Euclid : l’exploration du côté sombre de l’Univers

Ça y est, enfin, le 1er juillet 2023 la sonde Euclid sensée s’intéresser à la matière sombre et l’énergie noire a décollé de Cape Canaveral à bord d’une Falcon 9. Une vue d’Euclid dans la coiffe de la fusée Falcon. Lancement parfait, que nous avons vu en direct et dont je publie quelques captures d’écran. Grande émission télé sur ESA-TV avec de nombreux scientifiques de la mission (voir les vidéos plus loin).

Quelques captures d’écran du lancement. La dernière photo montre l’arrivée du premier étage sur la barge de récupération.

On peut revoir ce lancement avec la vidéo suivante :
Version courte : https://dlmultimedia.esa.int/download/public/videos/2023/07/001/2307_001_AR_EN.mp4
ou : https://youtu.be/S_oJcqXty4c (6 min)

L’interview des scientifiques (1h30) en anglais, par l’ESA :
https://dlmultimedia.esa.int/download/public/videos/2023/07/003/2307_003_AR_EN.mp4
Version longue : https://youtu.be/NIwvwYVUuxg

Revenons aux fondamentaux, en quelques mots simples :

La matière noire c’est quoi ?
En quelques mots simples, en étudiant les galaxies, on s’est aperçu que les étoiles les plus externes étaient toujours liées à leur galaxie, et qu’elles tournaient très vite. Or la faible masse des étoiles visibles ne pouvait pas retenir la dispersion de ces étoiles, elles auraient dû être éjectées. Comme ce n’était pas le cas, on en a déduit qu’il existait une masse invisible de matière qui entourait ces galaxies. On l’a appelé matière noire ou sombre (dark en anglais). On ne connait pas la nature de cette matière qui représente quand même près de 25% en masse/énergie de l’Univers.

L’énergie noire c’est quoi ? 
Que savait-on ; depuis sa naissance il y a 13,8 milliards d’années, l’Univers entre en expansion (Hubble l’a prouvé), mais nous sommes tous soumis à la loi de la gravitation qui attire les corps entre eux. Il n’était donc pas absurde de se poser la question de savoir si à un moment donné, la gravitation prendrait l’ascendant sur l’expansion. D’où dans les années 1990 l’idée de mesurer l’état de l’expansion, en principe il devrait ralentir suite à l’effet de la gravitation. Las ! Les différentes mesures montrèrent que ce cette expansion au lieu de décélérer, accélérait ! Il existait donc une mystérieuse force ou énergie qui semblait étirer l’Univers encore plus. Faute de mieux on la baptisa énergie noire. On ne sait rien aussi de sa nature, bien qu’elle représente près de 70% de la masse/énergie de l’Univers. C’est à la suite de ces deux mystères que la mission Euclid a été élaborée.

La mission Euclid c’est quoi ? 
C’est une collaboration internationale : 1600 scientifiques, 250 laboratoires, 17 pays dont 14 européens membres de l’ESA. France (1er contributeur) : 350 scientifiques soutenus par le CNES, le CNRS (INSU/IN2P3), le CEA, et des universités et observatoires de Grenoble, Lyon, Marseille, Nice, Paris et Toulouse.
La mission Euclid doit donc mesurer des effets physiques infimes de l’énergie sombre et de la gravitation sur :
• l’histoire de l’expansion et
• l’histoire de la formation des structures.

À cet effet il faudra observer l’évolution de la distribution et la structuration tridimensionnelle à grande échelle de :
• la matière noire et
• des galaxies.
Depuis aujourd’hui, jusqu’à la période de transition où la matière noire dominait l’énergie sombre.
On va donc observer l’évolution de la matière noire et des galaxies, et on va essayer de se situer par rapport à l’époque de la transition (période où la matière noire dominait l’énergie sombre) déjà évoquée. Quelle est l’origine de cette expansion de l’Univers ? Des effets infimes vont devoir être mesurés, et il faudra donc construire de nouveaux outils et établir le protocole de nouvelles expériences.

Il va falloir avec ce télescope spatial :
• faire de l’imagerie dans le visible et dans l’IR et effectuer des spectres,
• et ceci sur tout le ciel extragalactique,
• mesurer les formes et les distances de 2 milliards de galaxies grâce à l’effet de lentilles gravitationnelles et
• mesurer la distribution de 30 millions de galaxies en fonction du temps par spectroscopie et mesure de redshift.

À quoi ressemble Euclid ?
C’est un télescope de 1,2m de diamètre, le maître d’œuvre est Airbus Defense & Space à Toulouse, en liaison avec Thales. Le télescope en carbure de silicium (SiC) devra fonctionner dans des conditions de froid extrême autour de 100 kelvins (-170°C). Il s’appuie sur l’expertise de pointe d’Airbus dans la technologie du carbure de silicium pour l’espace, qui a déjà fait ses preuves en orbite sur les missions Herschel et Gaia de l’ESA. Il va fournir la lumière à deux instruments :
• un imageur dans le visible (VIS) et
• un spectro imageur dans l’infrarouge (NISP).
Ces deux instruments sont développés par un consortium européen et sont sous la responsabilité scientifique de Yannick Mellier, chercheur à l’IAP.

Le lancement était prévu par une fusée Soyuz-Fregat depuis Kourou, mais les évènements d’Ukraine ont changé la donne. C’était une Falcon 9 de SpaceX depuis la Floride.

  • Placé sur une trajectoire autour du « point de Lagrange L2 ».
  • Opération pendant au moins 6 à 7 ans.
  • Masse : 2 tonnes.
  • Flux de données 850 Gb/24h.
  • Coût du projet : 1 G€.

Les relevés d’Euclid
(d’après le site de la mission)

  • Observer 1/3 de la voute céleste (15 000 deg2) en 6 ans, avec les instruments visible VIS et infrarouge NISP d’Euclid.
  • Détecter plus de 10 milliards de galaxies, distribuées sur 10 milliards d’années-lumière (73% des 13,8 milliards d’années de l’histoire de l’Univers).
  • Mesurer avec des précisions impossibles sur Terre.
  • Les effets de lentille gravitationnelle de la matière noire sur 1,5 milliards de galaxies (imagerie VIS).
  • Mesurer les BAO (Oscillations acoustiques baryoniques).
  • Les distances (redshifts) de 30 millions de galaxies lointaines (spectroscopie NISP).
  • Construire la distribution 3D des galaxies et de la matière noire par tranche de temps.
  • Caractériser la nature de l’énergie sombre avec une précision 30 fois plus élevée qu’aujourd’hui.
  • Construire une mine d’or de données pour toute l’astrophysique.

Jean-Pierre Martin
Président de la Commission de Cosmologie