Compte rendu de la conférence de la SAF du 11 janvier 2019

L’EXOBIOLOGIE : OÙ ET COMMENT CHERCHER LA VIE DANS LE SYSTÈME SOLAIRE ?

Conférence donnée par Caroline FRESSINET

Astrobiologiste au LATMOS

Crédit NASA

© Jean-Pierre Martin

Chercher la vie, c’est d’abord comprendre la vie sur Terre. Et il semble bien qu’un évènement ait eu une importance capitale : le grand bombardement tardif (LHB pour Late Heavy Bombardment en anglais). Il s’est passé un événement cataclysmique vers les 3,9 milliards d’années (3,9 Ga), qui a effacé toutes traces des anciennes roches (la Lune date comme la Terre de 4,5 Ga).
Qu’est ce qui a pu causer une telle débauche de bombardement météoritique au moins dans cette partie du système solaire interne ? Il y a eu un pic de bombardement de matière. Ce pic se situe vers les 3,9 Ga. C’est un événement global qui a duré de 50 à 150 millions d’années. Le taux de bombardement cosmique (un impact d’un corps de 1 km tous les 20 ans pour la Terre) devait être près de 20 000 fois plus important que le taux actuel.
Avant ce bombardement le système solaire était différent. Ceci n’est possible que si un changement dans la structure orbitale des planètes géantes s’est produit ; un réservoir de petits corps (restes de la formation du Système solaire) est devenu alors instable. C’est le fameux modèle de Nice mis au point par A. Morbidelli et ses collègues de l’Observatoire de la Côte d’Azur.
L’exobiologie c’est l’étude des origines, de la distribution et de l’évolution des structures moléculaires et des processus liés à l’apparition de la vie. Comment passe-t-on des molécules simples aux molécules prébiotiques et enfin aux molécules biologiques complexes ? Comment peut-on rechercher les traces de vie, les biosignatures ? Ensuite, comprendre le phénomène d’habitabilité, quelles sont les conditions nécessaires à la vie ?

Le cas de la planète Mars
Mars est très oxydante, c’est ce qui a faussé les interprétations des sondes Viking des années 1976. Curiosity a pris la suite pour étudier les traces d’eau et l’habitabilité. C’était un gros rover (900 kg) avec près de 10% de sa masse en instruments scientifiques (notamment français SAM et ChemCam). Il s’est posé dans le cratère Gale datant d’environ 3,5 milliards d’années (Ga) (datation isotopique). Il a parcouru 20 km depuis son arrivée en août 2012.
L’instrument SAM (Sample Analysis at Mars) a procédé à de nombreuses analyses de forages martiens effectués par Curiosity et notamment au site appelé Cumberland.
On a détecté les premières molécules organiques martiennes contenant aussi du Cl et S dans ce site.
Les dernières mesures indiquent que Gale Crater était dans le passé un lac d’eau douce et que cette région de Mars était habitable (vers 3,8 Ga). Comme le signale Carole Freissinet, l’analyse sur le terrain est une partie essentielle de son activité comme on le voit sur cette photo lors d’une expédition au Spitzberg pour collecte d’échantillons « martiens ».
On cherche justement sur Terre des analogues martiens. On en trouve dans :
• Les météorites de type Murchison et
• Dans le désert d’Atacama ou
• À Hawaï dans certains terrains particulièrement arides (JSC Mars 1 regolith) ou
• Dans le Spitzberg (Svalbard)

Le cas de la planète Jupiter
Jupiter est une planète géante possédant plus de 60 lunes. Certaines d’entre elles sont particulièrement intéressantes. Europe, notamment ! La surface de ce satellite de Jupiter est jeune (absence de cratères) donc en perpétuelle évolution. -220°C !
Sa surface ressemble à des icebergs ou à une banquise. On y trouve des crevasses causées par les forces de marée. Il y a également de l’émission de geysers au-dessus d’une grande faille (zone chaude) ; l’océan se répand en surface. Une couche de glace de quelques dizaines de km se situe à 3 km de profondeur
On a détecté un léger champ magnétique signifiant probablement un océan interne salé de plusieurs centaines de km d’épaisseur (plus d’eau que les océans terrestres).  La chaleur interne est le produit des forces de marée. Récemment : découverte de molécules organiques simples à sa surface. Y aurait-il des niches « habitables » là où l’eau chaude remonte ? En tous cas, certainement une chimie très complexe.
Plusieurs missions vers Europe sont prévues : Europa Clipper (NASA) et Juice (ESA). La mission Europa Clipper de la NASA s’intéresserait particulièrement à l’étude de la surface d’Europe et de son océan. Le LATMOS devrait y participer.

Le cas de la planète Saturne
Saturne est aussi une planète géante possédant au moins une soixantaine de satellites.
Parmi ceux-ci deux sont intéressants : Encelade et Titan. Concernant Encelade : C’est la sonde Cassini qui a mis au jour un phénomène extraordinaire à propos de ce satellite de Saturne (500 km) :
– Son pôle Sud possède des rayures (griffures du Tigre) qui émettent des geysers d’eau salée contenant aussi des organiques et de la silice.
Ces zones sont aussi beaucoup plus chaudes (-80°C) qu’aux alentours (-120°C), pourquoi?
Il y aurait une énergie interne due aux forces de marée (friction) qui favoriserait l’eau liquide et expulserait des geysers par un phénomène similaire à ce que l’on observe sur Terre. La cause de cette chaleur interne : Les forces de marée qui déforment les satellites trop proches comme un ballon de rugby. Cela provoque un échauffement interne : transformation de l’énergie mécanique en chaleur. Y aurait-il aussi des cheminées hydrothermales ? On le pense. Cet océan d’eau salée, riche en H, semble potentiellement habitable. La couche de glace aurait plusieurs km d’épaisseur.

Le cas de Titan
Titan est un corps rocheux glacé possédant une atmosphère d’azote ainsi qu’une chimie organique complexe. Titan possède aussi des lacs de méthane, des cryovolcans ; c’est un monde similaire à la Terre, où le méthane remplace l’eau et la glace les roches.
Titan contiendrait une couche d’eau liquide entre deux couches de glace comme on le voit ici. Il existe un projet de la NASA (non encore totalement financé) pour explorer Titan : Dragonfly (Libellule en français) C’est un projet révolutionnaire mené par le Dr Elizabeth Turtle du JHUAPL. Signalons que Caroline Freissinet fait partie de l’équipe. Comme Titan possède une atmosphère épaisse (1,5 bar, un peu plus que sur Terre) et une gravité plus faible (1/7), c’est l’idéal pour un corps plus lourd que l’air genre drone ou hélicoptère.
C’est une sorte de drone qui peut voler de site en site.
On pense pouvoir explorer ainsi une zone de plusieurs centaines de km de Titan.
Son énergie électrique ne peut être fournie à cette distance là du Soleil que par un générateur isotopique.
Planning prévisionnel : lancement 2025, arrivée Titan 2034, durée nominale mission sur Titan : 2 ans.
Dragonfly sera équipé de nombreux instruments, comme :
• DraMS (Dragonfly mass spectrometer) spectro de masse
• GCMS (Gas Chromatography Mass Spectrometry) nature et origines des organiques
• LDMS (Laser Desorption Mass Spectrometry) nature et origines des organiques
• DraGNS (Dragonfly Gamma-Ray and Neutron Spectrometer) spectro gamma et neutrons
• DraCO (Drill for Acquisition of Complex Organics) échantillonnage de la surface (forage)

Cet article est basé sur le compte rendu détaillé de Jean-Pierre Martin, disponible ICI.

Crédit image : Jean-Pierre Martin