Lina Hadid est chercheuse au Laboratoire de Physique des Plasmas (LPP) de l’École Polytechnique à Palaiseau. Elle a travaillé sur les missions Cassini, Juice, Solar Orbiter et est co-Investigator sur BepiColombo sur la partie MIO.
La planète Mercure
C’est la planète la plus proche de notre Soleil, donc difficile à voir. Elle est plus petite que la Terre, mais plus grande que notre Lune. C’est une planète tellurique qui possède d’étranges propriétés au point de vue orbital. En effet, son jour 176 jours terrestres) est plus long que son année 88 jours terrestres. Cela est dû à un phénomène de résonance avec le Soleil. En effet, Mercure effectue 3 rotations sur elle-même quand elle fait 2 fois le tour du Soleil, elle est en résonance orbitale 3/2. Son orbite est aussi très excentrique (très elliptique), ce qui amènent des différences de température énormes entre les points les plus près et les plus éloignés du Soleil 700K à 550K. D’autre part Mercure possède un noyau ferrique énorme par rapport à sa taille, il représente 85% de la planète alors que sur Terre, c’est seulement 55%. Pourquoi ? C’est un des mystères de Mercure. On voit bien sur ce graphique que Mercure est hors de la courbe. De même, Mercure ne possède pas d’atmosphère significative, mais seulement une exosphère. Sa densité est très élevée par rapport à sa taille (5,3).
Image extraite de la présentation de Linda Hadid. Crédit : Kennet R. Lang, Tufts University
Le transit de Mercure
Le plan de l’orbite de Mercure est incliné de 7° sur l’écliptique (plan de l’orbite terrestre). En conséquence, tous les 23 ans mercuriens en moyenne, Mercure passe entre le Soleil et la Terre. C’est ce que l’on appelle un transit. Ce phénomène rare (très rare en ce qui concerne Vénus, tous les 110 ans) a joué un rôle très important en astronomie. Il a permis à l’aide d’un calcul élémentaire de mesurer en absolu le Système solaire. L’étude des transits va lever le voile sur l’immensité de l’espace. Edmund Halley, (celui de la comète) jeune astronome anglais, assiste au transit de Mercure en 1677 dans l’hémisphère sud (Île de Ste Hélène). Cela va lui donner une idée géniale qu’il publiera beaucoup plus tard.
Les premières observations de Mercure
Mariner 10
Une sonde interplanétaire est lancée vers Vénus et se met en orbite de telle façon qu’elle passe près de Mercure tous les 2 ans mercuriens, la première fois en 1974. Cette trajectoire originale est inventée par un savant Italien Giuseppe (Bepi) Colombo. Elle nous rapporte les premières images de sa surface. Mercure ressemble beaucoup à la Lune, on découvre un énorme bassin d’impact, le bassin Caloris. Le champ magnétique de Mercure est beaucoup plus faible que celui de la Terre, comme on le voit sur ce diagramme. Son origine est comme pour la Terre, dû au noyau semi liquide qui provoque un effet dynamo. Le champ est près du « bow shock », il induit alors une magnétosphère.
Image extraite de la présentation de Linda Hadid
Messenger
Mariner 10 a été suivie longtemps après par Messenger. Sélectionné en 1999, ce sera le grand retour vers Mercure après les années 1974-75 de Mariner 10 .Lancement en Mars 2004 pour mise en orbite autour de Mercure en 2011. Équipé d’un bouclier de protection, Messenger effectue une cartographie complète de la planète. Elle étudie son noyau et son exosphère. Elle se concentre aussi sur son champ magnétique. Messenger découvre de la glace au fond de certains cratères qui ne sont jamais éclairés par le Soleil, principalement au Pôle Nord.
Image extraite de la présentation de Linda Hadid. Crédit : NASA
Les dépôts de glace sont en jaune. La température au fond de ces cratères (5km de profondeur) est de l’ordre de -200°C. On remarque que les cratères sont nommés en l’honneur d’artistes Russes. La région du pôle Sud, certains cratères sont aussi dans une ombre éternelle et devraient contenir une énorme quantité de glace.
Mercure rétrécit au cours du temps, depuis sa formation, elle a perdu 7 km. Cela donne naissance à des « craquelures » à sa surface. La surface est riche en substances volatiles.
Une autre découverte étrange de Messenger, le rapport K/Th. Voici le rapport K/Th par masse des planètes telluriques. Le Potassium (K) est un volatile, alors que le Thorium ne l’est pas, il est réfractaire. Ce rapport K/Th est une indication des processus d’évaporation. Ce rapport pour Mercure est du même ordre de grandeur ou même plus important que pour les autres planètes telluriques, alors que l’on aurait pu penser que si près du Soleil, les volatils se seraient échappés depuis longtemps. Encore un mystère.
Image extraite de la présentation de Linda Hadid. Crédit : NASA
L’origine de Mercure
Mercure contrairement à la Lune, ne serait pas formé lors d’un impact géant. On pense qu’elle se serait formée dans le disque protoplanétaire.
Quelques questions en suspense
· Où et comment s’est formé Mercure ?
· Est-ce qu’il y a vraiment de l’eau glacée sur Mercure ?
· Est-ce que Mercure est toujours actif ?
· Pourquoi Mercure possède un champ magnétique ?
· Quelle est la composition exacte de son atmosphère ?
On compte beaucoup sur la mission BepiColombo pour apporter quelques réponses.
La mission BepiColombo
L’ESA et la JAXA (agence spatiale japonaise) mettent au point un projet très ambitieux : BepiColombo appelé ainsi en honneur du professeur Colombo. Ce projet comporte 2 orbiteurs :
- Le MPO (Mercury Planet Orbiter) en orbite basse pour photo et étude (ESA).
- Le MMO (Mercury Magnetosphere Orbiter) pour analyser les particules (JAXA).
Crédit : ESA/JAXA
L’originalité de cette mission réside dans la propulsion de cet engin, elle combine 3 types de propulsions :
- Moteur ionique (croisière) comme Deep Space 1
- Propulsion chimique (mise en orbite)
- Assistance gravitationnelle
Lancement le 20 octobre 2018 avec une Ariane 5 depuis Kourou. Voyage de 6 ans !
Voici une vue d’ensemble des éléments :
Image extraite de la présentation de Linda Hadid. Crédit : ESA
Deux orbiteurs pour une parfaite couverture spatiale et temporelle. Conformément à la tradition japonaise, le module MMO développé par l’Agence spatiale JAXA est rebaptisé après son lancement et reçoit le nom de MIO, que l’on pourrait traduire par « vaisseau éclaireur ». On peut voir sur cette illustration (originale de la Planetary Society) le parcours complexe de la sonde.
Vidéo ESA : Launch to Mercury
En complément
Pour cette mission particulièrement complexe, Ariane 5 a libéré BepiColombo de l’orbite terrestre pour le placer sur sa trajectoire de transfert dans le système solaire vers Mercure en lui communiquant une vitesse absolue de 10,99 km/s (39 570 km/h), soit 1,15 km/s (4140 km/h) de plus que pour l’orbite habituelle de transfert vers la position géostationnaire. Cette mission profite de la première application de l’augmentation de débit du moteur Vulcain 2 (+ 2,25%), décidée dans le cadre de l’amélioration de la performance du lanceur Ariane 5 ECA. L’un des défis les plus importants à relever est la gravité considérable exercée par le Soleil, ce qui rend particulièrement difficile l’insertion d’un véhicule spatial sur une orbite stable autour de Mercure. En effet, il faudra constamment exercer un freinage afin de garder sous contrôle la trajectoire en direction du Soleil, tandis que les 4 propulseurs ioniques (au Xénon) du MTM fourniront la faible poussée requise durant de longues séquences de la phase de croisière. Il y aura en tout 9 assistances de prévues afin d’arriver avec la bonne vitesse autour de Mercure.
Parmi les instruments, il y a de nombreux instruments français à la fois sur MPO et sur MIO :
Images extraites de la présentation de Linda Hadid. Crédit : ESA
En conclusion
Mercure, planète peu connue, peut nous permettre de découvrir les secrets de la naissance du Système solaire. Pourquoi une telle densité ? Le noyau de Mercure est-il solide ou liquide ? Explication du fort champ magnétique ? Activité tectonique éventuelle ? Les volatils, pourquoi autant ? Il faut attendre les réponses de cette prochaine mission.
Compte rendu fait par Jean-Pierre Martin, secrétaire de la Commission de Planétologie. La présentation de Lina Hadid (en format pdf) est disponible sur le site web de Jean-Pierre Martin, planetastronomy.com.