui emporte 80% de l’énergie produite. Cette réaction nécessite une température de fusion énorme, 10 fois plus que celle nécessaire pour le Soleil. C’est une réaction presque analogue (en fait dans le Soleil c’est la fusion H-H directe) qui est produite au sein du Soleil (et des étoiles en général), c’est la source de l’énergie que nous recevons sur Terre.

La fusion magnétique

C’est ce qui se passe dans le Soleil. Il y a piégeage du plasma. On va faire la même chose, en créant un anneau de plasma confiné par un champ magnétique. Le cœur de cet anneau, c’est un tokamak (le nom vient du russe et signifie chambre magnétique toroïdale, signalons qu’Andreï Sakharov y a participé). C’est donc une chambre à vide torique dans laquelle circule des plasmas. Elle sert à générer la fusion nucléaire, la chaleur (200 millions °C) produite par la fusion étant recueillie pour fournir de l’électricité. Pour démarrer la machine, il faut aussi fournir de l’énergie, l’idée d’ITER est que la puissance dégagée soit supérieure à la puissance fournie. Ce serait donc une énergie « gratuite » si l’on veut, mais on en est encore loin ! À l’intérieur la pression magnétique est de l’ordre de 100 atm mais la pression du plasma est de l’ordre de la pression atmosphérique. Le Tokamak d’ITER mesure 29m de haut et 28m de diamètre et sa masse avoisine les 23.000 tonnes. Ce devrait être le plus grand tokamak du monde.
Ce réacteur nécessite plusieurs millions d’Ampères. Le volume d’ITER est de 1000m3 et il contient 1g de plasma seulement ! Il existe de nombreux modèles de réacteurs, passés et futurs ;  il semble que l’évolution des performances soit relativement lente. L’étape suivant ITER serait le réacteur de 5000MW appelé pour le moment DEMO.

ITER1

Le chantier d’ITER

ITER est un réacteur de recherche civil permettant d’étudier la mise au point de la fusion nucléaire. C’est un démonstrateur technologique devant prouver la faisabilité technique de cette nouvelle forme d’énergie. Il devrait être suivi d’autres étapes. La collaboration ITER est internationale : ses membres sont l’Union européenne, l’Inde, la Russie, la Chine, la Corée du Sud, le Japon, les États-Unis et la Suisse. Elle a été crée en 2007 et son siège est à Cadarache dans le sud de la France. La construction est en cours et devrait être achevée vers 2019. Le budget actuel (il a souvent été dépassé) est de 19 milliards d’euros. Le siège a été aussi l’enjeu d’un long débat politique. La puissance prévue pour ITER est de 500MW, en principe supérieure à celle nécessaire à l’entretien de la réaction (120MW), c’est là tout l’enjeu de l’aventure. Le site Iter mesure 400m de large et 1km de long. Il va contenir 39 bâtiments. Le bâtiment principal où se trouvera le tokamak mesurera 60 mètres de haut avec des fondations de 17 mètres de profondeur où se trouveront les plots parasismiques qui protégeront le tokamak des secousses ainsi que les bâtiments auxiliaires. On espère pouvoir à terme maintenir la réaction de fusion pendant plusieurs dizaines de minutes, le record pour le moment étant de 6minutes pour le Tore Supra français du CEA.

La fusion inertielle

La fusion magnétique nécessite le confinement parfait d’un plasma de 200 millions de degrés sans contacter les parois, sous peine de disparaître. Si on y arrive c’est la voie royale. Par contre, il existe une autre possibilité de fusionner des atomes (D-T) en les confinant dans des petites billes sur lesquelles des Laser vont tirer des faisceaux très intenses. Là aussi un plasma va se former. C’est la voie inertielle.C’est ce à quoi s’emploient notamment le Laser Méga Joule (LMJ) de Bordeaux et le Laser du National Ignition Facility (NIF) à Livermore aux USA. Des Lasers vont donc faire imploser des cibles parfaitement sphériques contenant le mélange D-T, celui-ci est extrêmement froid (-250°C) afin d’avoir un meilleur rendement. La cible est dans le vide et est visée par des lasers intenses et de très courte durée. L’intérieur devient un plasma très chaud et fait imploser l’ensemble, les réactions de fusion nucléaire peuvent démarrer. Plus d’une centaine de faisceaux Laser convergent vers la minuscule cible ; ce qui va résulter pendant une nanoseconde une température de quelques centaines de millions de degrés et permettra ainsi la fusion de D et T; l’énergie résultante sera ensuite libérée. Le LMJ est aussi un outil pour tester l’arme nucléaire, alors que les essais nucléaires ne sont plus autorisés.

La fusion , une énergie sûre,  propre et non-proliférante ?

Les combustibles de la fusion :
D + T  —> He + n
D : 25 g/m3 d’eau de mer, pas de T sur Terre

Le Tritium n’existant pas sur Terre, il faut le fabriquer à partir du Li6 (0,7 g/m3 d’eau de mer) : n + Li —> T + He

ITER est un réacteur auto-régulé passif. Le seul problème : le Tritium (période 12, ans) peut pénétrer dans l’eau qui devient radioactive. Il y a donc nécessairement une détritiation des déchets.
Les neutrons peuvent rendre radioactifs les parois du réacteur, le Tritium étant aussi absorbé par les parois. Par contre, il ne peut pas se produire d’emballement nucléaire (réaction en chaîne), la quantité de plasma est si faible et le moindre incident de fonctionnement mène à l’arrêt automatique. La fusion est un vrai défi pour les matériaux utilisés à cause notamment des contraintes thermiques.

Conclusion

La fusion nucléaire est :

  • Une ressource inépuisable (eau des océans)
  • Est-ce l’énergie du futur ?
  • Pas de réactions en chaîne
  • Peu de combustible utilisé : 1g pour magnétique, 1mg pour inertielle
  • Peu de gaz à effet de serre
  • Peu de pollution
  • Attention aux déchets du tritium même si vie courte
  • Usage militaire comme sous-produit