Commission de planétologie : compte rendu de la réunion du 20 février 2021

Le programme lunaire chinois automatique et habité

Conférence à distance de Philippe Coué, spécialiste espace

Chang-e-5 : panorama au pied de l’atterrisseur. Crédit : CNSA/CLEP

L’exploration lunaire avec les sondes Chang’e
Le programme lunaire chinois est assez ancien, il a démarré officiellement en 2003. C’est l’Académie des sciences chinoise qui gère les missions. Un logo a été créé par le CLEP (China Lunar Exploration Program) qui représente un dragon en bleu et des traces de pas indiquant ainsi la finalité de ce programme. Chang’e est la déesse chinoise de la Lune. La Chine possède un réseau d’antennes réparties sur tout son territoire et outre-mer.

Chang’e-1 : le premier
La Chine a lancé avec succès le 24 octobre 2007 son premier satellite d’exploration lunaire. Le satellite Chang’e a été propulsé par un lanceur Longue Marche 3-A depuis la base de Xichang, dans le Sichuan (sud-ouest). Le lancement de cette sonde, dont l’une des missions est de prendre des photos en trois dimensions du relief lunaire, s’inscrit dans l’ambitieux programme spatial chinois qui a pour objectif l’envoi d’un homme sur la Lune vers 2020. La sonde se place en orbite lunaire à 200 kilomètres au-dessus de la Lune vers le 5 novembre. Les premières photos arrivent  suivies d’une cartographie lunaire.

Chang’e-2 : un démonstrateur
C’est un démonstrateur technologique pour préparer la mission Chang’e-3 (atterrissage sur la Lune). Cette sonde de 2500 kg a été lancée vers la Lune le 1er octobre 2010 avec une fusée Longue Marche 3C. En deux semaines elle se met en orbite basse autour de la Lune à 100 km d’altitude ; sa mission est de photographier les futurs sites d’atterrissage (dont Sinus Iridum de Chang’e 3). Par moment l’altitude est abaissée à 15 km pour avoir plus de détails. Résolution des photos de l’ordre de quelques mètres. Une cartographie complète de la Lune est effectuée.

Chang’e 2, après avoir survolé la Lune et photographié les futurs sites d’atterrissage et possédait encore du carburant, les scientifiques Chinois l’ont dirigée, à partir d’avril 2011, vers le point de Lagrange L2 (atteint en août 2011) avant de l’envoyer dans l’espace interplanétaire à la recherche d’un astéroïde, en l’occurrence, Toutatis. Elle le survole en décembre 2012 à 3 km d’altitude et le prend en photo couleur. Aux dernières nouvelles elle fonctionne toujours. Pendant ces 6 mois en orbite lunaire, la sonde a imagé la presque totalité de notre compagne, avec des points forts à haute résolution comme les futurs sites d’atterrissage. La résolution est comparable à celle des Lunar Orbiter (1 m par pixel).

Chang’e-3 : atterrisseur et rover
La Chine est vraiment en phase de rattrapage des Américains et des Russes ; elle a réussi le 1er décembre 2013 à lancer sa fusée Longue Marche 3B depuis le centre spatial de Xichang (sud-ouest de la Chine) avec sa charge utile, la sonde Chang’e 3 comportant un rover lunaire baptisé Lapin de Jade.

Cette fusée à 3 étages, mesure plus de 56m de haut pour un diamètre de 3m. c’était le lanceur le plus puissant de la série Longue Marche. Le satellite est placé correctement sur une orbite de transfert, il s’est ensuite élancé vers la Lune et il a atteint l’orbite lunaire le 6 décembre à 100 km d’altitude.

L’atterrissage de la sonde de plus d’une tonne, est pour le 14 décembre 2013 à 15 h 25 TU. La zone prévue est la Baie des arcs-en-ciel (Sinus Iridum) au nprd-ouest de la Mer des Pluies, cratère de 250 km de diamètre entièrement rempli de lave basaltique.

L’atterrissage est un véritable exploit. En effet, depuis 1976 (date de l’atterrissage du dernier Luna soviétique) aucune sonde lunaire n’avait atterri en douceur avec un rover. Descente guidée avec rétrofusées s’allumant à 15km d’altitude. Le lander est équipé de détecteurs d’obstacles qui devrait l’aider à se poser dans un endroit relativement sûr. Il est équipé d’un générateur thermoélectrique pour fournir la puissance nécessaire à cette mission qui devrait durer 3 mois. On transmet le premier panorama lunaire vu du lander

Mais la nouveauté c’est le rover, le fameux Lapin de Jade (Yutu) de 140 kg, alimenté par panneaux solaires. Yutu est équipé de divers instruments de mesure, notamment un spectromètre X (APXS) qui permet de déterminer la composition des roches qu’il examine. Sa résolution est une des meilleures pour ce genre d’instrument. Le 25 décembre 2013, Yutu a pris son premier spectre aux alentours du point d’atterrissage. À priori, c’est un basalte tout à fait ordinaire. Le rover a cessé de fonctionner en 2015.

Il paraîtrait que c’est cette roche que le rover a heurtée, et qui a causé sa panne. Crédit : Crédit : CNSA/CLEP

Chang’e-5 Test : une répétition
La Chine vient de démontrer encore une fois son intérêt pour la Lune avec cette mission « surprise » : le vaisseau spatial pour tester la future mission Chang’e-5 a été lancé le 23 octobre 2014 pour un voyage circumlunaire. Elle est en principe une répétition pour la vraie sonde Chang’e-5 qui doit ramener des échantillons lunaires sur Terre.

Les scientifiques chinois ont donc testé avec succès les techniques d’orbite lunaire (survol à 12 000 km de la surface et prise de photos) et de rentrée dans l’atmosphère à grande vitesse (11 km/s), contrairement aux capsules revenant de l’ISS ou d’une orbite terrestre basse (< 8 km/s). La capsule a parfaitement fait le tour de la Lune et a été récupérée (en fait la partie prévue pour rentrer sur Terre) en Mongolie Intérieure le 31 octobre. La capsule ressemble à la capsule Shenzhou en plus petit. Ils en ont profité pour tester avec succès la trajectoire de rentrée dans l’atmosphère terrestre.

C’est un énorme succès pour les ingénieurs de l’Empire du Milieu (la signification de la Chine en chinois) car peu de nations sont capables d’un tel exploit. Cela augure bien pour des missions futures. Sur le chemin du retour, la sonde prend une photo de la Lune et de la Terre.

Chang’e-4 : l’exploit : la face cachée
La Chine a lancé un satellite de communication (baptisé Queqiao) au point de Lagrange L2 du système Terre-Lune en mai 2018. Pourquoi ? Pour servir de relais à un robot qui devrait se poser au début de 2019 sur la face cachée de la Lune, Chang’e-4. Celui-ci devrait ressembler à son petit frère Chang’e-3 sur la Lune depuis décembre 2013. En fait, Chang’e-4 a été lancé le 7 dec 2018 et placé en orbite lunaire le 13. Comme son jumeau, il comprend un atterrisseur (1 200 kg) et un rover (120 kg). Le site choisi est le cratère Von Karman dans le bassin Aitken, un très grand et très ancien cratère lunaire. Il est situé près du Pôle Sud lunaire. C’est la première mission sur la face cachée de la Lune ! Énorme succès chinois.

Chang’e-4 est équipé de plusieurs instruments, notamment :

  • Un spectromètre visible et IR VNIS (Visible and Near-Infrared Imaging Spectrometer).
  • Un radar à pénétration LPR (Lunar Penetrating Radar).
  • Un spectromètre radio basse fréquence LFS (Low Frequency Radio spectrometer).
  • Un détecteur de neutrons LND (Lunar Lander Neutrons and Dosimetry).
  • Un détecteur de particules neutres ASAN (Advanced Small Analyser for Neutrals).

La face cachée est très différente de la face visible. On le sait maintenant après les différents satellites en orbite lunaire comme LRO. Elle comporte beaucoup plus de cratères et très peu de « mers ». On pense que c’est dû au fait que la croûte est plus épaisse et que les cratères d’impact ne se rebouchent pas facilement avec la lave du sous-sol à cause de l’épaisseur.

La date choisie pour l’atterrissage correspond à la période où le Soleil éclaire au maximum le cratère. Mais la sonde emmène aussi un générateur isotopique (RTG) pour les périodes non ensoleillées. C’est ce jeudi 3 janvier 2019, quelques heures après avoir posé avec une maitrise extraordinaire la sonde Chang’e-4 sur la face cachée de la Lune, exactement là où on voulait la mettre, dans le cratère Von Karman, que les Chinois ont fait sortir leur rover pour commencer à examiner les environs.

Les trois antennes de communication de 5 m de diamètre situées sur l’atterrisseur avaient été déployées. Le relais avec Queqiao fonctionnait parfaitement. C’est un engin imposant, similaire à celui qui est déjà sur la face visible, de 1,5 m de haut pesant 140 kg et possédant 6 roues. Comme son confrère de la face visible, il a été baptisé Yutu-2 (lapin de Jade 2).

En plus de ses instruments, Chang’e-4 était pourvu d’un mini labo, une mini biosphère comprenant six espèces comme du coton, des pommes de terre, du colza, des mouches etc…

Les scientifiques chinois d’une vingtaine d’universités ont conçu cette biosphère (de 18 cm par 16 cm environ), ils avaient bon espoir aussi de produire des fleurs (un genre de fleur moutarde) sur la Lune. Cette sphère était régulée en température et équipée de mini caméras. Des plantes ont réussi à germer et le coton à produire. Mais le froid venu (-170°C), ces plantes ont été déclarées mortes.

Chang’e-5 : le retour d’échantillons
La Chine avait depuis longtemps pour projet de ramener des échantillons de la surface de la Lune (dernière mission similaire en 1976 avec une Luna soviétique) ; ce serait la mission de Chang’e-5 en 2020.

L’atterrissage se produit le 1er décembre 2020 et il est parfaitement réussi. L’ensemble s’est posé comme prévu dans l’Océan des Tempêtes (Oceanus Procellarum) situé dans la partie Ouest de la surface visible. On a visé la région du Mont Rümke, qui semble faire partie des terrains « jeunes » (un peu plus d’un milliard d’années seulement), et ainsi différents des échantillons déjà ramenés par les Apollo.

Ensuite, il s’est mis au travail, il a copieusement creusé le terrain et rempli le porte-échantillons. Les prélèvements ont été transportés dans le conteneur de retour et scellés. Les échantillons concernent à la fois des prélèvements de surface et les forages de 2 m de profondeur.

L’ensemble Chang’e-5 (de plus de 8 tonnes) est composé de 4 parties :

  • Un atterrisseur.
  • Un orbiteur.
  • Un module d’ascension.
  • Et un module de service et de retour.

Après le recueil d’échantillons (au moins 2 kg) dans le module d’ascension, il était prévu un rendez-vous automatique en orbite lunaire et arrimage avec le module de rentrée avant un retour sur Terre avec rentrée à grande vitesse. La collecte étant terminée, le module d’ascension a quitté le sol sélène pour une mise en orbite six minutes plus tard.

Le 6 décembre 2020 a eu lieu le rendez-vous avec le module de rentrée dans lequel il devait transférer ses échantillons. Opération inédite pour nos amis chinois, effectuée avec succès.

Différentes manœuvres de modification d’orbite ont lieu avant le départ vers la Terre le 13 décembre 2020. Après séparation avec l’orbiteur, la capsule de retour est ralentie par l’atmosphère en rebondissant dessus (phase délicate car la capsule peut partir vers l’infini, mais cette phase avait été répétée avec une mission précédente) et se pose en Mongolie Intérieure le 17 décembre 2020 (heure de Pékin). Elle est rapidement récupérée par les équipes au sol.

Chang’e-6 : le futur
Il semblerait que la prochaine mission lunaire soit un retour d’échantillons du Pôle Sud, soit de la face visible soit de la face cachée. Ce serait une mission similaire pour la sonde à Chang’e-5. Un lancement est prévu en 2023/2024. Les Français devraient participer à cette mission en fournissant un instrument (Dom) pour analyser la présence de radon sur la Lune.

Et après ?
Très spéculatif.

Chang’e-7 : exploration d’un cratère polaire pour confirmer la présence de glace. 2026 ?

Chang’e-8 : à définir, 2028. La Chine devrait commencer à préparer une base lunaire habitable, peut-être avec la Russie.

Les vols habités lunaires

Il est certains que des Chinois s’installeront sur la Lune. Il y a deux scénarios possibles.

  • Scénario 1 : type Apollo, mission complète, lanceurs lourds. Nécessite un lacneur lourd CZ9.
  • Scénario 2 : version plus légère mais rapide, de façon à peut-être à battre les Américains. Deux astronautes seulement et un mini LEM.

Si le scénario 1 ressemble presque trait pour trait aux anciennes missions Apollo, intéressons-nous au scénario 2 qui permettrait de gagner du temps. Voilà ce à quoi pourrait ressembler une telle mission.

En orbite à 300 km d’altitude de la surface lunaire :

  • Le module de commande deux fois plus grand que Shenzhou.
  • La station orbitale lunaire.
  • Le module d’alunissage pour deux astronautes.

Ce scénario permettrait certainement aux Chinois d’être sur la Lune pour 2030 ou même avant. Le module de commande appelé aussi vaisseau de nouvelle génération a déjà effectué son premier vol. Les Chinois prévoient d’établir une base lunaire près d’un des pôles (probablement le Sud). Ce serait une base pour 3 à 6 personnes, pour des séjours de quelques mois. Comme pour les Américains et les Européens, de nombreux problèmes restent à résoudre !

À suivre….

Philippe Coué, s’intéresse au programme lunaire chinois depuis 1982, il en devenu un grand spécialiste. Ses derniers ouvrages :

  • La Chine veut la Lune chez A2C Media
  • Shenzhou, les Chinois dans l’espace chez l’Esprit du Temps (vous le trouverez dans la boutique de la SAF)
  • Le legs du programme Apollo chez l’Harmattan

Ce compte rendu a été fait par Jean-Pierre Martin, vice-président de la Commission de Planétologie. Vous trouverez des informations supplémentaires sur son site web.

Revoir la conférence de Philippe Coué :