LA MISSION MARS INSIGHT : OBJECTIFS ET DÉFIS DU DÉVELOPPEMENT

Réunion de la commission de planétologie du 29 septembre 2018

I. Introduction par Jean-Pierre Martin, vice-président de la commission de planétologie).

Rappel de la mission InSight

InSight, c’est l’acronyme de Interior exploration using Seismic investigations, geodesy and heat transport. Elle est consacrée à l’étude de l’intérieur de la planète Mars. Elle est composée d’un atterrisseur fixe, véritable station géophysique, puisqu’elle comprend trois instruments :

  • Le SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure) pour étudier l’activité tectonique de la planète ; fourni par le CNES avec participations de l’Institut de Physique du Globe de Paris (IPGP), de l’ETH suisse, du Max Planck MPS, de l’Imperial College et du JPL, donc équipement international.
  • Le HP3 (Heat Flow and Physical Properties Package) pour mesurer les échanges de chaleur notamment, instrument fourni par l’agence allemande DLR.
  • Le RISE (Rotation and Interior Structure Experiment) doit mesurer les variations éventuelles de l’axe de rotation martienne, il est fourni par le JPL.

Les expériences menées par InSight doivent aboutir à nous en apprendre plus sur l’évolution des planètes rocheuses et notamment sur le processus d’évolution de Mars ; elle doit nous aider à la :

  • Détermination de la taille exacte du noyau et son état physique.
  • Détermination de l’épaisseur et de la structure de la croûte.
  • Détermination de la composition et de la structure du manteau.
  • Détermination de l’état thermique de l’intérieur martien et sa vitesse de refroidissement.
  • Mesure précise de l’activité sismique
  • Mesure du taux d’impacts météoritiques sur la surface.

InSight a été lancée le 5 Mai 2018 (avec deux ans de retard) pour un atterrissage le 26 Novembre. Durée de vie théorique : 2 ans. La sonde ressemble à Phoenix dont elle a un design similaire. Phoenix s’était posée dans la zone polaire Nord de Mars en 2007. Et comme c’est une mission « low cost » (moins de 500 millions de $), on fait du neuf avec du vieux ! Il restait de nombreux sous-ensembles de la mission Phoenix, elle-même une récupération de Mars Surveyor, on va les recycler et y ajouter quelques nouveaux instruments

La formation des planètes telluriques

Les corps rocheux du système solaire, gros et moins gros débutent par une phase d’accrétion, à l’état de poussières grâce aux forces électrostatiques puis ensuite la gravitation prend le relais pour atteindre des dimensions plus ou moins importantes (planètes, satellites ou astéroïdes).

La taille augmentant, l’intérieur se réchauffe et passe à l’état liquide ou pâteux (phase de différentiation), les éléments lourds étant précipités au cœur du noyau. Au cours du temps, ce corps se refroidit, une croûte se forme, un manteau, et une atmosphère aussi.

La plupart vont devenir des planètes telluriques comme Mercure, Vénus, la Terre et Mars, leur nombre ayant été probablement plus important au moment de leur formation. D’autres, moins gros, évolueront vers des corps moins complexes, comme des planètes naines ou des astéroïdes. Ces planètes telluriques sont similaires au point de vue structure, mais certainement pas identiques.

D’ailleurs une des grandes questions posées en planétologie est, pourquoi Vénus, la Terre et Mars étant situées plus ou moins dans la zone habitable du Soleil, ont elles suivi des chemins si différents ? Elles ont suivi des évolutions différentes dépendant de leur taille, densité, noyau liquide ou non etc. Enfin pourquoi Mars ne possède pas un système de plaques tectoniques ?

Pourquoi Mars ?

Si on s’est déjà intéressé à Mars, sa géologie (volcans, canyons, cratères) et à sa minéralogie de surface avec de nombreuses missions spatiales, aucune mission ne s’est encore intéressée à ce qu’il y a sous la surface. Cette mission doit étudier la structure interne de la planète rouge, étudier les processus de formation et en mesurer les paramètres physiques. On veut pouvoir étudier la « machine Mars », son activité, sa chaleur interne. A-t-elle toujours une activité sismique et volcanique ? Peut-on connaître l’état de son noyau, est-il encore liquide ?

Mars est aussi la planète tellurique la plus accessible et on commence à connaitre sa géologie et sa chimie. C’est une candidate idéale pour étudier l’évolution des planètes rocheuses, en effet, elle a conservé la trace de son passé sur sa surface, due à l’absence d’activité tectonique qui recycle la croûte dans le manteau comme sur Terre. Mars aurait débuté une phase d’évolution qui a avorté assez tôt. En fait, dans la mesure où la Terre et Mars ont connu à l’origine des conditions relativement similaires, on aimerait bien connaître les processus qui ont fait que la surface de Mars soit devenue rapidement un désert glacé. On espère que la mission Insight pourra apporter des réponses à toutes ces interrogations.

II. « La mission Mars InSight : objectifs et défis du développement »

Conférence d’Antoine Lecocq, responsable technique du sismomètre SEIS de la SODERN (Société d’études et réalisations nucléaires)

La société SODERN (ArianeGroupe) a développé le sismomètre embarqué sur la mission avec la coopération du CNES et de l’IPGP (Institut de Physique du Globe de Paris) notamment avec Philippe Lognonné, responsable de l’Équipe Planétologie et Sciences Spatiales. Philippe Lognonné est PI de l’instrument SEIS.

Le sismomètre SEIS est l’aboutissement d’un très long développement, qui s’est déroulé sur plus de 20 ans. Il était originellement prévu sur le lanceur russe de la mission Mars 96, qui a échoué. Au cours du temps le concept s’est amélioré. Il a été proposé pour des missions qui en définitive ont été abandonnées comme : Netlander en 2005  ; Retrofit 2010 ; Selene 2 en 2011… En 2010 appel d’offres de la NASA pour une mission Discovery qui va devenir Insight. En août 2011 Insight est retenue.

InSight devra déposer sur Mars un atterrisseur statique comportant deux instruments scientifiques : un sismomètre et un capteur de chaleur s’enfonçant jusqu’à 5m sous le sol. Ces deux instruments fourniront des données permettant de :

  • Déterminer la taille, la composition et l’état (liquide / solide) du noyau de Mars, de son manteau et de sa croute.
  • Mesurer l’activité sismique de Mars (quantité, magnitude et localisation des séismes).
  • Surveiller les impacts météoriques à la surface de Mars.
  • Évidemment l’amélioration principale viendra de l’activité sismique car elle n’est pas à ce jour vraiment mesurée. Une autre sera le flux de chaleur interne mesuré par l’instrument HP3.

L’instrument SEIS

L’étude sismique de Mars a été un des buts des missions Viking des années 1970, mais leurs sismomètres n’étaient pas assez performants et les résultats non conclusifs. On devrait pouvoir enregistrer les séismes martiens, les impacts d’astéroïdes ou les effets de marée pouvant être provoqués par Phobos. Sensibilité approx. : 10-9 de la gravité martienne.

Cet instrument est composé de plusieurs parties :

  • Une sphère en Titane avec 3 capteurs sismiques à très large bande (VBB) ou longue période ainsi que leurs capteurs de température. C’est le cœur de l’instrument, conçu par l’IPGP et réalisé par la société SODERN.
  • Trois capteurs sismiques à courte période (SP) et les capteurs de température correspondants, réalisées par l’Impérial College de Londres.
  • Une électronique avec le logiciel correspondant, réalisée par l’École Polytechnique de Zurich.
  • Un trépied support LVL permettant la bonne inclinaison une fois posé sur le sol, réalisé par l’Institut Max Planck de Planétologie de Göttingen
  • Un système de déploiement sur le sol WTS, du JPL.

Masse de la sphère VBB ~3 kg ; masse du système SEIS ( LVL+sphère+ SP) ~6 kg ; masse de l’électronique d’acquisition  ~6 kg.

Puissance de fonctionnement : 2 watts.

La sonde SEIS est isolée thermiquement et le vide est maintenu à l’intérieur. En plus, un bouclier WTS (Wind and Thermal Shield) fourni par le JPL est chargé de protéger les capteurs contre les variations thermiques extérieures et contre les vents martiens.

Principe de fonctionnement : Le principe du capteur sismique à large bande est basé sur l’utilisation d’un pendule oblique. Le ressort et la masse du pendule sont parfaitement équilibrés ; lorsque le sol bouge, le pendule commence à bouger, et ce mouvement est détecté par les capteurs de déplacement (DCS) qui transforment ce mouvement en signal électronique. Les trois capteurs pour les courtes périodes (SP) sont soit horizontaux soit verticaux, ils enregistrent les mouvements du sol grâce à une masse mobile se déplaçant dans un capteur.

Le déplacement de la masse est donné par la formule : X = m g / K

X = déplacement ; m = masse ; gamma = accélération ; K = raideur du ressort.

Une raideur faible (ressort extrêmement souple) est choisie pour les applications spatiales (afin d’avoir un grand X). La masse utilisée est de l’ordre de 400g.

Cet ensemble (VBB dans leur sphère et SP) est monté sur le système de déploiement et doit être parfaitement déposé sur le sol martien, c’est le rôle du bras articulé équipé de caméras (les Navcam des rovers), celles-ci doivent imager de façon stéréoscopique l’immédiat emplacement de la zone d’atterrissage afin de voir où vont être déposés les sismomètres et le détecteur de flux thermique HP3.

Les pendules du VBB : Chaque pendule est constitué de :

  • Une partie fixe.
  • Un pivot assurant une souplesse entre la partie fixe et la partie mobile. C’est le cœur du pendule.
  • Une partie mobile, dont le centre de gravité est décalé par rapport au pivot, équilibrée avec un ressort.
  • Un capteur capacitif de déplacement, situé entre les parties fixe et mobile du pendule.

Le pivot est la partie la plus importante du pendule. Il est constitué de lames ressort. Mécanisme fragile, constitué principalement de Titane. Il doit posséder une :

  • Grande souplesse suivant un axe de rotation
  • Grande raideur dans les autres degrés de liberté
  • Transmission des signaux électriques vers la partie mobile.
  • Il est rigide (hyperstatique) et sa course est limitée à quelques dizaines de microns. De nombreux essais et modifications ont été nécessaires.

Un des sous-ensembles critiques est le TCDM (Dispositif de compensation thermique), similaire à un ensemble de bilames. Le TCDM comporte 2 oreilles de ce type. Lorsqu’elles se dilatent, leur centre de gravité bouge horizontalement par rapport à la photo, ce qui permet de maintenir l’équilibrage du pendule malgré les larges variations de températures journalières sur Mars. Autre élément du TCDM, un motoréducteur permet de faire tourner les oreilles suivant leur axe et ainsi de choisir la direction dans laquelle le centre de gravité des oreilles se déplace, pour avoir la meilleure compensation thermique possible en fonction de la géométrie du pendule, des conditions de température sur Mars, etc.

Cette « optimisation » du fonctionnement du TCDM sera réalisée régulièrement (au moins une fois par saison) en utilisant un algorithme mis au point par l’IPGP.

Caractéristiques des pendules VBB :

  • Ils peuvent mesurer un déplacement de l’ordre de 10 picomètres (diamètre d’un atome d’hydrogène).
  • Gamme de température très large : – 105°C à + 120°C
  • Sous vide inférieur à 0,1 mbar
  • Réponse fréquentielle large : 0,25 à 200 secondes

L’ensemble est décontaminé à 100°C pendant deux semaines.

Une sphère de titane contient 3 pendules VBB. Cette sphère a pour but de :

  • Isoler les pendules de l’environnement martien.
  • Maintenir le vide nécessaire, des mini pompes passives (Getters) sont utilisées à cet effet. Garantie : 3 ans
  • Séparer thermiquement les pendules du reste de l’instrument.

Une opération délicate pour fermer hermétiquement la sphère : le queusotage : brasure du petit tuyau de fermeture. C’est un petit problème d’étanchéité qui a retardé le lancement de deux ans.

Ensuite, l’ensemble est envoyé au CNES pour assemblage à la plateforme. Ensuite, intégration sur la sonde InSight.

Une fois atterri sur le sol martien, les capteurs sismiques peuvent rester plusieurs jours sur la plateforme de l’atterrisseur, sans protection thermique.

III. Atterrissage de Mars InSight

Lancement de Vandenberg le 5 Mai 2018, pour arriver le 26 Novembre ; évènement à suivre en direct à la Cité des Sciences, organisé notamment par la SAF. Entrée libre mais il faut s’inscrire à partir du 15 Octobre.

Le site d’atterrissage : Comme pour la plupart des sondes martiennes doit être situé vers l’équateur pour un maximum d’ensoleillement.

  • Altitude la plus basse possible à cause des parachutes (plus d’atmosphère pour ralentir).
  • Un relief plutôt plat.
  • Un régolithe épais pour la pénétration du HP3.

Un site près du site de Curiosity a été choisi.

Cet article est basé sur le compte rendu détaillé de Jean-Pierre Martin, disponible ICI.