Commission de cosmologie : compte rendu de la réunion du 15 juin 2019

EXPLORER L’UNIVERS PRIMORDIAL AVEC QUBIC

Conférence donnée par Jean-Christophe HAMILTON

L’instrument QUBIC. Crédit : Collaboration QUBIC

Jean-Christophe Hamilton est directeur de recherches au CNRS (IN2P3), il travaille au laboratoire d’Astro Particules et Cosmologie (APC) de Paris 7. Il est responsable de l’expérience QUBIC, sujet de sa conférence. Il donne aussi des cours de cosmologie moderne à Paris 7.

L’étude de la polarisation du fond diffus cosmologique donne accès aux fluctuations de densités produites bien avant le découplage matière-rayonnement (380.000 ans après le Big Bang).
Avant la recombinaison, les photons n’étaient pas en mesure de voyager librement à travers l’univers, car ils se dispersaient constamment sur les électrons libres. Cette dispersion entraînait une perte d’information, et « il y a donc une barrière de photons à un certain redshift » près de celle de la recombinaison qui nous empêche d’utiliser des photons directement pour en apprendre davantage sur l’univers lors de décalages plus importants.
Une fois que la recombinaison commence, le chemin libre moyen des photons augmente en raison du nombre inférieur d’électrons libres. Après la recombinaison, le libre parcours moyen du photon est devenu plus grand que la longueur de Hubble, et les photons peuvent voyager librement sans interagir avec la matière.
Pour cette raison, la recombinaison est étroitement associée à la dernière surface de diffusion, qui correspond à la dernière fois où les photons du fond diffus cosmologique ont interagi avec la matière.
Cependant, ces deux événements sont bien distincts. Le découplage matière-rayonnement se produit vers une température de 3000 K à un redshift de 1100 (380.000 ans après le big-bang) sur une certaine épaisseur (delta z = 80 correspondant à environ 50 000 ans)
Mais la recombinaison commence vers un redshift de 1500 (220.000 ans après le big-bang) pour finir vers un redshift de 1000 (vers 430.000 ans après le big-bang).
Le rayonnement du fond diffus cosmologique (CMB) correspond à un rayonnement de corps noir à 3000 K émis 380.000 années après le big bang. Ce rayonnement s’est ensuite refroidi à la suite de l’expansion de l’Univers et correspond actuellement à une température de 2.728 K (T = 3000 K / redshift = 1100).
L’observation du CMB donne dans un premier temps un dipôle correspondant essentiellement au mouvement de notre galaxie par rapport au CMB (auquel on doit ajouter le mouvement du système solaire dans notre galaxie et de la Terre autour du soleil) via l’effet Doppler. Après soustraction du dipôle, les fluctuations du CMB de l’ordre de quelques dizaines de microkelvins sont mesurables.
La carte du CMB permet de calculer son spectre de puissance correspondant à la décomposition spectrale via la transformée de Fourier de la fonction de corrélation à deux points de la carte de température (liée à la densité de matière). Les régions rouges de la carte correspondent par convention aux régions les plus chaudes et donc les plus denses (qui formeront par la suite les grandes structures de l’univers) lors de l’émission du rayonnement 380.000 ans après le big bang.
Le modèle cosmologique permet d’expliquer plusieurs milliers de points de mesures indépendants avec moins de 10 paramètres. Les fluctuations en température de la carte du CMB ont été produites après l’inflation jusqu’au découplage du rayonnement avec la matière. Elles résultent, en partant du spectre primordial (juste après l’inflation), des oscillations acoustiques de la matière baryonique (matière normale) ainsi que de la géométrie de notre univers.
Le modèle ΛCDM (Lambda Cold Dark Matter) est maintenant bien établi et correspond au modèle standard de la cosmologie.
Il est composé de 3 termes différents :
•        Le terme Λ (Lambda) décrit la constante cosmologique qui est associée à l’énergie noire.
•        Le terme CDM (Cold Dark Matter) décrit la matière noire froide. Le terme « dark » (« sombre ») signifie qu’elle interagit très peu avec la matière normale. Le terme « cold » (« froid ») signifie qu’elle se déplace à une vitesse faible par rapport à la vitesse de la lumière.
•        La matière baryonique qui compose la matière visible.
La polarisation du fond diffus cosmologique permet d’accéder à d’autres informations. La décomposition de la polarisation en paramètre de Stokes peut être faite sous la forme de deux paramètres : mode E (en référence au champ électrique qui peut avoir une composante divergente et aussi rotationnelle non nulles) ou mode B (en référence au champ magnétique qui ne peut avoir qu’une composante rotationnelle non nulle).
Les variations de densité dans le plasma primordial provoquent des motifs de polarisation (diffusion Thomson dans un plasma hétérogène) en forme d’anneaux ou en étoiles (modes E). Ces modes E ont été détectés en 2002.
Ces mesures démontrent que la géométrie de l’Univers est presque plate (c’est-à-dire presque euclidienne), plutôt que courbée (qui obéirait donc aux lois de la géométrie riemannienne, par exemple). Elles permettent de conclure à l’absence de cordes cosmiques qui se seraient formées lors d’une transition de phase (résultant d’une brisure spontanée de symétrie) dans l’univers primordial en tant que composantes majeures de la structure cosmique, et suggèrent que l’inflation cosmique explique mieux la formation de cette structure.
Par contre, les ondes gravitationnelles ne peuvent produire que des modes B (tourbillons orientés gauche ou droite). Les ondes gravitationnelles sont compressées lors de leur déplacement dans l’espace. Cette compression produit un motif distinct sur le fond diffus cosmologique. Tout comme les ondes lumineuses, les ondes gravitationnelles ont également une « chiralité » (préférence gauche ou droite) et peuvent avoir des polarisations droitières ou gauchères.
Les perturbations scalaires correspondent aux oscillations acoustiques de la matière baryonique et ne produisent pas de polarisation en mode B contrairement aux perturbations tensorielles.
Les polarisations en mode B peuvent avoir deux origines cosmologiques :
–        Les ondes gravitationnelles primordiales prédites par les modèles d’inflations cosmologiques (non encore observées – recherche en cours)
–        Les lentilles gravitationnelles produites sur l’émission du CMB entre 380.000 ans et maintenant (observées en 2013)
Les modes B peuvent être contaminés par une composante non cosmologique venant des poussières entre les étoiles de notre galaxie (fausse détection de l’expérience BICEP2 en 2014). Les modes B déjà détectés ne permettent pas de séparer les effets provenant des lentilles gravitationnelles et de la poussière interstellaire. Les modes B sont difficiles à observer à cause :
·         La sensibilité nécessaire le signal est de l’ordre de 10nK sur un fond de 3K, cela va nécessiter des détecteurs particulièrement sensibles.
·         Des avant-plans astrophysiques, n’oublions pas la fausse alerte de BICEP2
·         Des effets systématiques qui vont nécessiter une modulation de la polarisation.
L’interférométrie bolométrique permet de combiner la bonne sensibilité des bolomètres et un bon contrôle des effets systématiques avec les interféromètres. C’est le but premier du projet QUBIC, acronyme de QU Bolometric Interferometer for Cosmology, qui doit déterminer les anisotropies du CMB par méthodes interférométriques utilisant des bolomètres. QUBIC est une collaboration internationale de 6 pays et de 22 laboratoires dont des labos français. Le site d’observation choisi est situé à 5000m d’altitude en Argentine et pas loin de l’Atacama.
Les détecteurs sont des bolomètres analogues à des capteurs de température, ils nécessitent un refroidissement puissant, car c’est aux alentours de 0,1K qu’ils sont le plus sensibles. L’interférométrie bolométrique est une nouvelle technologie très prometteuse. QUBIC devrait combiner les avantages de l’interférométrie et de l’utilisation de capteurs bolométriques.
Il comporte 2048 bolomètres de 3mmx3mm fabriqués en France à Orsay. Ils sont lus par multiplexage et les signaux dirigés vers un microprocesseur de leur fabrication. Les signaux issus des deux canaux sont envoyés sur des miroirs puis dirigés vers les 400 cornets (horns) de détection. QUBIC opère dans deux gammes de fréquences : 150 GHz et 220GHz.
L’intégration de l’ensemble a été effectuée en 2018. Le détecteur est en cours d’étalonnage. Les premiers tests montrent que l’instrument se comporte comme attendu.
Qubic est un spectro imageur synthétique, la spectro-imagerie à bandes étroites devraient permettre de soustraire plus facilement la composante produite par la poussière interstellaire. Le réseau de cornets permet d’avoir une multiplicité des lignes de base pour calibrer l’instrument. Les émissions venant des molécules d’eau dans notre atmosphère sont bien en dehors de la bande passante comme attendu. Vers fin 2019, la première lumière de l’instrument devrait avoir lieu et des prises de données s’étalant sur 2-3 ans pour accéder à une sensibilité sigma(r) = 0,01 qui sera poussée à 0,001.

Conclusion
QUBIC est un nouveau concept d’instrument dédié à l’étude de la polarisation du CMB et à la physique de l’inflation.
·         Très sensible avec ses 2048 bolomètres
·         Spectro-imageur à deux bandes 150 et 220 GHz
·         L’intégration est terminée
·         Les premiers résultats attendus en 2019

Compte rendu fait par Olivier Laurent et Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation de Jean-Christophe Hamilton en pdf sur le site web de Jean-Pierre Martin.

Crédit : ESA / Collaboration Planck