Compte rendu de la réunion de la commission de cosmologie du 14 avril 2018

ONDES GRAVITATIONNELLES ET TROUS NOIRS BINAIRES

Conférence donnée par Olivier Laurent 

Docteur en astrophysique
Illustration représentant les ondes gravitationnelles produites par deux trous noirs (Henze/NASA)

© Jean-Pierre Martin

Historique des ondes gravitationnelles
Les ondes gravitationnelles sont une déformation du tissu de l’espace-temps qui se propage à la vitesse de la lumière. Elles ont été prédites par Einstein en 1916. C’est une manifestation de la courbure de l’espace-temps. Elles sont engendrées par l’accélération de la matière. Une différence avec les ondes électromagnétiques (radio, lumière, IR etc..) qui sont des perturbations de ce champ électromagnétique, les ondes gravitationnelles sont des ondes de l’espace-temps lui-même.
Elles existent bien, cela a été découvert lors de la détection du pulsar binaire de 1974. Un pulsar est une étoile à neutrons en rotation rapide et qui émet des signaux radio analogues à un phare dirigé suivant le champ magnétique. Ce pulsar tourne autour d’une autre étoile, probablement une autre étoile à neutrons. Mais l’axe magnétique du pulsar n’est pas aligné sur l’axe de rotation (comme pour la Terre), ce qui donne des flashes réguliers, d’où le nom de pulsar (pulsating star). Parfois, les pulses radio peuvent ne pas être réguliers, il se produit un effet Doppler lors du mouvement de l’étoile à neutrons sur son orbite, et si sa vitesse est très rapide, il se produit des effets relativistes.
La période du pulsar de 1974 est de 59 ms, mais entachée de +/-2ms de variation due à la relativité. La précession de ces pulsars (approx 2°/an) est plus forte que celle détectée pour Mercure (43″/siècle) expliquée par la Relativité Générale (RG) d’Einstein. On pense que cela mènera à une coalescence dans 140 millions d’années. L’explication : le pulsar se déplace dans le champ de gravitation qui varie suivant la position sur l’orbite. Cela a valu un Prix Nobel de Physique en 1993 à R. Hulse et J. Taylor.

Détection des ondes gravitationnelles sur Terre
Il existe actuellement quelques détecteurs d’ondes gravitationnelles sur Terre, notamment les projets suivants :

  • VIRGO franco –italien en Italie (Pise)
  • LIGO américain à Hanford dans l’état de Washington

Il existe aussi un projet très ambitieux dans l’espace, c’est LISA qui est un ensemble de trois engins spatiaux très éloignés les uns des autres devant permettre la détection d’ ondes gravitationnelles. Depuis l’abandon des Américains, c’est devenu le projet eLISA de l’ESA. Ce projet est en phase expérimentale et le prototype de faisabilité (LISA Pathfinder) vient d’être lancé dans l’espace en L1. Tous ces projets sont complémentaires. Si les projets comme VIRGO et LIGO étudient le domaine des fréquences entre 10Hz et 10 000Hz, LISA se penche sur le domaine des très basses fréquences : un dix-millième à un dixième de Hz. Ils ne correspondent pas aux mêmes sources astronomiques.

Comment décrire une onde gravitationnelle ?
La notion de distance est différente de la notion ordinaire : en Relativité Générale on préfère la définir comme la mesure du temps aller-retour d’un signal.
La distance L vaut : ½ c(t2-t1). Au passage d’une onde gravitationnelle, la longueur L varie de la quantité « h » appelée amplitude de l’onde gravitationnelle.
DL/L = h    est de l’ordre de 10-21. Quantité si faible qu’elle n’est pas facile à détecter ! Comment mesurer une telle distance ? En utilisant la lumière: heureusement, la lumière a un statut à part : la vitesse de la lumière est constante localement dans tous les référentiels.
Son trajet le long de sa géodésique est bien perturbé par le passage de l’onde mais sa vitesse reste insensible à la perturbation.
Cette déformation des distances peut donc être détectable en mesurant le temps de parcours de la lumière entre les deux particules (interféromètres LIGO-VIRGO). Lors du passage de l’onde, la distance entre les particules se déforme selon une ellipse pour vibrer selon le grand axe et demi-grand axe. Il y a donc deux modes de vibrations appelés : Polarisation « plus » et « croix ».

Crédit : ESA

Olivier nous explique le phénomène en utilisant une animation : « L’animation montre une représentation géométrique de la déformation locale de la métrique de l’espace-temps le long d’une trajectoire d’espace alignée selon la direction de propagation d’une onde gravitationnelle.
La déformation de la métrique produite par l’onde gravitationnelle se visualise en prenant un cercle composé de particules libres sans interaction entre elles (libres dans l’espace plat loin de toutes sources gravitationnelles). L’absence de lien physique entre les points est important pour que la déformation du cercle ne puisse provenir que de l’onde gravitationnelle et que la variation de la distance entre les points du cercle ne soit pas entravée par les forces électromagnétiques bien plus fortes que la gravitation.
On peut imaginer le cercle aussi petit que l’on veut pour faire une mesure locale (mais pas de taille quantique car l’onde gravitationnelle n’a pour l’instant pas de description quantique) et on empile ces cercles en leurs centres le long d’un axe que l’on va aligner le long de la direction de propagation d’un rayon d’onde gravitationnelle (comme on le ferait avec un rayon de lumière).
Lors du passage de l’onde gravitationnelle, la métrique (la distance entre deux points du cercle) oscille spatialement autour du cercle initial et comme on peut le voir, cette oscillation est perpendiculaire à la direction de propagation. On dit qu’une onde gravitationnelle est une onde transverse comme pour l’onde électromagnétique (la lumière) ou les vagues à la surface de l’eau.
L’onde gravitationnelle se propage à la vitesse de la lumière. On peut voir sur l’animation que la déformation allonge l’espace sur un axe et raccourcit l’espace sur l’axe perpendiculaire comme un effet de marée. La distance entre deux maximum sur un axe donné sur l’animation correspond à la longueur d’onde.
La surface de chaque cercle reste constante durant toute la déformation. C’est une propriété générale de toute métrique de l’espace-temps dans le vide car l’onde gravitationnelle est une solution de la relativité générale dans le vide (comme l’onde électromagnétique est une solution des équations de l’électromagnétisme de Maxwell dans le vide). L’onde gravitationnelle une fois produite par un système compact massif asymétrique en rotation se propage dans le vide sans nécessiter l’apport de sources gravitationnelles. L’onde gravitationnelle interagit très peu avec le contenu de notre Univers d’où la difficulté pour la détecter mais cela lui procure l’avantage d’être peu absorbée par la matière rencontrée entre son émission et sa détection sur Terre.
Une fois que l’onde est passée, les cercles reprennent leurs formes initiales. L’animation représente une onde avec une polarisation fixe (l’axe des déformations ne change pas lors du passage de l’onde) mais il est possible d’avoir des polarisations plus complexes comme pour la lumière).
L’amplitude de la déformation de la métrique est très fortement exagérée pour rendre visible le phénomène. Pour un cercle avec un diamètre de 1 mètre, l’oscillation de la métrique correspondrait pour les ondes déjà détectées à 10^-21 mètre soit une variation de distance de 1 million de fois plus petite que la taille d’un proton ».

La détection des premières ondes gravitationnelles
C’était le 11 février 2016 à 10h 30 heure de Washington au National Press Club de cette ville mais retransmis au même moment au MIT, Caltech et LIGO et sur Internet : les ondes gravitationnelles (OG) ont été mises enfin en évidence. On savait bien sûr qu’elles existaient, mais on n’avait jamais pu prouver leur manifestation physique. C’est en fait le 14 septembre 2015 que les scientifiques de LIGO reçoivent le signal en provenance de l’autre bout de l’Univers, signal qui est représenté ci-contre. Le signal provient d’un coin de l’Univers situé à 1,3 milliards d’années-lumière (Gal). Après 5 ans de mise à niveau de LIGO, c’est le couronnement pour toutes les personnes impliquées dans ce projet. Les signaux détectés indiqueraient aux chercheurs la taille des deux trous noirs grâce à l’ondulation de l’espace-temps produit.
LIGO a détecté les ondes lorsque leur fréquence atteignit 35Hz, fréquence qui allait vite augmenter jusqu’à 250 Hz puis disparaître. Tout s’était passé en un quart de seconde. Hanford le vit 7 ms plus tard, c’est apparemment le temps de propagation des ondes à travers la Terre.
Cet évènement aurait produit 50 fois plus d’énergie que toutes les étoiles de l’Univers connu pendant une fraction de seconde. On notera que le télescope spatial gamma Fermi a détecté 400ms après un sursaut gamma (GRB) probablement lié à cet évènement.

Les trous noirs binaires
Cette première détection dont nous venons de parler concerne la coalescence de deux trous noirs. Pour L = 4 km et 280 allers-retours entre les miroirs des cavités Fabry-Perot, l’interféromètre simule des bras de 1120 km de long. Les interféromètres de LIGO détectent un déplacement de ± 2.10−18 m, un millier de fois inférieure à la taille du proton ou 100 millions de fois inférieur à la taille d’un atome.
Exemple du signal GW150914 observé à LIGO (Hanford) :
Deux trous noirs (29 et 36 masses solaires) sont entrés en collision et ont émis à cette occasion des ondes gravitationnelles dans l’espace, qui ont été détectées par LIGO. Le résultat, un monstre de 29+36 = 62 masses solaires. La différence de masse est passée dans l’énergie des ondes gravitationnelles. C’est la première fois que l’on « assiste » par ondes interposées, à la fusion de deux trous noirs.
LIGO a détecté un signal dû à la coalescence de ces deux trous noirs, aboutissant à la fusion de ceux-ci. Les trous noirs tournant l’un autour de l’autre, leurs orbites se rétrécissent et le mouvement s’accélère ; en émettant des ondes gravitationnelles de fréquence de plus en plus hautes. C’est la spirale infernale jusqu’à la fusion des deux trous noirs. Le signal détecté a duré 5 secondes et sa puissance correspond à l’énergie de 3 masses solaires.
Au moment où les deux trous noirs ont été détectés, c’est-à-dire lorsque la fréquence du signal gravitationnel est entrée dans la bande de fréquence des détecteurs à environ 35 Hz, ils étaient distants l’un de l’autre d’environ 1 000 km.
Cette fusion de ces deux trous noirs correspond à 1 000 explosions de supernovas. Il y a trois étapes à cette fusion :

  • Phase spiralante (théorie post-newtonienne)
  • Phase de fusion (relativité numérique)
  • Phase de relaxation (théorie des perturbations)

Le signal modulé en fréquence peut être équivalent à un gazouillis d’oiseaux, un « chirp » en anglais.

Extrait du compte rendu de Jean-Pierre Martin, président de la commission de cosmologie. Compte rendu détaillé ICI

Sur le même sujet :
Les livres suivants sont disponibles à la bibliothèque de la SAF :
Nathalie Deruelle, Jean-Pierre Lasota, Les ondes gravitationnelles, Odile Jacob 2018, Cote SAF 8513
Pierre Binetruy, À la poursuite des ondes gravitationnelles, Dunod, 2015, Cote SAF 8364