Compte rendu de la conférence mensuelle du 9 juin 2021

Le mystère Van den Bergh ou le secret de la fécondité des galaxies

Conférence donnée par David Elbaz, directeur scientifique du département d’astrophysique du CEA Saclay CEA/IRFU

David Elbaz, que nous connaissons bien à la SAF où il a déjà donné des conférences, est astrophysicien, directeur scientifique du département d’astrophysique (DAP) du CEA Saclay. Ce département est au sein de l’IRFU.

David commence sa conférence par une analogie : vous voulez faire le tour de la planète avec votre vieille voiture et juste un bidon d’essence. Vous allez me dire que ça n’est pas possible, c’est contre toute logique. Et pourtant, on va se rendre compte que la voiture a réellement fait le tour de la planète. Comment a-t-elle fait ? A-t-elle trouvé des points de ravitaillements sur le parcours ? Eh bien, c’est un peu au même problème que nous sommes confrontés en astrophysique. Les galaxies forment des étoiles, mais d’après les calculs, il y a longtemps qu’elles auraient dû épuiser leur carburant, et pourtant, des étoiles se forment toujours. Pourquoi ?

Image extraite de la présentation de David Elbaz

Il y a 10 milliards d’années, on notait près de 85.000 naissances d’étoiles par seconde, alors que maintenant, nous avons toujours un taux important de l’ordre de 10.000 naissances par seconde. (Pour des étoiles « typiques », en gros, moitié de la masse solaire). À cette époque, l’espérance de vie des étoiles était de 175 millions d’années. Il y a 9 Ga, elle était de 450 Ma. La naissance de la dernière étoile aurait dû se produire à la limite jaune en pointillée. Et pourtant !

C’est en 1957 qu’un astronome canadien, Sydney Van den Bergh, publie un article (Interstellar Gas and Star Creation) stipulant : « Si aucun approvisionnement extérieur n’est disponible, le gaz présent dans le voisinage solaire sera épuisé dans environ 700 millions d’années. » Alors pourquoi donc l’Univers continue-t-il à produire des étoiles ? Et depuis 1957, cette question fondamentale semble avoir été glissée sous le tapis.

En 1904, l’astronome allemand Johannes Hartmann en étudiant le spectre de Delta Orionis (binaire), remarque que la plupart du spectre est décalé, excepté les lignes du calcium. Il en déduisit ainsi que le Ca était présent dans le milieu interstellaire. Ce fut le début de l’identification des éléments composant le milieu interstellaire.

C’est dans la nuit du 23 mars 1895 que l’astronome américain Edward Barnard en pointant le centre de notre Galaxie, la constellation du Scorpion, qu’il remarqua après une très longue pose de sa caméra qu’une grande portion du ciel était toute noire.
On dirait un trou dans le ciel, mais c’est trompeur. On l’appellera la nébuleuse sombre du Serpent et, en l’honneur de Barnard, elle aura la désignation de Barnard 72. Ce serpent mesure plusieurs années lumières de long.

Image de la nébuleuse de Barnard en visible (à gauche) et en IR (à droite). Crédit : ESO

Mais la plus célèbre, est aussi baptisée en son honneur, c’est la nébuleuse sombre de Barnard ou Barnard 68. En fait c’est une zone très concentrée de matière. Le nuage bloque la lumière visible, ses milliers d’étoiles ne sont visibles qu’en IR, transparent pour la poussière interstellaire.

À partir de cette époque, on commence à s’intéresser aux régions soi-disant « vides ». Beaucoup de savants, sauf peut-être un certain Eddington. C’est l’astronome Robert Trumpler, qui en 1930, en étudiant différents amas d’étoiles et leur distance, remarqua que quelque chose atténuait la lumière de ces étoiles. Il en déduisit que des particules de poussières composait ce milieu interstellaire. Ces grains de poussières ont une taille qui permet la diffusion préférentielle des courtes longueurs d’onde, donc plus de bleu est enlevé de leur émission, et le rouge (et l’IR) est favorisé. Ces objets apparaissent plus rouges. On peut estimer le nombre de grains et en déduire leur masse : approximativement 1/5 de la masse de gaz des galaxies. Il apparaît donc que ce milieu interstellaire soit plus plein que le reste, serait-ce la source de ces rivières célestes ?

Où naissent les étoiles ?
À l’époque, on estimait l’espérance de vie des galaxies de l’ordre de quelques centaines de millions d’années. Où est l’erreur, où est le chaînon manquant ? On s’aperçoit progressivement que les galaxies, comme les étoiles présentent une « séquence principale ». Comme pour les étoiles, il existe donc une autorégulation entre la formation d’étoiles (équivalent de la gravité pour le diagramme HR) et quelque chose (équivalent à la fusion nucléaire des étoiles) qu’il nous faut trouver.

Image extraite de la présentation de David Elbaz

C’est un diagramme taux de formation d’étoiles (puissance lumineuse) versus masse des étoiles. Au centre, la séquence principale avec au-dessus d’elle, les zones les plus actives en formation d’étoiles, les galaxies à flambées d’étoiles (starburst galaxies), dont le taux est de plusieurs dizaines de fois celui de galaxie de la séquence principale. Mais ces galaxies à flambées d’étoiles épuisent leur nourriture, elles épuisent toute leur réserve de gaz. M82 est un exemple typique de galaxie à flambées d’étoiles.

Une galaxie de la séquence principale a par contre une durée de vie de plusieurs dizaines de milliards d’années. Alors que son carburant aussi semble être épuisé. D’où vient le ravitaillement ? Plus une galaxie contient du gaz, plus elle donne naissance à des étoiles. Pour cela, allons à Barcelone, voir le super calculateur Mare Nostrum, chargé de recréer l’Univers en simulation numérique. On s’aperçoit que les galaxies sont reliées par des filaments (cosmic web : toile cosmique) et ce sont ces filaments qui alimenteraient les galaxies. Ce seraient les stations-service qui nourrissent les galaxies.

La séquence principale du diagramme des galaxies, serait donc un équilibre entre l’épuisement des réserves de gaz des étoiles en formation et les réserves apportées par les filaments intergalactiques. Est-ce réel ou une illusion due aux simulations sur ordinateur ?
On sait que notre Univers est surtout dominé par des entités inconnues comme matière noire et énergie noire, le reste, environ 5% correspond à de la matière classique. Et parmi ces 5%, il y aurait 60 à 90% de ces atomes qui seraient indétectables. La quête de cette matière noire classique serait la clé du mystère Van den Bergh.

À l’aide de l’instrument Muse au VLT, on a pu mesurer des nuages d’Hydrogène ionisé autour des galaxies. Comme une réserve autour des galaxies qui n’attend que de les nourrir. Mais ce ne sont pas des filaments. Pour rechercher ces filaments, on va se servir de ces puissants phares que sont les quasars. Si leur lumière traverse des filaments, elle devrait être absorbée par les atomes des filaments. Ceci a été fait sur plusieurs dizaines de milliers de quasars. C’est une équipe chinoise qui vient de publier un article à ce sujet. Un filament aurait été détecté. Des filaments de matière reliraient les galaxies entre elles comme les racines avec les arbres.

Conclusion
Il y a trois échelles cosmiques :

· La toile cosmique, grandes structures sur des centaines de millions d’années.
· Les fleuves cosmiques ou filaments qui nourrissent la galaxie et lorsque la matière coule, elle agit sur la galaxie et la fait tourner. Cela pourrait résoudre l’énigme des galaxies spirales en rotation. Non seulement ils nourrissent la galaxie mais en la faisant tourner, ils s’opposent à la gravité empêchant la matière d’aller vers le centre et remplissent ainsi les espaces vides. Ces filaments ont une épaisseur de l’ordre de 10 à 100.000 al. Longueur de l’ordre du million d’al.
· Les rivières cosmiques à l’intérieur des galaxies à l’origine de la fertilité des galaxies. Longueur environ 10 à 100 al.

Mais alors comment expliquer que certaines galaxies deviennent stériles et meurent ? L’explication vient peut-être de leur masse et de leur voracité : les puits gravitationnels de ces galaxies sont très profonds et la matière qui tombe dedans ressort immédiatement.

Résumé simple et schématique : La fécondité des galaxies est liée au fait qu’elles ont des « stations-services » dans l’Univers, les filaments.


Image extraite de la présentation de David Elbaz

Ce compte rendu a été fait par Jean-Pierre Martin. Vous trouverez des informations complémentaires et la présentation en pdf sur son site web.