Compte rendu de la conférence de la SAF du 14 septembre 2018

LA MACHINE D’ANTICYTHÈRE

Conférence donnée par James S. EVANS

Physicien et Historien des Sciences, Université de Puget Sound (État de Washington,USA)

Image : Musée national archéologique d’Athènes

 

L’histoire du mécanisme

La machine (ou mécanisme) d’Anticythère (lieu où elle a été découverte) est probablement le premier calculateur de positions astronomiques de la période antique. Le mécanisme est complexe, il est en bronze, comprenant de nombreuses roues dentées disposées sur plusieurs plans mais liées entre elles. La machine d’Anticythère est le plus vieux mécanisme à engrenages connu. Ses fragments sont conservés au Musée national archéologique d’Athènes. À priori, il n’existe aucun autre objet similaire. Cette relique a été trouvée en 1901 dans une épave d’une galère romaine datant du premier siècle avant notre ère lors d’une plongée de pécheurs d’éponges. Cela se passait au large de l’Île d’Anticythère, au Nord de la Crète. D’autres pièces ont été remontées de l’épave, elles sont toutes à Athènes au Musée d’Archéologie. Il est à noter que l’équipe Cousteau avait plongé sur le site en 1976 ! Une nouvelle expédition de plongée sur le site a eu lieu en 2016 par la Woods Hole Oceanographic Institution. L’histoire de cette relique est très floue, mais il semble bien qu’elle remonte aux Grecs un peu avant notre ère et peut être même un peu plus tôt comme semble l’avoir démontré James Evans récemment.

De nombreuses pièces ont été remontées des fonds marins. Ce mécanisme, enserré dans une boîte en bois, une fois remonté et séché a été malheureusement fragmenté en plusieurs morceaux (près de 100). Différentes hypothèses furent avancées quant à son utilisation : instrument de navigation, d’astronomie…Pour essayer de comprendre à quoi il servait, il faut essayer de comprendre comment les Anciens voyaient le Ciel !

Le cosmos et sa répresentation

Les Anciens voyaient le ciel (le cosmos) sous forme de différentes sphères s’imbriquant les unes dans les autres. La Terre est entourée des 4 éléments d’Aristote : terre, air, eau et feu, puis le monde lunaire et les planètes connues à l’époque (comprenant le Soleil) et au-delà, la sphère des fixes. Les Grecs avaient connaissance des mouvements dans le ciel et du mouvement des planètes. Malheureusement la Terre était toujours au centre, ce qui les obligeait à jongler avec des cercles, des épicycles et autres pour être en accord avec les mouvements observés dans le ciel. Ce mécanisme comportait plus d’une trentaine de roues dentées, et on a reconstruit cet ensemble suivant ce que l’on pensait être le système d’origine. Il devait y avoir un mécanisme d’horlogerie actionné à la main par une manivelle servant à calculer la position du soleil, de la lune et des planètes vue de la terre et à prédire les éclipses de lune et de soleil. La complexité de la conception – plus de trente roues dentées – et le fait qu’elle témoigne de l’état de l’art de l’astronomie de l’époque montre le génie de ses concepteurs. Cette machine, malgré une grande complexité interne, possède plusieurs trains épicycloïdaux. On suppose qu’elle était d’un usage relativement simple.

Il suffisait à l’opérateur de tourner une manivelle jusqu’à ce qu’un des cadrans affiche une position désirée (jour, alignement soleil-lune…) et directement l’opérateur pouvait lire sur les autres cadrans les correspondances dans d’autres cycles. Le mécanisme tient compte de différents calendriers (lunaire, luni-solaire, solaire,  …). On y trouve :

  • Un cycle métonique de 235 mois synodiques lunaires (luni-solaire de 19 ans) qui tient compte aussi des Jeux de l’époque (olympiques, etc..)
  • Un cadran zodiacal basé sur un calendrier égyptien
  • Un cadran lié au Saros (223 lunaisons) important pour les éclipses.

Les Grecs s’intéressaient aux levers et couchers héliaques (instant du lever ou du coucher d’un astre déjà visible juste avant le lever du Soleil ou encore visible juste après son coucher). On a découvert ainsi le parapegme (notes de prévisions astronomiques) de Milet. Sur le mécanisme d’Anticythère se trouvaient des morceaux d’autres parapegmes. Le mécanisme tient compte aussi de la vitesse variable de la Lune à l’aide de centres de rotation décentrés. Ce mécanisme doit tenir compte des problèmes liés à tous les calendriers :

  • L’année ne possède pas un nombre entier de jours
  • La lunaison aussi ne possède pas un nombre entier de jours

L’année pour les Babyloniens avait 360 jours, une année avec 365 jours existait aussi. De plus, suivant les civilisations, les semaines n’étaient pas les mêmes (10 jours chez les Grecs et les Egyptiens, 7 jours chez les Romains) ; il y avait aussi, comme indiqué précemment, des calendriers basés sur la Lune, le Soleil et un mélange des deux.

Les planètes

Le mécanisme tenait compte de la rétrogradation de Mars dans le ciel. C’est l’emploi de déférent et épicycle qui sauve les phénomènes. Un tel mouvement peut s’obtenir avec un mécanisme à clavette et rainure.

La face arrière

La grande spirale comporte 235 cases correspondant aux 235 mois du cycle métonique.

Le mécanisme tient compte de différents calendriers (lunaire, luni-solaire, solaire,  …) : on y trouve :

  • Un cycle métonique de 235 mois synodiques lunaires (luni-solaire de 19 ans) qui tient compte aussi des Jeux de l’époque (olympique, etc..)
  • Un cadran zodiacal basé sur un calendrier égyptien
  • Un cadran lié au Saros  (223 lunaisons) important pour les éclipses.

Cycle de Méton

Concernant le cycle de Méton (d’Athènes) de 19 ans soit 6 940 jours, soit 235 lunaisons, c’est un assez bon compromis entre un calendrier lunaire et un calendrier solaire. Il se trouve que ce cycle se trouve sur une spirale à 5 rangs qui permettait d’effectuer une correction grâce au petit cadran du haut intérieur à la spirale (correction callipique). En effet, un siècle après Méton, Callippe améliora le cycle métonique en remarquant que si on retranchait un jour tous les 4 cycles de Méton on avait une bien meilleure approximation du mois lunaire,

Mais si on remarque que :

12 lunaisons correspondent à 354 jours, cela fait une année un peu courte alors que

13 lunaisons correspondent à 383 jours, cela fait maintenant une année un peu longue.

Or, dans le cycle métonique, 19 années de 12 mois lunaires font 228 lunaisons, il en manque 7 pour les 235 lunaisons du cycle. Les Grecs ajoutaient alors un mois toutes les 3 années pour ajuster cycle lunaire et cycle solaire.

La spirale du bas concerne le cycle de Saros (18 ans et 11 jours et 8 heures, 223 lunaisons) lié aux éclipses ainsi que le cycle d’Exéligmos de 3 Saros (54 ans) situé au centre de la spirale.

Au bout de ce cycle, la Lune et le Soleil se retrouvent (presque exactement) dans la même configuration, c’est donc intéressant pour connaitre la date des éclipses.

Pour tenir compte des 8 heures qui ne font pas un compte rond sur les jours, il existe un petit engrenage contre cette spirale qui doit en tenir compte, elle est marquée 0, 8, 16. La machine doit aussi tenir compte des mouvements apparents du Soleil, car, à l’époque, c’était la vision géocentrique de l’Univers qui prévalait. On compensait grâce à un système d’épicycles (cercles qui tournent sur ces cercles etc…), cela était obtenu en décalant des axes d’engrenages.

On peut voir un ensemble de tous les engrenages recomposés pour former ce que l’on pense être son fonctionnement original.

La datation du mécanisme

Différentes méthodes ont été utilisées pour essayer de contraindre le plus possible la date de fabrication de cette machine, dont :

  • Datation par radiocarbone du bois du navire.
  • Le style des poteries trouvées à bord
  • Les pièces de monnaie associées au naufrage
  • Le style et forme des lettres grecques des inscriptions du mécanisme
  • Des considérations astronomiques…..

Il semble que les premières datations basées sur la date du naufrage aient pointé sur les années -60 à -90 avant notre ère. C’est l’époque grecque en Égypte, il est donc normal de trouver un navire dans ces fonds marins situés entre la Grèce et l’Égypte.

Un progrès important dans la datation a été fait par notre conférencier James Evans et son collègue C. Carman qui ont reculé de près de 100 ans la date de ce mécanisme, basé sur le fait que le calendrier représenté incluant les éclipses solaires et lunaires sur ce mécanisme semblait être connu vers les -200 avant notre ère. Ils ont étudié le cycle Saros des archives babyloniennes à cet effet. Il nous montre un graphique représentant les erreurs de date pour des éclipses solaires, et celles-ci sont au minimum vers -204. Par contre il y a toujours spéculation sur les origines de cette machine et sur son fabricant. À quoi pouvait servir une telle machine ?

Les faits :

  • Position de la lune et ses phases
  • Dates des éclipses de Soleil et de Lune
  • Dates des prochains Jeux olympiques
  • Position des planètes connues dans le ciel

On se pose toujours la question sur son concepteur, beaucoup ont pensé à Archimède qui habitait Syracuse à la même époque (il meurt en -212) ou à un de ses élèves. On pense aussi à Hipparque de Nicée (-190 ; -120) : Probablement le plus grand astronome de l’antiquité. Il découvrit la précession des équinoxes et introduisit les épicycles. On dit aussi que Cicéron aurait vu cette machine ou quelque chose de ressemblant chez le philosophe Posidonios. Bref, encore un mystère de plus entourant cette incroyable machine qui semble si anachronique et ne pas correspondre à l’époque qu’on lui attribue.

Cet article est basé sur le compte rendu détaillé de Jean-Pierre Martin, disponible ICI.